Fin de vie : la loi actuelle ne répond « pas totalement » à l’ensemble des situations, selon Jean-François Delfraissy

Fin de vie : la loi actuelle ne répond « pas totalement » à l’ensemble des situations, selon Jean-François Delfraissy

La commission des affaires sociales a auditionné ce 11 octobre Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique, accompagné de deux rapporteurs de l’avis sur l’aide active à mourir. Prudents sur leurs conclusions, les trois interlocuteurs ont insisté sur la nécessité de renforcer le déploiement des soins palliatifs, mais aussi de prendre le temps d’échanger avec la communauté médicale.
Guillaume Jacquot

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« Cet avis se veut comme une boussole, comme un processus de démarrage d’une grande discussion. Tout ce qu’on écrit sur ce sujet, la main tremble. » Les mots sont de Jean-François Delfraissy, devant la commission des affaires sociales du Sénat ce 11 octobre, non pour parler du covid-19, mais pour évoquer un sujet d’une « extrême complexité », celui de la fin de vie. Le professeur de médecine a échangé avec les parlementaires sur les recommandations émises par Comité consultatif national d’éthique (CCNE), qu’il préside, le 13 septembre. Après plus d’un an de travaux, le CCNE a ouvert la voie à une « aide active à mourir », strictement encadrée. Une convention citoyenne, qui se réunira en fin d’année, doit se pencher sur les enjeux de la question, avant un débat législatif en 2023.

« On n’est pas là pour rédiger un projet ou une proposition de loi »

Plus de six ans après la dernière intervention du législateur sur ces questions sensibles, avec la loi Claeys-Leonetti, Jean-François Delfraissy a répété que le cadre législatif actuel ne répondait « pas totalement » à certaines situations, notamment celles des patients atteints de maladies incurables, provoquant des souffrances élevées, et dont le pronostic vital serait engagé à « moyen terme », c’est-à-dire quelques semaines à quelques mois. En l’état actuel du droit, les personnes atteintes d’une affection grave et incurable peuvent être concernées par une « sédation profonde et continue jusqu’au décès », si leur pronostic vital est engagé à court terme. Pour le professeur de médecine, une « porte pourrait être entrebâillée sur une vision nouvelle, qui pourrait être une aide à une mort dans la dignité ».

Deux rapporteurs de l’avis du CCNE, Régis Aubry et Alain Claeys, l’accompagnaient. Le docteur Régis Aubry, spécialiste des questions de vie et de soins palliatifs, a notamment insisté sur la nuance « fondamentale », entre l’assistance au suicide (permettre au patient d’avoir accès lui-même au produit létal) et l’euthanasie, où l’acte est appliqué par le corps médical. Selon Alain Claeys, les membres du CCNE n’ont pas souhaité trancher entre ces deux possibilités, laissant ce sujet aux parlementaires, après plusieurs mois de débats dans le cadre de la convention citoyenne. « Les avis étaient très partagés. On n’est pas là pour rédiger un projet ou une proposition de loi », a rappelé Alain Claeys, qui a laissé son nom à la dernière loi adoptée sur le sujet. Au sein du CCNE, 8 des 45 membres ont exprimé une réserve quant à une éventuelle évolution législative sur la fin de vie.

Demande de développement d’une politique d’accompagnement et des soins palliatifs

Dans son avis, le Comité consultatif insiste sur le fait qu’une aide active à mourir devra être exprimée par une personne « disposant d’une autonomie de décision au moment de la demande, de façon libre, éclairée et réitérée, analysée dans le cadre d’une procédure collégiale ». Les professionnels de santé devraient, selon lui, bénéficier d’une clause de conscience.

Sans préjuger des orientations que décideront la Convention citoyenne ou le Parlement, les trois représentants du CCNE ont surtout souligné que l’enjeu n’était pas seulement législatif. « Il n’y aurait rien de pire qu’une loi autorisant l’aide active à mourir qui ne soit pas accompagnée pas d’une vraie politique d’accompagnement des situations de vulnérabilité », a averti Régis Aubry. Jean-François Delfraissy a fait remarquer en préambule que les lois Claeys-Leonetti n’étaient ni suffisamment connues, ni appliquées. « La politique de soins palliatifs en France n’est pas à la hauteur d’un grand pays comme le nôtre. Il y a encore des trous dans la raquette dans un certain nombre de départements », a déploré le professeur. Pour Régis Aubry, la question des soins palliatifs n’est pas assez intégrée dans la culture des professionnels. Les leviers de la formation et de la recherche sont « insuffisamment mobilisés aujourd’hui », selon lui.

C’est l’un des principaux axes du rapport du CCNE. Il préconise de renforcer dans un premier temps les mesures de santé publique dans le domaine des soins palliatifs : les développer à domicile, dans les Ehpad, ou encore permettre l’accès à la sédation profonde dans l’ensemble des établissements de santé. En clair : donner les moyens d’une application large de la loi Claeys-Leonetti. La Cour des comptes est actuellement en train de se pencher sur la situation des soins palliatifs en France, et les députés vont lancer une mission d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti en novembre.

Jean-François Delfraissy insiste sur la consultation des soignants

Jean-François Delfraissy a même encouragé les parlementaires à lancer le mouvement pour la future loi. « S’il y avait une évolution dans la loi – et peut-être qu’il n’y aura pas d’évolution dans la loi – il serait fondamental à nos yeux que les parlementaires puissent demander dans le cadre même de la loi qu’il y ait une évolution de la nouvelle loi dans un temps donné. »

L’euthanasie pose d’ailleurs de nouvelles questions éthiques vis-à-vis de la communauté médicale. « Donner à des soignants la possibilité de participer à ces processus, c’est une autre question », a soulevé le sénateur Bernard Jomier (groupe socialiste, écologiste et républicain), médecin de profession. Le point est « essentiel », a reconnu Jean-François Delfraissy. Le président du Comité consultatif national d’éthique a pris l’exemple de l’Espagne, « qui a construit une loi sans prendre le temps de discuter avec les équipes soignantes. Cette loi est bloquée, non appliquée ». Le risque serait grand, selon lui, qu’une loi française connaisse le même sort, sans des échanges suffisants.

La commission des affaires sociales du Sénat compte entendre l’Ordre des médecins au mois de novembre sur ce sujet.

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