IVG dans la Constitution : le droit à l’avortement peut-il être protégé au niveau européen ?
Publié le
« Les féministes vont-elles enfin partir en vacances ? », lançait ironiquement la sénatrice socialiste Laurence Rossignol lors de son discours au Congrès, avant de couper court en ajoutant : « Ne rêvez pas, nous allons continuer ». Après l’inscription de la liberté de recours à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, plusieurs parlementaires ont en effet exprimé le souhait de porter ce combat au niveau européen. Mathilde Panot, cheffe de file des députés Insoumis, a annoncé qu’elle déposerait une résolution en ce sens à l’Assemblée nationale.
En Pologne, en Hongrie, à Malte… l’accès à l’IVG toujours menacé
Au micro de Public Sénat après le vote, la sénatrice écologiste Mélanie Vogel appelait à agir pour « une nouvelle avancée », en inscrivant le droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE, « de sorte que chaque citoyenne européenne, quelle que soit sa nationalité, puisse bénéficier des mêmes droits, même si Viktor Orban dirige son pays ». « Dans une Europe comme nous la concevons, fédérale et démocratique, tous les citoyens devraient avoir les mêmes droits », ajoute-t-elle.
En septembre 2022, par un décret, l’exécutif hongrois a en effet durci les règles d’accès à l’avortement dans le pays, en obligeant les femmes à écouter les battements de cœur du fœtus avant de pratiquer une IVG. La Hongrie n’est pas le seul pays européen où l’accès à l’avortement est limité. En Pologne, depuis janvier 2021, il n’est autorisé qu’en cas de viol ou de risque pour la vie de la femme enceinte. À Malte, dernier pays de l’UE à avoir légalisé l’IVG en juin 2023, elle n’est autorisée que si la grossesse met en danger la vie de la mère. En Italie, le nombre d’IVG diminue d’années en années et plus de 60 % des gynécologues refusent de les pratiquer.
« L’Europe n’est pas un endroit où l’accès à l’IVG est facile. Nous sommes mieux loties que d’autres, mais les femmes européennes restent à la merci des réactionnaires qui s’attaquent à leurs droits lorsqu’ils gagnent les élections », dénonce Céline Thiebault-Martinez, présidente de la coordination française du Lobby européen des femmes. « Si on inscrivait l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux, cela donnerait la possibilité aux femmes de procéder à des recours devant les instances européennes. Mais, au-delà de ces démarches qui demandent énormément de temps et d’énergie, cela permettrait surtout de proclamer la liberté des femmes à disposer de leur corps », complète-t-elle.
L’obstacle du vote à l’unanimité
Adoptée en 2007, la Charte des droits fondamentaux proclame que « l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité » et énonce une série de droits fondamentaux répartis en six chapitres : dignité, liberté, égalité, solidarité, citoyenneté et justice. Avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la charte prend une valeur contraignante pour les États membres, qui s’engagent donc à la respecter lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’UE.
À l’été 2022, après l’annulation aux Etats-Unis de l’arrêt qui accordait aux Américaines le droit d’avorter dans tout le pays, le Parlement européen avait déjà voté en faveur d’une résolution pour inscrire le droit « à un avortement sûr et légal » dans la charte. Une proposition qui n’a jamais abouti. « Au-delà du processus de modification de la charte qui est compliqué, la procédure oblige un vote à l’unanimité des États membres », explique Eulalie Deneuville, spécialiste des droits reproductifs des femmes en Europe.
Un vote qui semble difficile à obtenir, tant certains pays restent hostiles à l’avortement. « Les pays européens n’ont pas tous la même histoire sur la question de l’accès à l’IVG, parfois ce droit a été acquis par une loi, parfois par référendum… La constitutionnalisation a déjà été un long chemin en France, alors elle le sera d’autant plus au niveau supranational », note la juriste. Dès l’adoption de la Charte des droits fondamentaux, le Royaume-Uni (alors membre de l’Union européenne), la Pologne et la République tchèque ont d’ailleurs demandé une dérogation pour ne pas y être soumis.
Lancement d’une initiative citoyenne européenne
Pour autant, « beaucoup de choses peuvent être faites sans modifier les traités », affirme Mélanie Vogel. C’est le sens de la campagne « Ma voix, mon choix », lancée ce 5 mars par une coalition d’associations féministes de France, d’Espagne, de Pologne, de Finlande et de Slovénie. Le collectif cherche à récolter un million de signatures, pour saisir la Commission européenne dans le cadre d’une initiative citoyenne européenne. « L’objectif, c’est de garantir que toutes les citoyennes européennes puissent avoir accès gratuitement à l’IVG dans tous les pays où elle est autorisée. Pour que, par exemple, les Polonaises puissent venir en France pour un avortement », explique Mélanie Vogel.
Depuis la mise en place de ces initiatives citoyennes européennes en 2011, seules cinq sont parvenues à remplir toutes les conditions pour être présentées devant la Commission européenne. Cette fois-ci, dans le contexte des élections européennes, l’espoir est pourtant de mise, estime Céline Thiebault-Martinez : « En Pologne, quand les femmes sont retournées voter pour les élections législatives, elles se sont souvenues de toutes les restrictions précédemment adoptées sur le droit à l’avortement et elles ont changé la donne : le PiS n’a pas été réélu ». Menée par le Premier ministre Donald Tusk, la nouvelle coalition au pouvoir a en effet promis d’invalider de l’arrêt restreignant l’accès à l’avortement, même si elle se heurte au désaccord de ses membres les plus conservateurs.
Pour protéger le droit à l’avortement au niveau européen, les militantes féministes devront aussi faire face à un mouvement « pro-vie » toujours plus actif. Fin janvier, ils étaient plusieurs milliers à marcher dans Paris contre la constitutionnalisation de l’IVG. Au niveau européen, selon le Forum parlementaire européen des droits sexuels et reproductifs, le financement de ces associations a été multiplié par quatre en l’espace de dix ans.
Pour aller plus loin