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Féminicide en France : Pourquoi les chiffres ne diminuent pas ? 

C’était il y a 20 ans. Marie Trintignant succombait aux frappes de son ex-compagnon, Bertrand Cantat. 19, c’est le nombre de coups que l’homme lui a assénés sans répit. 8, c’est le nombre d’années de prison dont écopera le chanteur. « Crime passionnel » , « dispute amoureuse qui a mal tourné », et autres euphémismes ont été utilisés par la presse de l’époque pour décrire ce qu’on qualifie aujourd’hui de féminicide. Le féminicide est défini comme « le meurtre de femmes ou de filles en raison de leur sexe ». Pour autant la notion n’a, à ce jour , aucune existence juridique en France. Qu’est ce qui a changé depuis 20 ans ? Où en sommes-nous dans le traitement des féminicides ? Le 31 juillet 2023, une 75ème femme était victime de féminicide cette année. Des chiffres qui ne baissent pas.
Lucille Gadler

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Le 29 juin dernier, la Belgique adoptait la « Loi cadre#StopFéminicide »,  se dotant ainsi d’un ensemble d’instruments de mesure de lutte et de protection des victimes. Précurseuse, la loi « définit la notion de féminicide, permet la collecte de données statistiques, améliore les droits et la protection des victimes et prévoit des mesures de formation de la Police et des magistrats », pouvons-nous lire sur le site internet de l’ancienne Secrétaire d’État à l’Égalité des genres de Belgique, Sarah Schlitz, à l’origine de la loi. La loi reconnaît également le phénomène dans ses quatre dimensions, comme défini par l’OMS : le féminicide intime, non-intime, indirect et l’homicide fondé sur le genre. Qu’en est-il aujourd’hui en France ?

Féminicide en France : réalité sociale, inexistence juridique

« Aujourd’hui le féminicide est traité comme un homicide : il n’y a pas de distinction prévue par le Code pénal français », introduit Sylvaine Grévin, fondatrice et présidente de la fédération nationale des victimes de féminicides (FNVF) « pourtant sa reconnaissance est essentielle. Nous sommes en retard sur ces questions comparément à d’autres pays du monde, notamment en Amérique latine où la notion est reconnue. Les magistrats s’emparent peu à peu de la dénomination de féminicide comme fait social, ils en tiennent compte. Mais la notion doit rentrer dans le code de procédure pénale. Ce qu’a proposé la Belgique, par exemple, est une avancée considérable. »

« A ce jour, raconte la fondatrice de l’association qui accompagne des familles de victimes de féminicides jusqu’aux procès, nous avons encore des avocats qui utilisent la notion de crime passionnel dans leur plaidoirie, ou des dérivés. Lors du procès pour le meurtre d’Alexia Daval, tuée par son conjoint par exemple, l’avocat de la défense a plaidé le coup de folie, la crise conjugale, parlant de la « personnalité écrasante de la victime. Il y a encore beaucoup de travail à faire du côté des magistrats et des avocats ».

Pour Maître Steyer, avocate pénaliste, spécialiste du droit des femmes et des enfants victimes de violences, si l’abandon de la notion de crime passionnel est une avancée, ce n’est pas suffisant : « Il l’a tuée parce qu’il aime. C’est comme ça que ces crimes étaient analysés par la presse auparavant. La notion de crime passionnel, ça embarquait tout. Ça créait une forme d’acception, une grande compréhension. Aujourd’hui le traitement médiatique et social a changé. Et les peines encourues sont plus élevées qu’il y a 20 ans. Mais nous n’arrivons pas à faire baisser le nombre de féminicides ».

Une protection insuffisante des victimes de féminicides en France

« Je suis assez pessimiste concernant l’avenir des violences faites aux femmes » déplore Sylvaine Grévin « oui il y a eu le Grenelle des violences conjugales [lancé en 2019]. Il y a eu des mesures mises en place pour lutter contre les féminicides. Et aujourd’hui la majorité des gens sait ce qu’est un féminicide. Mais là où je suis très pessimiste, c’est qu’au moment où nous échangeons, nous en sommes à la 62ème victime de féminicide dans la sphère intime. Nous sommes sur les mêmes chiffres que l’an dernier ». Elle poursuit : « Au quotidien, on se rend compte que les mesures votées ne sont pas suffisamment appliquées, ou mal appliquées. De surcroît, il n’y a pas d’analyse de ces mesures, pas d’évaluation, pas d’études… c’est de la communication. Si l’on existe aujourd’hui, nous les associations, c’est parce qu’il y a une défaillance. Il y a une défaillance également sur l’accompagnement des familles de victimes. En dehors des familles de victimes de féminicides, il y a des femmes victimes de violences qui nous contactent, alors même qu’il y a des services dédiés (par exemple le 3919 le numéro de violence femmes info) : il y a des femmes qui ne sont toujours pas accompagnées. »

