Ethique dans le sport : « Il faut se donner des ambitions budgétaires et politiques » demande Marie-George Buffet
Violences sexistes et sexuelles (VSS), discriminations, scandales de corruption, affrontements entre supporters. Ces dernières années, le monde sportif n’a pas été épargné par les scandales à répétition. Interrogés par les sénateurs, Marie-George Buffet et Stéphane Diagana, co-présidents du comité national pour renforcer l’éthique et la vie démocratique dans le sport, ont souligné l’importance de se donner des « ambitions budgétaires et politiques ».
Lors de leur audition par la Commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport ce mercredi 15 février 2024, sur les bases de leur rapport « Pour un sport plus démocratique, plus éthique et plus protecteur », Marie-George Buffet et Stéphane Diagana ont été interrogés par les sénateurs sur leurs propositions visant à apporter des réponses structurelles aux difficultés traversées ces derniers mois par le monde du sport. L’occasion pour l’ancienne Ministre de la Jeunesse et des Sports de Lionel Jospin d’alerter sur les « dérives » et les « violences » au sein du mouvement sportif et la nécessité de redonner au sport la place que ce dernier se doit d’avoir dans le débat public.
Pour lutter contre ces différents fléaux, la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra a souhaité mettre en place un groupe de 12 personnalités qualifiées, anciens sportifs, élus et acteurs du monde du sport, afin d’établir des propositions structurées autour de trois axes : « une gouvernance du sport plus éthique », « une meilleure vitalité démocratique au sein de ses instances » et « une protection renforcée des pratiquantes et des pratiquants, notamment contre toutes les formes de violences et de discriminations ». Le rapport, remis en décembre 2023, a établi 37 propositions pour répondre à ces enjeux, propositions sur lesquelles sont revenus les deux co-présidents du Comité.
Un mouvement sportif « fragilisé »
Dans son propos introductif, Marie-George Buffet a tenu à souligner les différentes « fragilités » rencontrées par le mouvement sportif égrenant tour à tour « une modification de l’engagement bénévole qui n’est plus sur la durée », « une financiarisation du sport professionnel sans toujours les règles de transparence financière allant de pair, « une instrumentalisation politique et géopolitique », « le recul de la présence de l’Etat », mais également les « dérives » du secteur qui est, selon l’ancienne ministre de la Jeunesse et des Sports, « mal outillé sur les questions éthiques ».
Constat partagé par l’ancien champion du monde du 400 mètres haies, Stéphane Diagana, qui déplore un « retard en la matière en raison d’un mouvement sportif bénévole parfois trop peu sensibilisé à ces questions (…), qui avance malheureusement au gré des scandales ». S’il salue « des avancées majeures » sur le sujet des VSS, avec la création de la cellule Signal-Sports qui permet à tout agent de l’Etat, témoin direct ou indirect de VSS au sein des services, établissements et fédérations sportives de « saisir immédiatement le procureur de la République via un signalement », il critique ses « compétences limitées » puisqu’elle « ne peut pas elle-même prendre des mesures d’interdiction ou de suspension de licence ».
Sur le sujet spécifique des VSS, une des solutions envisagées par le comité vise à « renforcer l’action de l’Etat » qui passe par la création d’une autorité administrative indépendante (AAI) qui serait chargée de « gérer la prévention et le traitement des VSS dans le milieu sportif » face à la « tendance dans certaines fédérations à préserver la vitrine plutôt que la victime » selon les mots de Stéphane Diagana. « Il faut faire comprendre aux fédérations que les dérives ne sont pas du laisser-aller mais des crimes et des délits » abonde Marie-George Buffet qui se positionne pour la « création d’un comité d’éthique supra fédéral au sein du CNOSF (NDLR : Comité National Olympique et Sportif Français) avec une composition d’intervenants extérieurs pouvant intervenir dans les fédérations, là où les comités d’éthique fédéraux sont défaillants » avec un « droit d’auto-saisine ». En d’autres termes, celui-ci ne devrait pas attendre comme aujourd’hui que les présidents de fédération se saisissent eux-mêmes dans un contexte où des dysfonctionnements ont eu lieu au sein même de la présidence des fédérations, comme ce fut le cas pour les scandales de corruption au sein de la Fédération Française de Rugby (FFR).
« Le sport, grand absent du débat public »
L’audition des deux co-présidents du Comité s’est également penchée sur la place du sport dans le débat public. A ce titre, Marie-George Buffet dénonce l’inexistence de grandes lois gouvernementales depuis 2006, date de la loi visant à encadrer et protéger le métier d’arbitre. Si elle reconnaît des « avancées » obtenues grâce aux lois du 1er mars 2017 « visant à préserver l'éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel et à améliorer la compétitivité des clubs » et la loi du 2 mars 2022 « visant à démocratiser le sport en France », l’ancienne candidate aux élections présidentielles de 2007 souligne le « manque d’accompagnement quant à la mise en œuvre de ces lois ». « Tout cela ne peut fonctionner que si le ministère des Sports dispose des moyens d’accompagnement, de suivi et de contrôle des fédérations. Or, le ministère manque cruellement de moyens humains et financiers » cingle la prédécesseure d’Amélie Oudéa-Castéra, qui propose de passer le budget du ministère à 1% contre seulement 0.18% aujourd’hui.
