Figure de la lutte contre la pauvreté, l’abbé Pierre, mort en 2007, est accusé d’agressions sexuelles par sept femmes, l’une d’entre elles était mineure au moment des faits. Après avoir été destinataire d’un témoignage en juin 2023, Emmaüs France et la Fondation abbé Pierre ont mandaté un cabinet (Egaé) expert de la prévention des violences sexuelles pour récolter les témoignages. Une ligne d’écoute téléphonique a été mise en place pour recueillir de nouveaux témoignages. « Nous saluons le courage des personnes qui ont témoigné et permis, par leur parole, de mettre au jour ces réalités. Nous les croyons, nous savons que ces actes intolérables ont laissé des traces et nous nous tenons à leurs côtés », écrivent Emmaüs France, Emmaüs International et la Fondation abbé Pierre, dans un communiqué.
L’Église catholique a exprimé, sur X, « sa douleur » et « sa honte ». La conférence des évêques de France a tenu à « assurer les personnes victimes de sa profonde compassion », répétant sa volonté de « faire de l’Église une maison sûre », après les multiples scandales de violences sexuelles au sein de l’Eglise.
Connu pour son appel de 1954, l’abbé Pierre avait été à l’initiative de la création d’Emmaüs et de la Fondation abbé Pierre. Selon les informations du journal La Croix, qui a pu consulter le rapport d’enquête du cabinet Egaé, six femmes rapportent des comportements pouvant être qualifiés d’agressions sexuelles, une autre femme fait état de propos sexistes et de sollicitations dérangeantes. Les différents récits permettent d’identifier une période courant de la fin des années 1970 jusqu’à 2005 durant laquelle auraient été commis ces actes.
Cinq témoignages évoquent des contacts non sollicités sur une zone sexuelle
Malgré l’absence de contradictoire, l’abbé Pierre étant décédé en 2007, cinq témoignages évoquent des contacts non sollicités sur une zone sexuelle. Si le rapport ne dévoile, pour l’instant, que des bribes de témoignages, les récits convergent. L’une des victimes, qui avait alors entre 16 et 17 ans, rapporte plusieurs contacts sur sa poitrine. Devenue majeure, elle affirme avoir subi de nouvelles agressions, notamment un baiser forcé en 1982. D’autres tentatives de contacts non sollicités sont évoquées par la victime en 1988 et 1989.
A travers les entretiens menés par le cabinet Egaé pour récolter la parole des victimes, certains témoignages laissent planer le doute sur l’existence de faits antérieurs. Selon certaines personnes auditionnées, les comportements de l’abbé Pierre étaient connus au sein d’Emmaüs et des salariés de l’association déconseillaient aux femmes d’aller voir l’abbé Pierre seule. Une salariée d’Emmaüs International raconte : « J’étais avec lui dans son bureau. On discute d’un document que j’avais dactylographié (je lui ramenais pour le signer). On s’entendait très bien. On pouvait parler facilement, il n’y avait pas de sentiment de hiérarchie, il était très abordable. Pendant qu’on parle du travail, il pose ses mains sur ma poitrine, mes seins. Ça m’a surprise, en même temps, je n’ai pas osé faire une réflexion. Je m’attendais pas du tout à ce geste. »
« Toute une génération [celle du début] savait que l’abbé Pierre dérapait. Ce n’était pas un épiphénomène »
Les témoignages laissent entrevoir un mode opératoire. Les faits allégués se déroulent dans des endroits clos, en particulier sur le lieu de travail et se prolongent dans le temps. Une des victimes évoque une première agression à la fin des années 1970 : « Il s’est mis à me tripoter le sein gauche […] , au pied de l’escalier, un endroit de type sas ». Des agressions que la victime dit avoir subies, à nouveau, en 1992. La quasi-totalité des témoignages pointent une répétition des faits dans le temps. Par ailleurs, l’aura de l’abbé Pierre empêche, à l’époque, toute manifestation publique de la parole des victimes. « J’ai l’habitude de me défendre. Mais là, c’était Dieu. Comment vous faites quand c’est Dieu qui vous fait ça ? » rapporte une des victimes. « Toute une génération [celle du début] savait que l’abbé Pierre dérapait. Ce n’était pas un épiphénomène » affirme une personne entendue dans le cadre de l’enquête.
Malgré le statut de l’abbé Pierre, plusieurs victimes témoignent auprès des dirigeants du groupe Emmaüs, en 1992, 1995, 2001 et 2007. « C’est l’abbé Pierre, je ne peux rien faire » confie une victime, sidérée.