Fonds Marianne : « On ne nous a jamais interdit de faire des contenus politiques », assure la présidente de Reconstruire le commun

Auditionnée par la commission d’enquête du Sénat sur le fonds Marianne, Ahlam Menouni, présidente de « Reconstruire le commun », dont les contenus à caractère politique sont mis en cause, assure que la convention signée pour obtenir les subventions ne prévoyait pas « de condition liée à notre ligne éditoriale » et qu’aucune consigne claire n’a été donnée pour éviter les contenus politiques. Elle contredit ainsi Christian Gravel, qui dirige le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, qui a assuré le contraire devant les sénateurs.
François Vignal

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« Non, je ne regrette rien ». Auditionnée pendant plus de deux heures par la commission d’enquête du Sénat sur le fonds Marianne, Ahlam Menouni, présidente de « Reconstruire le commun », l’une des associations mise en cause par les révélations de presse, est restée droite dans ses bottes.

En avril dernier, Mediapart révélait que cette association, financée à hauteur de 330.000 euros par le fonds Marianne, avait développé des « contenus politiques à l’encontre d’opposants d’Emmanuel Macron pendant les campagnes présidentielle et législatives ». L’association n’avait été créée qu’en octobre 2020, soit treize jours après l’assassinat de Samuel Paty, qui a motivé la création du Fonds Marianne par Marlène Schiappa, alors ministre déléguée à la Citoyenneté. De janvier à août 2022, 57 vidéos ont été diffusées sur une chaîne YouTube appelée « Comme Un ». Dans son projet, l’association prévoyait de « déployer un discours républicain adapté aux codes et référents culturels des 18-25 ans sur les réseaux sociaux ».

Dans les vidéos, au style de « café du commerce » assumé par Ahlam Menouni, on y voit des jeunes échanger sur l’actualité et viser les candidats, comme « Jean-Luc Mélenchon ». Mais « Emmanuel Macron » aussi n’est pas exempt de critiques.

Le comité interministériel « a très vite manifesté de l’enthousiasme sur notre projet »

Devant les sénateurs de la commission des finances, qui s’est dotée des prérogatives d’une commission d’enquête, la responsable a retracé la genèse de son association. Suite à une « prise de conscience lors des attentats de 2015 », quelques années plus tard, l’idée va germer. « On avait en tête de lancer une association en 2020, […] puis arrive l’assassinat de Samuel Paty, qui nous a vraiment bouleversés, et là on accélère ». Les statuts sont déposés « le 29 octobre 2020 », explique-t-elle pour justifier le timing.

« La CIPDR (comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, chargé de sélectionner les dossiers bénéficiant du fonds Marianne, ndrl) m’a contacté une première fois par mail fin octobre également, suite à une recommandation d’un universitaire reconnu sur ces questions-là, à qui j’ai présenté le projet », précise celle qui est ingénieure urbaniste. Dirigée de manière « totalement bénévole, sur nos temps libres », l’association a notamment pour objectif de défendre les valeurs républicaines. Une première rencontre avec Christian Gravel, qui dirige le CIPDR, intervient « en novembre 2020 ». Le CIPDR « a très vite manifesté de l’enthousiasme sur notre projet », se souvient Ahlam Menouni.

« Est-ce que nous avons diffusé des posts partisans ? Absolument pas »

« Une première subvention de 39.000 euros, fin 2020 », sera vite allouée pour mener « les premières actions » et lancer l’association. Reconstruire en commun recevra ensuite une seconde subvention pour un total de 333.000 euros, faisant de l’association la deuxième plus grosse bénéficiaire du fonds Marianne.

Lire aussi » L’USEPPM, principale bénéficiaire du fonds Marianne peine à justifier l’utilisation des subventions

Dès son propos introductif, Ahlam Menouni, tente de répondre aux reproches qui sont faits à Reconstruire en commun. « Est-ce que nous avons parlé de politique en tant qu’affaires de la cité ? Oui, et nous l’assumons parfaitement. Le sujet du commun est éminemment politique, dans ce qu’elle a de plus noble. Nous l’assumons dès la phase de candidature où il est déjà question de réaction à l’actualité et d’infotainment, c’est-à-dire de divertissement politique. Est-ce que nous avons diffusé des posts partisans ? Absolument pas », soutient la présidente de l’association. Regardez :

Aucune consigne « écrite » pour éviter les contenus politiques, assure la présidente de Reconstruire le commun

Si les sénateurs ne peuvent pas empiéter sur le volet judiciaire lié « à la période électorale » – le président PS de la commission des finances, Claude Raynal, rappelle que le Parquet national financier a ouvert une information judiciaire – ils ont cité les propos de Christian Gravel, qui lors de son audition devant le Sénat, a indiqué sous serment « que cette aide de 39.000 euros avait été conditionnée à l’absence de tout message de nature politique. Est-ce que vous avez entendu ça ? Comment cette condition a été formalisée ? A l’oral, si la discussion a eu lieu ? Ou de manière écrite ? » demande Claude Raynal.

Réponse étonnante de Ahlam Menouni, qui contredit totalement le secrétaire général du CIPDR. « Dans la convention qu’on a signée, il n’y a pas de condition liée à notre ligne éditoriale dans sa globalité. (…) On n’a pas eu d’objectif métrique précis, et de limitation, en tout cas écrite, sur ces questions », soutient la présidente de Reconstruire le commun. Des conversations alors ? « Dans notre association, beaucoup de membres ont un passé, un passé militant, dans des partis. Ils ont des convictions qui sont tranchées. Sa crainte, c’était que ça déteigne sur le projet », explique Ahlam Menouni. Devant l’insistance du sénateur socialiste, l’incitant à être plus explicite, elle lâche : « Il ne nous a jamais interdit de faire des contenus politiques » (voir la première vidéo).