« Renforcer la vie démocratique des fédérations, des ligues et des clubs est la première des priorités »
Pour les deux rapporteurs, les instances sportives sont confrontées aujourd’hui à un manque de démocratie interne sans lequel « le combat pour l’éthique sera difficile », regrettant que la participation démocratique soit « inexistante » en l’absence d’obligation de participer aux assemblées ordinaires. Cette carence est également visible au sein même des fédérations sportives, invitant à se questionner sur la démocratie interne : « Le comité souhaite la participation des différents courants de pensée à l’administration de la fédération » par un mode d’élection similaire à celui des mairies via des listes à la proportionnelle, de la « transparence des décisions des bureaux exécutifs », la limitation des mandats de présidents de fédération « à 3 consécutifs ». Interrogée sur la constitution d’une loi-cadre (en d’autres termes, une loi chargée de définir les grands principes ou orientations d’une politique publique à venir), Marie-George Buffet souhaite que celle-ci prenne à bras le corps cet enjeu démocratique. « On a besoin du renouvellement » lance-t-elle rappelant que « seulement 10% » des présidents d’associations ou de fédérations sortants sont battus aux élections.
Ce manque de démocratie interne préoccupe également certains élus qui dénoncent une certaine opacité financière au détriment des collectivités : « Certaines fédérations augmentent régulièrement la cotisation annuelle que les clubs affiliés doivent leur verser », « montant parfois égal à ce qui leur est versé par leur commune. Cela revient à faire supporter indirectement le financement des clubs sportifs locaux aux communes qui de surcroît mettent à titre grâcieux leurs équipements sportifs à disposition des clubs » regrette de son côté le sénateur LR d’Indre-et-Loire, Jean-Gérard Paumier.
« Développer l’emploi qualifié au sein du mouvement sportif »
Le deuxième chantier pour le Comité a trait à « renforcer la parité et l’attractivité » au sein du monde sportif, qui passe selon les propositions rapportées par un « renforcement des compétences » et une « indemnisation des dirigeants bénévoles » sur le modèle de la rémunération des maires. « Sur les plus de 360 000 associations sportives, 90% n’ont aucun salarié » constate Marie-George Buffet, qui plaide pour la mise en place d’une grille « permettant à des dirigeants de s’engager tout en ayant des responsabilités dans les mouvements sportifs ».
Cette attractivité va également de pair avec la parité face à un secteur encore trop peu ouvert aux femmes, constat encore plus prégnant au sein des directions : « encore seulement 39% de femmes dans les licenciés » et « seulement 16% des femmes sont présidentes d’associations » détaille l’ancienne députée pour qui « nous avons encore le poids des mentalités au niveau de l’accès des filles et des femmes à la pratique sportive ».
En outre, cette montée en compétence des acteurs du monde sportif (dirigeants, entraîneurs, bénévoles) ne peut s’opérer sans un grand travail de « formation ». « Les acteurs sont volontaires mais démunis » déplore Stéphane Diagana, qui plaide pour la création d’un institut qui serait chargé de « dispenser des formations aux dirigeants ». « Nous avons besoin que nos bénévoles gagnent en compétence par l’accès à la formation en ayant des décharges horaires mais nous devons développer l’emploi qualifié au sein du mouvement sportif » abonde Marie-George Buffet. Interrogée également par le sénateur LR de l’Isère, Michel Savin sur l’absence du terme « laïcité » au sein du rapport, elle a tenu à clarifier son point de vue sur le sujet : « Nous devons mener le combat pour le respect de la laïcité dans le monde sportif », ajoutant « regretter l’attitude du président de la FIFA pendant la Coupe du monde féminine » (NDLR : qui s’était « félicité » au nom de la liberté des femmes qu’une joueuse porte un vêtement religieux). « Le corps d’une femme n’est pas à cacher » martèle l’ancienne ministre de la Jeunesse et des Sports.
Veiller « au respect de l’intégrité physique et psychique de l’individu »
Enfin (et surtout), les co-présidents du Comité ont abordé les questions éthiques autour du bien-être des athlètes dans leur pratique sportive. A ce titre, Stéphane Diagana a souhaité rappeler que « beaucoup de violences s’inscrivent dans la pratique d’un projet de performance ». Si en tant qu’ancien athlète de haut niveau, il estime la « culture de performance » comme un enjeu central de la pratique sportive, celui qui est aussi Président du Nice Côte d’Azur Athlétisme estime que celle-ci « doit être étendue au bien-être moral et psychique des pratiquants ».
« Nous devons assurer au jeune athlète une scolarité, puis à l’athlète de haut niveau, un double projet incluant une carrière professionnelle en plus de sa carrière sportive » plaide Marie-George Buffet en réponse aux inquiétudes du sénateur Bernard Filiaire quant aux sportifs qui « restent au bord du chemin ». « Si on ne travaille pas leur avenir, la tentation d’obtenir le résultat de manière non respectueuse de l’individu va apparaître justifiée » conclut l’ancienne ministre des Sports.
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