Suite à trois recours déposés contre le choc des savoirs, dont un par la sénatrice écologiste Monique de Marco, le rapporteur public du Conseil d’Etat demande d’annuler la mise en place des groupes de niveau au collège, soit le cœur de la réforme portée par Gabriel Attal. S’il faut encore attendre la décision du Conseil d’Etat, son avis pourrait être suivi.
Immigration : qu’est-ce que le modèle danois dont se prévaut la droite française ?
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Pendant sa première campagne présidentielle en 2017, Emmanuel Macron citait volontiers le modèle danois de protection sociale comme modèle, en louant la « flexisécurité » à la danoise. Six ans plus tard, le « modèle danois » revient dans le débat public français, mais à propos de l’immigration, cette fois-ci. Et ce sont des bancs de la droite que viennent les louanges, avec l’offensive lancée par Éric Ciotti, Olivier Marleix et Bruno Retailleau dans le JDD ce dimanche, respectivement présidents de LR, du groupe à l’Assemblée, et au Sénat. Avec deux propositions de loi, l’une constitutionnelle, et l’autre ordinaire, la droite ne veut pas laisser passer l’occasion de mettre ses thèmes à l’agenda politique, alors que le projet de loi immigration du gouvernement est toujours en suspens.
« Toutes ces mesures me paraissent très similaires à ce qui est en vigueur au Danemark »
Sur le fond, la droite et l’extrême droite louent depuis quelques années déjà le modèle de politique migratoire danois. En proposant de réformer la Constitution pour restreindre le droit du sol, pouvoir désobéir aux traités internationaux et européens sur le sujet et en mettant sur la table des restrictions d’accès à la protection sociale ou au regroupement familial, la droite française s’inspire en effet de la politique d’immigration danoise, probablement la plus restrictive d’Europe. L’idée d’un vote de « quotas » de titres de séjour au Parlement tous les ans peut par exemple rappeler le vote au Parlement danois des naturalisations. La proposition d’une « double peine » par LR, c’est-à-dire d’expulsion en cas de condamnation à plus d’un an de prison, peut aussi résonner avec la politique danoise consistant à expulser ou empêcher la naturalisation de ceux qui ont écopé d’une condamnation, voire d’amendes de circulation.
« Toutes ces mesures me paraissent très similaires à ce qui est en vigueur chez nous », estime Marlène Wind, professeure de science politique à l’Université de Copenhague. « C’est de plus en plus difficile d’obtenir la nationalité, il faut maintenant attendre 19 ans. La citoyenneté est considérée comme un cadeau fait par le Danemark à des étrangers. Il faut très bien connaître la langue et l’histoire danoise, mais aussi des faits divers sur des films populaires ou le plat favori des Danois. Le regroupement familial est aussi de plus en plus compliqué, et nous avons été le seul pays d’Europe à renvoyer des réfugiés en Syrie », détaille-t-elle. Autre point commun : le gouvernement social-démocrate actuel, dirigé par Mette Frederiksen, a un temps évoqué de sous-traiter l’accueil des demandeurs d’asile au Rwanda. Le projet est pour le moment suspendu, mais peut évoquer, dans l’idée, la proposition de LR de « présenter et instruire les demandes d’asile dans les représentations diplomatiques ou les postes consulaires de la France, ou à la frontière. »
« Sur beaucoup d’aspects, les sociaux-démocrates ont joué sur le terrain de l’extrême droite »
La différence avec la France est plutôt politique : au Danemark, cet agenda migratoire est très largement partagé depuis 20 ans maintenant, et est actuellement porté par un gouvernement social-démocrate. Dans un gouvernement dit « minoritaire » de 2019 à 2022 – qui ne dispose pas de la majorité absolue des sièges à la chambre, mais gouverne par projet, un peu comme en France actuellement – et dans une coalition avec des libéraux depuis les élections législatives de novembre dernier.