Au niveau du traitement des féminicides et des violences plus généralement Sylvaine Grévin accuse le coup : « Il y a une disparité du traitement en fonction du département de la juridiction. C’est au petit bonheur la chance, en fonction des magistrats de la juridiction, on va se retrouver avec des prises en charges ubuesques. Sans parler des condamnations qui ne sont pas dissuasives. Elle souligne également l’impunité des auteurs de féminicides « sous prétexte de la réinsertion, il y a des permissions de sortie sans aucun contrôle. C’est se moquer des victimes. C’est insupportable. »

La responsable d’association tient également à mettre en lumière la précarité dans laquelle les femmes se retrouvent lorsqu’elles tentent de quitter leurs agresseurs, notamment lors de féminicide intime : « C’est un parcours du combattant. Les victimes de violences qui veulent y échapper s’appauvrissent à tous les niveaux. Elles partent de chez elles, elles doivent se reloger, il y a les honoraires d’avocats… ça dure des années. »

« Aujourd’hui on ne fait que nommer le féminicide. Nous n’arrivons pas à le prévenir. Nous n’avons aucune analyse, nous n’aidons pas les femmes à prendre conscience du danger dans lequel elles se trouvent » souligne Maître Steyer.  « Et elles ne sont pas aidées. Lorsque l’on va déposer une plainte, cela reste difficile d’être entendue » reprend l’avocate pénaliste « Les faits dénoncés sont des crimes, mais ils sont souvent sous-estimés lors des dépôts de plaintes. C’est compliqué de dire qu’on lutte contre les féminicides sans faire de prévention ».

Des moyens nécessaires : « On attend beaucoup des associations mais on ne peut pas tout faire »

« Ce qui me révolte aujourd’hui, c’est que les femmes font le nécessaire : elles ont libéré la parole, elles racontent leurs histoires, elles vont déposer plainte, elles se lancent dans des procédures longues et coûteuses, elles partent de chez elles. Et sur la réalité du terrain, elles sont encore plus fragilisées. Encore récemment des hébergements d’urgence ont été supprimés, à Toulouse par exemple » dénonce Sylvaine Grévin. « J’ai perdu ma sœur, le dossier est toujours en instruction. Son cas est un cas d’école, jalonné de défaillances, jusqu’à son décès et qui se sont poursuivies après. Elle n’a pas été écoutée de son vivant. Nous avons interpellé le ministre de l’Intérieur et le garde des Sceaux dans une lettre ouverte. À la FNVF, nous souhaitons la création d’un comité interministériel indépendant sur les violences. Ce qu’il faut c’est analyser les décès causés par des violences faites aux femmes, retracer le parcours de la victime du moment où elle a déposé plainte jusqu’à l’après : pourquoi cette femme a été tuée, est-ce que les institutions ont été efficientes. Cela veut aussi dire se remettre en question. Il faut plus de moyens. On attend beaucoup des associations, mais on ne peut pas tout faire. »

« Comme en Espagne, il faut poser des milliards pour lutter contre les féminicides » ajoute Maître Steyer. « En l’état actuel, nous dénombrons environ 120 000 plaintes pour violences, et pourtant le nombre de policiers pour recueillir ces plaintes n’augmente pas. Il faut des brigades spécialisées et formées. Il y a un manque d’effectifs, alors que le temps d’écoute est nécessaire pour permettre les dévoilements des faits de violences. Ça fait 30 ans que je suis avocate, et il faut toujours expliquer aux gens les notions d’emprise, de la dépendance. Il faut également lutter contre les stéréotypes concernant les féminicides qui restent largement répandus : les féminicides touchent toutes les classes sociales, partout en France, de la ruralité à la grande ville. Ça n’a rien à voir avec la pauvreté comme on peut parfois l’entendre ».

L’avocate l’admet : oui il y a du positif depuis 2010, il y a eu la création du Téléphone Grave Danger, les bracelets électroniques d’éloignement, qui interviennent cependant après condamnation… Mais ce n’est pas suffisant : « Oui il y a des progrès, mais ils ne sont pas à la hauteur de la gravité des violences. Nous en sommes toujours au cas où nous attendons de graves violences physiques pour prendre en charge les victimes, mais les violences sexuelles, psychologiques, ne sont pas assez reconnues. Elles font pourtant partie du continuum des féminicides. »

Que changer ? Que faire ? « Il faut moins de classements sans suite, il faut assigner les bracelets anti-rapprochements de façon quasi systématique, il faut multiplier les outils de protection dans la chaîne pénale, au commissariat ou à l’hôpital. En bref, nous avons besoin de beaucoup plus de moyens pour lutter contre les féminicides » conclut Maître Steyer.

En 2021, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, le nombre de féminicides augmentait de 20 % en France par rapport à 2020. Le 31 juillet 2023, pour la 75ème fois de l’année, une femme était victime de féminicide. Une femme était tuée, parce qu’elle était une femme.

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