La technologie, plus rapide que la loi. Les sénateurs veulent donner un cadre juridique à la biométrie, c’est-à-dire aux technologies informatiques qui permettent d’identifier un individu à partir de son apparence. Ces outils de mesure et d’analyse, comme les logiciels de reconnaissance faciale, connaissent un véritable essor depuis quelques années, portés notamment par les dernières crises, comme la menace terroriste et, plus récemment, la pandémie de covid-19. Ainsi, la RATP avait installé en mai 2020, après le premier confinement, dans la station de métro Châtelet-Les Halles à Paris, un dispositif permettant à partir d’images de vidéosurveillance de détecter les usagers masqués. Alors que la Cnil, le régulateur français des données personnelles, alerte régulièrement sur le flou juridique autour des systèmes de vidéosurveillance augmentés, cette expérimentation avait été permise grâce à un décret publié par Jean-Baptiste Djebbari, le ministre des Transports.
À l’automne dernier, la Chambre haute a demandé aux sénateurs Marc-Philippe Daubresse (LR), Arnaud de Belenet (Union centriste) et Jérôme Durain (PS), de plancher sur ce dossier. Ce mardi 10 mai, la commission des Lois a adopté à l'unanimité leur rapport d’information sur « la reconnaissance faciale et ses risques au regard de la protection des libertés individuelles », élaboré au terme de huit mois de travaux. Il doit être rendu public mercredi. L’objectif : définir la liste des champs d’application de la reconnaissance biométrique et poser un ensemble de jalons juridiques.
« On ne peut pas rentrer dans une société de surveillance avec big brother partout. Et d’un autre côté, il faut accepter que l’on puisse expérimenter un certain nombre de cas d’usage qui peuvent être liés au terrorisme, à la protection de grands sites sportifs, ou à la nécessité pour la police de vérifier que la personne en face d’elle n’est pas inscrite au fichier de la délinquance », énumère auprès de Public Sénat le sénateur du Nord Marc-Philippe Daubresse. « Tout cela peut se faire, mais de manière encadrée et proportionnée. »
Lancer une série d’expérimentations sur 3 ans
Consultées par Public Sénat, les conclusions du rapport formulent 30 propositions pour définir une ligne de conduite nationale sur la reconnaissance biométrique, fixer les bases d’un cadre juridique et « renforcer la souveraineté technologique de la France et de l’Europe ». « C’est une nécessité », pointe Marc-Philippe Daubresse. « Comme en France beaucoup de choses sont interdites, on passe par des sociétés étrangères. Les leaders du marché mondial sont des Russes, des Chinois et des Israéliens. »
Le rapport préconise la mise en place de différentes expérimentations sur une durée de trois ans. À terme, les retours d’expérience pourraient permettre d’enclencher un processus législatif plus fouillé et détaillé. En clair : une grande loi biométrie. « La proposition que nous faisons, qui est consensuelle entre les républicains, les centristes et les socialistes, c’est : faisons d’abord une loi d’expérimentation, type loi de terrorisme, pendant trois ans, avec un cadre juridique, des autorités de régulation et un renforcement de la Cnil », détaille Marc-Philippe Daubresse. Il indique que la proposition de loi sur la mise en place de cette expérimentation pourrait être déposée au Parlement à l’automne.
Pour sécuriser les JO, « il nous faut des outils »
Car ce qu’ont aussi en ligne de mire les sénateurs, ce sont les Jeux olympiques de 2024. Auditionné en mars dernier au Palais du Luxembourg, Cédric O, le secrétaire d’Etat à la Transition numérique, a évacué l’hypothèse d’un recours à la reconnaissance faciale pour assurer la sécurisation de l’événement. « De toute évidence, il faudra trouver des moyens pour assurer la sécurité sans l’utilisation de ces mécanismes d’identification en temps réel. Des dizaines de Jeux Olympiques ont été organisées sans la reconnaissance faciale. Aurait-on pu dans le cadre d’une élection présidentielle, avec le surmoi politique qui nous habite les uns et les autres, avoir un débat apaisé sur le fait de déployer de la reconnaissance faciale dans le cadre des JO ? Je ne suis pas sûr. Je suis même certain du contraire », avait expliqué ce responsable gouvernemental.
« On va sortir de la période électorale », observe ce mardi Marc-Philippe Daubresse. « Imaginez que l’on ait dix ou quinze attentats type promenade des Anglais pendant les JO ? Je dis qu’il nous faut des outils, mais qu’ils soient contrôlés, régulés, avec des lignes rouges. C’est ce que nous proposons dans ce rapport. »