« C’est en 2001, sous un gouvernement de droite, soutenu par une extrême droite qui pesait beaucoup, que ces politiques migratoires très strictes ont commencé à être mises en place », raconte Marlène Wind. « Les sociaux-démocrates ont ensuite analysé que pour retrouver le pouvoir, il fallait copier ces politiques avec lesquelles beaucoup de leurs électeurs étaient en phase. Une fois réélus, ils ont continué ces politiques, et aujourd’hui, même au sein de la presse de gauche, le consensus est plutôt que c’était la bonne chose à faire. Surtout vis-à-vis de l’exemple Suédois, qui est vu comme un contre-modèle, où l’immigration a généré des problèmes de violences dans les banlieues », poursuit-elle.
Mais d’après la politologue, les mutations des partis politiques danois ne s’arrêtent pas à ce consensus formé sur l’immigration au cours des vingt dernières années. « D’une part, les sociaux-démocrates ont repris d’autres choses à l’extrême droite. Ils misent aussi sur l’opposition entre la campagne et Copenhague, où vivraient les élites mondialisées, en opposition au ‘vrai’ peuple danois. Sur beaucoup d’aspects, les sociaux-démocrates ont joué sur le terrain de l’extrême droite. À l’inverse, les partis d’extrême droite danois sont tombés d’accord sur beaucoup de choses avec les sociaux-démocrates, autour de la demande de protection sociale, que ce soit la couverture santé ou les retraites, ou bien la critique de l’Union européenne. C’est un consensus politique centré sur les secteurs les plus âgés de la population. »
« On tourne autour de 15 % de l’électorat qui vote à l’extrême droite et c’est assez stable »
Cet alignement entre la social-démocratie et l’extrême droite, et les succès électoraux qui ont suivi, ont pu faire réfléchir jusqu’en France. Il y a deux semaines, Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, est ainsi allé à la rencontre des sociaux-démocrates danois pour analyser cette « mutation idéologique assez importante qui a permis de mettre au tapis l’extrême droite » : « Les sociaux-démocrates danois ont commencé à avoir un discours assez ferme sur les questions migratoires et l’intégration. L’extrême droite est passée de 20 % à plus de 2 % aux élections. Cette politique serait très critiquée en France, et de toutes parts. Le Danemark doit aussi faire face à un besoin d’immigration assez important, parce que la natalité est assez faible, et qu’ils ont besoin de main-d’œuvre », explique ainsi l’ancien socialiste dans une vidéo postée sur Twitter.
« C’est vrai que le Parti Populaire Danois n’a plus que cinq sièges au Parlement [2,64 % des voix en 2022]. Mais l’extrême droite s’est recomposée, nous en avons maintenant de nouveaux. Si on ajoute leurs voix, on tourne autour de 15 % de l’électorat qui vote à l’extrême droite et c’est assez stable depuis les années 2000. Le Parti Populaire Danois a surtout été victime de diverses affaires. En revanche, c’est aussi vrai que le parti social-démocrate danois est le seul parti social-démocrate européen à avoir réussi aux affaires », rectifie la professeure de science politique danoise.
« Nous sommes un pays beaucoup plus nombreux, avec un passé colonial, et nous n’avons pas la culture du consensus »
Pour Patrick Martin Genier, enseignant à Sciences Po et spécialiste des questions européennes, la transposition du « modèle danois » à la France en matière d’immigration paraît assez « délicate » : « Nous avons dix fois plus d’habitants que le Danemark, qui n’a jamais été une puissance coloniale et n’a donc pas les liens importants que nous avons avec l’Afrique du Nord ou l’Afrique de l’Ouest par la francophonie. »
Si un « consensus politique » s’est formé au Danemark sur ces questions, Patrick Martin-Genier doute du succès d’une initiative semblable en France. « Je ne suis pas certain que ça fonctionnerait, nous sommes un pays beaucoup plus nombreux, avec un passé colonial, et nous n’avons pas la culture du consensus. Avec la vie politique très agitée que l’on a, que M. Macron ou des partis de gauche reprennent le programme de Marine Le Pen, ça me paraît irréaliste et voué à l’échec. » Au niveau parlementaire, le report du projet de loi immigration du gouvernement semble en effet suggérer, qu’en l’état, une majorité sur le sujet serait difficile à dégager. Les propositions de loi portées par les Républicains pourraient forcer le gouvernement à se positionner sur la question, alors que les centristes déposeront eux aussi deux textes « éloignés d’un chamboule tout », selon les mots du sénateur centriste Philippe Bonnecarrère.
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