Plus tard, le CIPDR va bien émettre quelques doutes quant aux contenus à dimension politique. « A l’occasion d’un ou deux points, il a signifié qu’il y avait une blague anti-Macron qui ne les a pas franchement fait rire », explique Ahlam Menouni. Elle évoque un échange « sur le fait qu’on est dans une période sensible, une période électorale et que si on doit traiter de sujets politiques, il faut faire attention. On l’avait intégré », assure-t-elle. « Néanmoins, par rapport à la période strictement de la campagne, on n’a pas publié aucun contenu à caractère politique », soutient la présidente, qui assure par ailleurs que « ces remarques du CIPDR (…) n’ont jamais été véritablement un point à l’ordre du jour de nos réunions, qui n’ont jamais fait l’objet d’un courrier, d’un début de mail ». Elle ajoute :

 Je peux vous assurer, Monsieur le Président, que si j’avais un début de phrase d’un mail, qui parlait de ça, on aurait réagi immédiatement. 

Ahlam Menouni, présidente de l'association « Reconstruire le commun »

« Aucune ambiguïté », assure de son côté Christian Gravel

Les deux discours se contredisent clairement. Car lors de son audition, le 16 mai dernier, Christian Gravel, assure que « la consigne que nous avons fait passer, à savoir qu’il était strictement interdit à l’association de s’associer, d’une manière ou d’une autre, à des contenus de nature politique, ne laissait place à aucune ambiguïté. La présidente de l’association en a pris acte au mois de mars » 2022. Puis ses services constatent que d’autres contenus politiques ont été produits. « J’ai alors demandé qu’on les convoque de nouveau, ce qui a été fait le 2 juin : lors de la réunion que j’ai présidée, je leur ai dit très clairement, très explicitement, très vigoureusement qu’il était intolérable de diffuser de tels contenus », soutient Christian Gravel…

Aujourd’hui, l’association fait l’objet d’une demande de remboursement, pour tout ou partie de la subvention, reçue le 16 mai, et datant du 12 mai. « On considère que le timing de ce contrôle a posteriori, comme le dire poliment… est hypocrite », lance Ahlam Menouni.

Une association qui fonctionne avec « la seule subvention publique »

Lors de l’audition, Claude Raynal s’est étonné que « la seule subvention publique permette d’assurer ce fonctionnement la première année, sans aide supplémentaire », comme durant les deux années suivantes. L’association recherche des subventions privées, mais en vain. « Sur des sujets extrêmement régaliens, on avait des difficultés à intéresser » le mécénat privé, explique la présidente de l’association.

Le socialiste Vincent Eblé, sénateur de Seine-et-Marne, relève de son côté qu’à sa connaissance, une collectivité n’accorde habituellement pas, « ne serait-ce 250 euros de subventions à un club de retraités ou de gym », si une « association n’est pas en capacité de présenter un bilan de financement d’une première année de fonctionnement ». Ce qui n’était pas le cas de Reconstruire le commun.

Jean-François Husson, rapporteur LR de la commission des finances, s’étonne lui que dans le dossier de candidature, « 67%, soit les deux tiers des charges, sont sur les rémunérations, soit 303.000 euros sur 451.000 euros ». La présidente l’explique car « la nature de notre projet repose beaucoup sur de la création artistique. C’est de la matière grise, c’est de l’humain », avec « une vingtaine d’intervenants » rémunérés.

« On a du mal à voir le discours apaisé, quand on met en cause les personnes les unes après les autres »

Jean-François Husson s’interroge aussi sur la contradiction, entre la volonté de l’association de « reconstruire le commun » et d’apaiser le débat, et le ton d’une partie des contenus tournés. « Parfois, vous opposez les artistes belges et français. (…) Quand vous parlez d’écologie, vous avez tendance à opposer les boomers et la nouvelle génération, la crise sanitaire est sous l’angle de la jeunesse sacrifiée », pointe le sénateur de la Meurthe-et-Moselle.

Ahlam Menouni assume tant le caractère politique que le côté « clash ». « La politique est hyper personnalisée. Il y a des figures. On ne peut pas parler d’un certain nombre de sujets sans mentionner ces figures », soutient la responsable, « il fallait trouver les codes réseaux sociaux, et ce qui marche, c’est le clash, la personnalisation. C’était difficile pour nous de trouver le bon ton, entre ce qui permet la viralité sur les réseaux et ce qu’on défend, un débat apaisé », reconnaît la présidente de Reconstruire en commun, mais « un débat apaisé, ce n’est pas forcément un débat lisse ».

Claude Raynal ne semble pas plus convaincu. Le socialiste remarque que « quand on regarde, malgré tout, on a du mal à voir le discours apaisé, quand on met en cause les personnes les unes après les autres. Quant à avoir un discours républicain, on peut se demander, quand on défend les valeurs de la République, si on ne doit pas éviter de s’attaquer à ses représentants ? (…) Si on commence à dire que tous les élus, ne sont pas des pourris, ce n’est pas dit comme ça, mais qu’on va les dénigrer, je ne suis pas sûr que ça aille bien dans le sens », insiste le président de la commission des finances, qui résume : « On a du mal à suivre ».

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