Si la commission des lois du Sénat ne s’est pas opposée, mercredi, au projet de loi constitutionnelle visant à inscrire l’IVG dans la Constitution, elle a néanmoins émis de sérieuses réserves quant à sa rédaction. « Pas plus que la liberté de la femme de recourir à l’IVG, la liberté de conscience des professionnels de santé n’est aujourd’hui consacrée en tant que telle dans la Constitution. Il semble donc discutable de n’inscrire dans la Constitution qu’une seule de ces deux libertés », a expliqué la commission dans un communiqué.
Pour mémoire, fruit d’un compromis entre une proposition de loi de l’Assemblée nationale et un amendement du sénateur Philippe Bas à ce texte (LR), le projet de loi constitutionnelle propose d’inscrire à l’article 34 de la Constitution la phrase suivante : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».
Une partie de la droite sénatoriale craint qu’une liberté garantie ne soit traduite par des jurisprudences opposables à des médecins qui ne souhaiteraient pas pratiquer l’IVG. « Je pense que l’esprit de la loi Veil, c’est un équilibre et nous voulons nous rapprocher, dans cette discussion, de l’équilibre de la loi Veil », a expliqué le président du groupe LR Bruno Retailleau, au micro de Public Sénat, précisant que des amendements pourraient être déposés pour y inscrire la clause de conscience des médecins.
Que dit la loi ?
L’article R4127-47 du code de la santé publique fixe une clause de conscience générale pour les médecins. « Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ces soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins », y est-il inscrit.
La clause de conscience est rattachée à un principe à valeur constitutionnelle, la liberté de conscience fixée à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, (« nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ») comme l’a défini le Conseil constitutionnel dans plusieurs décisions.
La clause de conscience spécifique inscrite par la loi Veil
La loi Veil de 1975 qui légalise l’interruption volontaire de grossesse introduit dans notre droit une clause de conscience spécifique pour cet acte. Il s’agissait d’une concession faite aux parlementaires hostiles à la légalisation de l’IVG à l’époque. C’est cette notion « d’équilibre » à laquelle fait référence Bruno Retailleau. La clause de conscience spécifique à l’IVG est inscrite à l’article L2212-8 du code de la santé publique, selon lequel « un médecin ou une sage-femme n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse mais il doit informer, sans délai, l’intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens ou de sages-femmes susceptibles de réaliser cette intervention ».
Tentatives de suppression de cette clause de conscience spécifique
En 2018, l’ancienne ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes et sénatrice socialiste, Laurence Rossignol avait déposé une proposition de loi visant à supprimer cette clause de conscience spécifique qui, selon elle, vise « à stigmatiser l’avortement », « et culpabilise les femmes ». « Le dernier vestige, le dernier rempart des anti-IVG, qui n’ont jamais désarmé », expliquait-elle à Public Sénat.
Ce texte avait été déposé dans la foulée d’une déclaration polémique du président du Syndicat national des gynécologues (Syngof), Bertrand de Rochambeau, qui avait assimilé l’IVG à un « homicide ».
En 2021, la proposition de loi « visant à renforcer le droit à l’avortement » prévoyait également la suppression de la clause de conscience spécifique. Là encore, la suppression de la clause de conscience spécifique n’avait pas été retenue dans ce texte qui étend le délai légal pour pratiquer une interruption volontaire de grossesse à 14 semaines de grossesse au lieu de 12. Fin 2020, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) avait considéré que « l’IVG est un acte médical singulier qui justifie le maintien de la clause de conscience spécifique ».