Le consentement dans la définition pénale du viol fait débat parmi les juristes et les féministes

Flora Sauvage

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Y aura-t-il un « avant » et un « après » procès Mazan ?

Durant près de quatre mois, 51 hommes ont été jugés à Avignon (Vaucluse) pour avoir violé Gisèle Pélicot, droguée à son insu par son mari. S’ils ont nié pour la plupart avoir eu l’intention de violer Gisèle Pélicot, tous été condamnés. La société française fait face désormais à un enjeu historique. Comment parvenir à mieux écouter la parole des plaignantes ? En refusant le huis clos, Gisèle Pélicot est devenue une icône pour les femmes du monde entier.

Au-delà de l’écho médiatique, l’affaire des viols de Mazan va-t-elle changer le droit pénal en France ? Actuellement, les victimes sont de plus en plus nombreuses à porter plainte contre leur agresseur, mais plus de 75 % des plaintes pour viol ou agression sexuelle sont classées sans suite. La France est le troisième pays européen où le nombre de plaintes pour viol et agression sexuelle est le plus élevé, rapporté à la population. Et « 99 % des auteurs de viol ou d’agression sexuelle restent impunis », selon la sénatrice écologiste Mélanie Vogel. Elle estime que l’arsenal législatif n’est plus adapté. La sénatrice des Français établis hors de France a rédigé une proposition de loi visant à introduire le consentement dans le Code pénal.

Que dit la loi sur le viol ?

Actuellement, l’article 222-23 du Code pénal définit le viol comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise. » Pas un mot sur le consentement. Pour caractériser le viol, il faut réussir à démontrer que l’auteur présumé du viol à user de l’un de ces quatre critères. Et prouver l’intention de l’auteur, c’est-à-dire qu’il a agi contre la volonté de la plaignante. Mais la notion du consentement n’est pas inscrite dans le Code pénal. Ajouter la notion de consentement serait un gage de lisibilité, selon la sénatrice Mélanie Vogel dont la proposition de loi vise à reconnaître l’absence de consentement comme élément constitutif de l’agression sexuelle et du viol.

« Le consentement il n’est pas dit dans la loi pour les affaires de viol, alors que pour les autres crimes, les vols par exemple, cela va sans dire, si on vous vole votre portable on ne va pas vous demander est-ce que vous avez crié ? Est-ce que vous lui aviez dit que vous n’étiez pas consentante ? », affirme Mélanie Vogel.

Pourtant, même parmi les féministes l’introduction du consentement dans le Code pénal ne fait pas consensus. La députée (écologie socialiste) Clémentine Autain qui a elle-même été victime de viol n’y est pas favorable. Elle craint que le regard de la justice ne se pose plus sur le comportement de l’agresseur mais sur celui de la victime. Pour cette députée, « c’est une fausse bonne idée, car le mot consentement n’est pas clair, on peut acquiescer à un acte par contrainte, donc il ne résout pas la problématique ». Même crainte chez la sénatrice socialiste du Val de Marne Laurence Rossignol qui estime que la définition pénale du viol actuelle est « suffisante pour couvrir la grande majorité des affaires de viol ».

Pas de consensus chez les professionnels du droit

Chez les magistrats, l’introduction du consentement dans la définition pénale du viol ne fait pas non plus consensus. Certains y sont favorables à l’image de François Lavallière, premier vice-président au tribunal judiciaire de Rennes. Selon lui, le droit actuel n’est plus adapté : « Il m’est souvent arrivé de dire aux victimes : Madame, je vous crois. Mais je ne peux pas, avec les éléments de la procédure et les exigences de la loi, condamner l’auteur. Le consentement est partout dans l’enquête et dans la procédure, mais il n’est pas dans la loi. Si la femme ne s’est pas opposée verbalement ou physiquement, les conditions pour tenir l’infraction sont très délicates », explique-t-il. Pour d’autres, comme Laure Heinrich, avocate au barreau de Paris : « si on change la loi, cela ne changera rien au problème des classements sans suite ». Le plus urgent pour cette avocate, est de donner les moyens à la justice d’appliquer correctement la loi.

De nombreux pays ont réécrit leur loi

A l’étranger, nombreux sont les pays qui ont déjà introduit la notion de consentement dans la définition du viol. L’Espagne, la Belgique, le Danemark ou encore la Suède ont réécrit leur loi pour mieux condamner les auteurs. Dix ans après avoir ratifié la convention d’Istanbul, un outil de lutte contre les violences sexistes et sexuelles pour protéger les victimes de viol, la France n’a toujours pas modifié son Code pénal. La France fait figure de mauvaise élève.

Suède fer de lance du consentement

Longtemps pointée du doigt pour son retard sur la question, la Suède est devenue le fer de lance de la pénalisation du viol en Europe. Pendant longtemps, explique Patrik Alm, juge au tribunal de Solna (Suède), les procureurs suédois devaient se baser sur une preuve tangible que l’auteur présumé aurait usé de violence, ou que la victime se trouvait dans un état de vulnérabilité flagrant, sous l’effet de l’alcool ou de la drogue.

La loi adoptée le 23 mai 2018 déplace le curseur de la responsabilité. Ainsi la passivité de la victime n’est plus interprétée comme une acceptation et le consentement doit être clairement exprimé, qu’il soit verbal ou physique.

Mari Heidenborg est juge au tribunal de première instance de Svea (Suède), elle était en charge du comité transpartisan sur lequel le gouvernement suédois s’est appuyé pour modifier la loi. Elle raconte le contexte de l’époque : « il y avait une forte opposition venant de l’ordre des avocats. Et aussi un fort scepticisme de la part des magistrats ». Mais le changement de législation a eu des effets très positifs d’une part parce que le nombre de plaintes a augmenté mais aussi parce que les victimes ne ressentent plus le même fardeau, il n’est plus nécessaire de démontrer la violence pour qualifier un viol ». « Autrefois les cas de viols étaient traités de façon rigide par la police, et cette dernière a aussi modifié sa façon de travailler », explique-t-elle.

Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, le consentement doit être exprimé de manière verbale ou physique et doit pouvoir être prouvé. Sans preuve de consentement, le viol peut être caractérisé et est passible de trois à six ans de prison. En cas de circonstances aggravantes la peine peut aller jusqu’à 10 ans de prison.

Nathalie 29 ans, a été violée en 2019 par son tatoueur. A aucun moment Nathalie n’a trouvé la force de repousser le tatoueur, elle est restée figée. La nouvelle loi venait d’entrer en vigueur, ce qui lui a permis de porter plainte sur les conseils de sa mère.

 

FloraEn parallèle de cette définition renforcée du viol a vu le jour le crime de viol par négligence, visant les situations dans lequel l’auteur du crime n’avait pas l’intention de le commettre. Depuis, le nombre de condamnations pour viol en Suède a connu une augmentation de 75 % entre 2017 et 2019. Un réel progrès.

Sénat en action : « Viol, le consentement et la loi, à voir 22/01 à 17h30, le 24/01 à 19h, le 07/02 à 16h30 et le 19/02 à 17h30 sur Public Sénat

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