Vendredi, un juge du Tribunal suprême fédéral brésilien a ordonné la suspension de X dans le pays. C’est une mesure spectaculaire. Peut-on parler de tournant dans la régulation des plateformes numériques ?
On se trompe quand on voit les GAFA [Google, Apple, Facebook, Amazon, NDLR] comme des mastodontes, un peu comme l’Union soviétique, comme quelque chose qu’on ne peut pas bouger ni faire changer, alors que ce sont fondamentalement des start-ups. Ce sont des entreprises qui peuvent évoluer extrêmement rapidement et d’ailleurs, elles l’ont démontré au cours des dix dernières années. Après l’affaire Cambridge Analytica, contraint et forcé par les critiques et la justice américaine, Facebook a évolué. Google a changé ; notamment sur la recommandation de contenus, sur les suggestions. A une époque, quand on tapait le nom d’un politique, il y était marqué ‘juif’, ce n’est plus le cas. Donc c’est possible de les faire évoluer. Dans le combat des sociétés civiles, à travers le monde, c’est un rapport de force. Et on se trompe en pensant que la force est chez eux. C’est en train d’évoluer, un certain nombre de personnes sont en train de se dire que la force n’est pas chez eux. Et qu’ils ont plus besoin de nous que nous d’eux. Et qu’on peut les contraindre, et notamment au simple fait de respecter la loi.
Elon Musk multiplie les tweets pour dénoncer la décision du juge Alexandre de Moraes. Dans un message posté sur sa plateforme vendredi, il explique que « la liberté d’expression est le fondement de la démocratie et, au Brésil, un pseudo-juge non élu est en train de la détruire à des fins politiques ». Que répondre à cet argument sur la liberté d’expression ?
Elon Musk n’accepte pas tous les contenus sur sa plateforme, non plus. Il n’a pas les mêmes limites que d’autres, mais lui, c’est le fait du prince. L’argument de la liberté d’expression est utilisé par Elon Musk pour défendre les complotistes ou les néonazis, quand ils sont censurés sur d’autres réseaux ou qu’ils sont attaqués à d’autres moments. Elon Musk n’est pas neutre. Il finance la campagne de Donald Trump à hauteur de dizaines de millions de dollars mensuels depuis quelques mois, et cela aussi c’est de la politique, il soutient sa campagne.
Cette actualité fait écho à l’arrestation de Pavel Durov, le 24 août dernier, par des policiers français. Sa plateforme Telegram est suspectée d’être utilisée pour commettre des délits. Jamais un patron de plateforme numérique n’avait encore été arrêté et mis en examen pour des faits commis sur son réseau social. Y a-t-il un lien entre les deux décisions de la Justice ?
On voit ces deux décisions qui ont l’air concomitantes, mais qui dépendent de deux choses très différentes. Il y a une procédure au Brésil sur l’utilisation de Twitter dans la diffusion de fausses informations qui ont perturbé le scrutin de 2018 et de 2022 et qui ont même été considérées comme un moteur de la tentative de coup d’Etat à Brasilia. Il y a une procédure qui montre que Twitter n’a pas modéré les messages et ces messages ont été une forme de motivation pour les émeutiers. Que dirions-nous si le principal média brésilien, O Globo, avait appelé au coup d’Etat sur ses antennes ? Nous aurions fait fermer O Globo. Il y a des personnes qui appellent au coup d’Etat sur Twitter et qui ne sont pas modérés. On ferme Twitter, cela paraît logique.
Il y a désormais un bras de fer entre ces juges et les plateformes. Peut-on s’attendre à un changement des réseaux sociaux après ces décisions de Justice ?
Ça marque un tournant car l’espèce d’impunité dans laquelle vivent ces milliardaires avec ce sentiment de toute-puissance : cela va changer. Cela va déjà changer les destinations de M. Musk avec son jet privé. M. Zuckerberg va réfléchir à deux fois avant de sortir de l’avion en Europe où le DSA [Digital Services Act, ndlr] pourrait le mettre en difficulté. Moi je dis Amen. Vive le Brésil. Merci à la Justice brésilienne de faire ce qu’aucune autre juridiction dans aucun autre pays qui est de demander des comptes à ceux qui foutent en l’air nos démocraties.