L’état des transports parisiens, huit mois avant les Jeux olympiques, et leur capacité à prendre en charge le surplus de voyageurs attendus pendant les épreuves soulèvent de plus en plus d’interrogations. Après la sortie remarquée – et abondamment commentée – de la maire Anne Hidalgo sur le plateau de l’émission « Quotidien » sur TMC le 22 novembre, expliquant que l’« on ne sera pas prêts », c’est au tour du préfet de la région Île-de-France de tirer la sonnette d’alarme. Dans un courrier adressé au ministre des Transports, Clément Beaune, et dont le contenu a été révélé mercredi par Le Canard enchaîné, ce fonctionnaire évoque « des tensions préoccupantes » dans le plan de transport. Il estime qu’à certains endroits, il ne sera possible « d’acheminer les spectateurs que si tous les autres voyageurs [sont] dissuadés ou presque ».
Interrogé sur ce courrier dans la matinale de franceinfo, Clément Beaune a reconnu qu’il y avait « encore du boulot » et a invité les Franciliens à « s’organiser différemment pendant cette période, avec plus de télétravail pour ceux qui le peuvent ». Une campagne de sensibilisation doit d’ailleurs être lancée en début d’année. Au risque que les Parisiens se sentent finalement exclus de l’évènement ? Après les polémiques successives sur le prix des places, la mise en disponibilité forcée de certains logements étudiants et, plus récemment, l’annonce d’un quasi-doublement du tarif du ticket de métro, la promesse de jeux populaires semble désormais battre de l’aile. « Le gouvernement doit se donner les moyens de ses ambitions. Je rappelle que l’engagement du dossier de candidature, c’était la gratuité des transports pendant les JO », tacle le sénateur socialiste Rémi Féraud, qui préside également le groupe de la majorité municipale au Conseil de Paris.
« Nous avons un réseau obsolète »
« Lorsqu’Anne Hidalgo a dit que nous ne serions pas prêts, c’est tout juste si Clément Beaune ne l’a pas accusée d’être une traître à la patrie. Aujourd’hui sa réaction lui revient comme un boomerang en pleine figure, puisque tout le monde s’accorde sur le fait qu’il suffit de prendre le métro chaque matin pour constater l’urgence de la situation », poursuit Rémi Féraud.
Depuis plus d’un an, l’état du réseau ferré à Paris soulève critiques et inquiétudes. En début de semaine, à l’occasion de la publication des chiffres mensuels de circulation, Ile-de-France Mobilités (IDFM) a déploré « une nouvelle dégradation du service des transports inquiétante ». L’autorité régulatrice, pilotée par Valérie Pécresse, demande à la RATP, l’opérateur du métropolitain, de « remonter la pente » alors que quatre lignes seulement remplissent le contrat d’objectifs. « Nous avons un réseau obsolète », s’est défendu le PDG de la RATP, Jean Castex, dans les colonnes des Echos, expliquant que le métro faisait les frais de « quarante ans de sous-investissement ».
« J’ai fait acheter plus de 1 000 rames neuves depuis mon arrivée mais j’ai commencé, et je l’assume, par faire équiper les trains de banlieue qui étaient encore ce que l’on appelle des ‘petits gris’ », a expliqué Valérie Pécresse, mercredi soir dans « C à vous » sur France 5. « Mais le vrai premier problème est un problème de ressources humaines. La première cause de retard, c’est le manque de conducteurs. Sur certaines lignes, cela peut atteindre 50 % des causes de non-production de service », a pointé la présidente du conseil régional. « La RATP et la SNCF ont arrêté de recruter pendant le covid, et elles ont repris un peu tard. Il faut presque un an pour former des conducteurs de train. »
Une bataille politicienne
« L’accumulation d’une politique de droite à la région et d’une politique de droite à la tête de l’Etat, qui a sacrifié les subventions aux collectivités, a eu des répercussions très néfastes sur les transports publics », dénonce pour sa part Rémi Féraud. « Ce n’est pas faute d’avoir alerté et tiré la sonnette d’alarme », soupire le communiste Ian Brossat, « Le sujet ne concerne pas que les JO, mais surtout les Franciliens qui prennent les transports quotidiennement », pointe-t-il. « Evidemment, plus on se rapproche de l’évènement, plus les craintes montent, mais beaucoup de choses sont faites par le gouvernement et la région, et il n’y a pas d’éléments qui me laissent penser qu’il faille déjà dramatiser », démine la sénatrice LR Catherine Dumas, vice-présidente du premier groupe d’opposition au Conseil de Paris.
Au sein de la majorité municipale, on accuse même l’exécutif d’instrumentaliser la question des transports pour mettre en difficulté Anne Hidalgo, quand bien même le métro n’est pas une compétence de la ville. « À deux ans des municipales, on a un ministre plus excité par la mairie que par ses dossiers, et qui essaye de s’arranger pour qu’Anne Hidalgo ne puisse pas profiter de la réussite des Jeux olympiques. Mais si les choses se passent mal, cela retombera sur tout le monde », s’agace un élu. « Oui, il y a des petits jeux politiques. Face à un enjeu de cette taille, il est évident que les différents acteurs abordent certains dossiers de façon très politique », reconnaît Catherine Dumas.
Le gouvernement s’est engagé sur une augmentation de 15 % de l’offre de transports pendant les jeux, de manière à garantir l’acheminement des 800 000 spectateurs attendus chaque jour. Cette hausse devrait notamment passer par un plus grand nombre de bus. « Il faudra mettre l’accent sur les recrutements, mais veiller aussi à ce que les travaux ne soient pas une entrave », concède Rémi Féraud. « On doit tous mettre les bouchées doubles pour que ces jeux soient une réussite », abonde Ian Brossat.
« Il y aura forcément des bugs, des grains de sable, des trains qui n’arriveront pas à l’heure. Mais on sera totalement prêts. On va réussir avec quelque chose de totalement incroyable ! », a encore martelé Valérie Pécresse mercredi soir, assurant qu’il s’agirait de la première olympiade de l’histoire entièrement accessible par les transports en commun. « Il faut à un moment ouvrir les chakras, on va accueillir le monde et on est le seul pays qui ne s’en réjouit pas », avait-elle déjà lancé un peu plus tôt dans la journée, lors d’une conférence de presse à l’issue du conseil d’administration d’IDFM.
Une proposition de loi pour renforcer la sécurité dans les transports en commun
Spécialiste des questions de transports en commun, et notamment du rail, le sénateur LR Philippe Tabarot, évoque un angle mort : celui de la sécurité à l’intérieur des transports. « Il y a des trous dans la raquette au niveau de la sûreté. On sait que les lieux de transports sont une cible privilégiée des attaques terroristes », pointe-t-il. L’attentat de 2005 dans le métro de Londres, qui a fait 52 morts et près de 800 blessés, alors que la capitale du Royaume-Uni avait été désignée la veille comme ville hôte pour les JO de 2012, est toujours dans les esprits.
Le sénateur entend donc déposer une proposition de loi sur le sujet, qu’il espère voir adoptée à l’occasion de la niche parlementaire de son groupe, en février prochain. Il y sera question des contrôles d’identité, des fouilles, du périmètre d’intervention des agents de sécurité ou en encore du criblage des personnels recrutés. Alors que le gouvernement a donné son feu vert à l’expérimentation controversée de caméras intelligentes pour sécuriser les jeux, Philippe Tabarot évoque également une mesure sur l’intelligence artificielle. « Il serait trop idiot de ne pas mettre les progrès des algorithmes au service des usagers et de leur sécurité », assume-t-il.