La tête un peu dans les étoiles, mais surtout des enjeux très terre à terre et concrets. Le Sénat a accueilli ce vendredi la conférence européenne interparlementaire – pas encore interplanétaire – sur l’espace. Pour la première table ronde, ce matin, du beau monde : Josef Aschbacher, directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA), Philippe Baptiste, PDG du Centre national d’études spatiales (CNES), Stéphane Israël, Président exécutif d’Arianespace et Riadh Cammoun, vice-président de Thales Alenia Space.
Parmi les multiples enjeux, celui de la pollution spatiale revient régulièrement. Il n’est pas mince. C’est la question de « la gestion durable de l’espace », « dans un contexte où la multiplication des objets et infrastructures mis en orbite augmente fortement les risques de collision, d’explosion et d’accident », rappelle la présidente LR de la commission des affaires économiques, Sophie Primas, en ouverture. On ne parle pas que de quelques vieux satellites. « Plus d’un million de débris spatiaux d’au moins un centimètre sont aujourd’hui en orbite, alors que le lancement d’au moins 20.000 satellites supplémentaires est annoncé pour les 20 prochaines années », souligne la sénatrice. Alors que la commission européenne prépare un règlement sur la gestion du trafic spatial, Sophie Primas remarque qu’« en tant que législateur des différents pays européens, nous devons y apporter une très grande attention ».
« Une fois par semaine, nous avons ces manœuvres d’évitement de collision pour protéger nos satellites »
C’est la question de la sûreté et de la soutenabilité de l’espace, le directeur général de l’Agence spatiale européenne l’a bien en tête. « Il y a de plus en plus de débris dans l’espace. C’est une menace pour nos satellites et nos astronautes », prévient Josef Aschbacher. « Une fois par semaine, nous avons ces manœuvres d’évitement de collision pour protéger nos satellites de ces débris. C’est un problème de plus en plus fréquent », ne peut que constater le responsable de l’agence européenne, qui évoque aussi les astronautes de la station spatiale internationale qui doivent « changer de trajectoire pour éviter un nuage de débris ».
De son côté, Philippe Baptiste, PDG du CNES, note qu’« on parle de nettoyage de l’espace, de débris, de pollution », mais « avant de chercher à aller récupérer des débris générés – et je ne dis pas qu’il ne faut pas investir là-dessus – la première chose qu’il faut faire, c’est se mettre d’accord sur un ensemble de règles minimales », à savoir « quand on lance un satellite, il faut être sûr qu’il va se désorbiter proprement. La France est en avance sur le sujet ». Concrètement, cela implique « une partie du carburant du satellite qui sera utilisée pour le désorbiter. C’est autant de durée de vie en moins pour le satellite », reconnaît Philippe Baptiste. Un désavantage commercial qu’il faut assumer, selon le responsable du CNES.
« Cette dépendance vis-à-vis de la Russie nous a coûté énormément dans le secteur du lancement »
Plus récemment, un autre enjeu brûlant s’est invité dans les cénacles spatiaux. La guerre en Ukraine et ses conséquences : « Retrait de la Russie du port spatial européen de Kourou », « annulation des lancements prévus à partir des lanceurs russes Soyouz, à partir de Baïkonour », « l’arrêt brutal de la production en Ukraine de l’étage supérieur du lanceur Vega et Vega-C », autre lanceur de l’Agence spatiale européenne, énumère Sophie Primas. Il faut donc, « pour des raisons géopolitiques, nous doter d’une capacité autonome de lancement » européenne.
« Cette dépendance vis-à-vis de la Russie nous a coûté énormément dans le secteur du lancement, avec par exemple l’arrêt du programme Soyouz », confirme Josef Aschbacher, qui précise que « nous n’avons plus accès à cette technologie car nous avons mis fin à cette coopération ». Pour plus d’autonomie, le patron de l’Agence spatiale européenne appelle à « rétablir notre indépendance pour les matériaux, les composants, que nous nous sommes procurés, jusqu’à maintenant, auprès de la Russie ». « La Russie, c’est un problème très pénible pour Arianespace », ajoute Stéphane Israël, mais « c’est un problème conjoncturel », tempère le Président exécutif d’Arianespace.
« L’espace est peuplé de nouvelles menaces »
Dans ce contexte troublé, Riadh Cammoun, vice-président de Thales Alenia Space, évoque « la sécurité dans l’espace ». Car « l’espace est peuplé de nouvelles menaces qui peuvent perturber les systèmes satellitaires ». Il convient « d’identifier les risques », voire de les contrecarrer. Ce qu’affirme le responsable de Thales Alenia Space, en termes choisis et avec un certain euphémisme : « On peut protéger nos assets souverains en embarquant un escorteur, qui est capable d’identifier à proximité la menace et de la neutraliser ».
Sur l’image diffusée en même temps à l’écran, une sorte de petit satellite se détache du satellite principal et s’approche de la menace, pour la neutraliser. Le mot laser apparaît sur la slide. Explication, que ne donne pas dans le détail Riadh Cammoun : en 2019, l’ex-ministre de la Défense, Florence Parly, avait annoncé vouloir doter les satellites militaires français d’armes laser. Une capacité d’autodéfense face aux menaces spatiales.
« Plus ça va aller, quand on va décoller, on va devoir lever le petit doigt pour savoir si on ne dérange pas la constellation de satellites de Monsieur Musk »
Risque de guerre spatiale, mais aussi guerre commerciale. Les Européens le savent bien, avec l’arrivée de Space X et de son lanceur réutilisable, qui a bénéficié de 12 milliards d’euros d’aides de la Nasa ou du département de la défense américain. « Sans la Nasa, sans le financement public, Space X n’existerait pas », souligne Josef Aschbacher. Le futur lanceur Ariane 6, qui ne sera pas réutilisable, a lui du retard. Pour Philippe Baptiste, il faut « réussir la commercialisation d’Ariane 6 le plus vite possible ». « On doit à la fois consolider Ariane 6 et Vega-C et organiser de façon maîtrisée une concurrence avec de nouveaux acteurs », ajoute Stéphane Israël d’Arianespace. Plusieurs projets nationaux se sont en effet lancés en Europe. « La France est rentrée dans cette compétition, avec MaïaSpace », un lanceur qui sera réutilisable pour l’orbite basse, développé par ArianeGroup. Mais Stéphane Israël met en garde : « Il ne faut pas que ces formes de concurrence par les projets détruisent la convergence » entre acteurs européens.
Cet enjeu commercial croise la question de l’utilisation de l’espace. « La thématique de l’espace comme bien commun, patrimoine commun de l’humanité, monte. Et ça ne rend que plus indispensable le fait d’éviter qu’un acteur, il faut bien le dire, Space X, ne cherche à s’approprier cette orbite basse, c’est un fait aujourd’hui », met en garde Stéphane Israël, qui lance : « Et je vous assure que plus ça va aller, quand on va devoir décoller, on va devoir lever le petit doigt pour savoir si on ne dérange pas la constellation (de satellites) de Monsieur Musk. J’aimerais éviter d’être dans cette situation ». L’espace, une galaxie de questions, de problèmes et de menaces à gérer.