La guerre du camembert s’invite au Sénat

La guerre du camembert s’invite au Sénat

À l’initiative de la sénatrice de l’Orne Nathalie Goulet, une conférence de presse s’est tenue ce mardi au Sénat pour défendre un accord « historique » qui devrait conduire à l’élargissement de l’appellation d’origine protégée « Camembert de Normandie » aux camemberts pasteurisés.
Public Sénat

Par Helena Berkaoui

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Distribution de camemberts normands à l’Assemblée nationale, pour les défenseurs du lait cru comme le député Richard Ramos. Conférence de presse au Sénat, pour les partisans d’un accord « historique » comme la sénatrice Nathalie Goulet. La guerre du camembert s’invite dans les chambres du Parlement.

Ce mardi, c’est la sénatrice centriste de l’Orne Nathalie Goulet qui organisait une conférence de presse au Palais du Luxembourg pour défendre l’accord conclu sous l’égide de l’institut national de l’origine et de la qualité (INAO). Cet accord vise à élargir l’appellation d’origine protégée « camembert de Normandie » aux camemberts pasteurisés. « Vous allez avoir une simplification pour le consommateur, c’est-à-dire deux AOP : une AOP du véritable camembert de Normandie qui sera au lait cru et puis une autre [celle du camembert pasteurisé] qui aura un cahier des charges très lourd », explique Nathalie Goulet.

« Comme pour le bordeaux grand cru, on aura pour ceux qui veulent vraiment du moulage à louche, des vaches normandes, un bandeau « Véritable » »

L’accord prévoit en effet d’apposer une mention distinctive sur les camemberts pasteurisés pour permettre aux consommateurs de bien les différencier des camemberts au lait cru. Cela réglerait le problème de « confusion qu’il y a sur l’utilisation du mot Normandie sur les camemberts actuellement » se réjouit Patrick Mercier, président de l’organisme de défense et de gestion du camembert de Normandie. La formule « fabriqué en Normandie » peut en effet laisser croire qu’il s’agit d’un camembert normand au lait cru, mais il n’en est rien.  Cette appellation oblige seulement à élaborer le fromage dans une usine normande mais le lait peut parfaitement être importé. C’est la formule « Camembert de Normandie » qui porte le label AOP. Patrick Meunier estime que cet accord mettra fin à cette confusion. « Comme pour le bordeaux grand cru, on aura pour ceux qui veulent vraiment du moulage à louche, des vaches normandes, un bandeau « Véritable » », détaille-t-il.   

Pour résumer : cet accord prévoit la création d’un camembert « cœur de gamme » au lait pasteurisé et d’un camembert « haut de gamme », portant la mention « véritable » ou « authentique » au lait cru. Le camembert « cœur de gamme » devra respecter un cahier des charges imposant notamment « au moins 30 % de vaches normandes dans chaque troupeau ». Une contrainte qui n’existait pas pour les camemberts « fabriqué en Normandie ». L’accord est plébiscité par une partie des acteurs du secteur, les géants de l’industrie laitière comme Lactalis et certains élus mais il ne fait pas l’unanimité.

« Que vaudront nos camemberts AOP si demain ils ont le même goût qu’un camembert américain pasteurisé et fabriqué par un robot ! » 

Dans le camp des défenseurs du lait cru, c’est peu de dire que cet accord ne passe pas. Véronique Richez-Lerouge, présidente de l’association Fromages de terroirs, s’est invitée à la conférence de presse de Nathalie Goulet pour le faire savoir. Cosignataire avec le député Modem Richard Ramos d’une tribune dans Libération annonçant « la mort du camembert AOP », Véronique Richez-Lerouge s’alarme : « Que vaudront nos camemberts AOP si demain ils ont le même goût qu’un camembert américain pasteurisé et fabriqué par un robot ! » Selon elle, l’élargissement de l’AOP aux camemberts pasteurisés va créer « un effet de jurisprudence », introduisant l’idée qu’au sein d’un même label AOP « il peut y avoir deux niveaux de gamme radicalement différents ».

D’après Véronique Richez-Lerouge,est de conduire à ce que « l’AOP ne veut plus rien dire et que c’est au consommateur d’arbitrer sur des étiquettes ». Et pire encore, l’accord pourrait, selon elle, mettre en difficulté les éleveurs normands : « Aujourd’hui on sait qu’ouvrir la boîte de Pandore de la pasteurisation ça ne règle rien en termes de dynamisation de filières fermières bien au contraire ça donne des volumes aux multinationales, aux industriels qui se servent du label pour vendre, pour exporter et ça ne permet pas à des fermiers de s’installer ». Elle préférerait l’instauration d’une indication géographique protégée (IPG) pour venir à bout de la confusion entre « camembert de Normandie » et le « fabriqué en Normandie ».  

Convié à la conférence de presse, Périco Légasse, critique gastronomique et animateur de l’émission « Manger, c’est voter » sur Public Sénat, a une position plus nuancée. Pour lui, cet accord est « une concession politique » qui aura le mérite de mettre un terme à « l’infamie » de la formule « fabriqué en Normandie ». Tout en garantissant un seuil « d’au moins 30 % de vaches normandes » pour le camembert pasteurisé.  

L’accord de principe de l’institut national de l’origine et de la qualité annoncé pour 2021 doit encore passer plusieurs étapes avant d’entrer en vigueur, de quoi laisser du temps aux acteurs de cette guerre du camembert pour faire valoir leur cause.

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