Comment avez-vous réagi à l’annonce de la panthéonisation de Mélinée et Missak Manouchian, ce dimanche ?
J’étais présent à la cérémonie de commémoration du 18 juin, en tant que sénateur des Hauts-de-Seine, mais aussi en tant que membre du petit comité qui a porté ce dossier. Le Président de la République est venu nous voir pour échanger avec nous et nous expliquer comment nous serions associés lors de la cérémonie du 21 février prochain, pour les 80 ans de l’exécution du groupe Manouchian, le 21 février 1944.
Rendre hommage à la mémoire de ces Résistants, c’est aussi rendre hommage à leur combat, et répondre au courant révisionniste qui tend à montrer que Vichy a été un bon régime. C’est la police de Vichy qui a traqué ces Résistants et les a livrés aux Allemands. J’entends du côté de l’extrême droite et de Zemmour, comme cet ignoble commentaire de Stéphane Courtois sur CNews, que ce n’étaient que des communistes, pas des bons Résistants. Mais ce que la Nation a dit hier, unanimement, c’était que ce sont des héros français.
« Etrangers et nos frères pourtant », selon les mots du poème d’Aragon…
Cela fait partie du débat que l’on a depuis 1789 sur ce qu’est la Nation. C’est une construction politique, et c’est ce qu’ont parfaitement montré, jusqu’au sacrifice suprême, les membres du groupe Manouchian. Ils avaient une certaine idée de la France, qui est plus grande qu’eux
C’est important de montrer la filiation totale entre le régime de Vichy et le programme de l’extrême droite française depuis l’Affaire Dreyfus, qui se base sur une conception de la nationalité d’ordre raciale. Pour eux, il existe une race française, et quand on est étranger – et juif surtout – on ne peut pas appartenir à cette Nation française. L’Action française utilise l’expression « Français de papiers », et l’extrême droite française est toujours sur le même positionnement idéologique : je ne les entends jamais expliquer que la Nation est une construction politique
Il y a deux camps : un camp républicain, qui n’est pas seulement celui de la gauche, et un camp qui a toujours été antirépublicain, anti-Révolution, et anti-droits de l’Homme. C’est ce camp-là qui est responsable de l’exécution de Manouchian, il faut le rappeler. C’est cette idéologie qui conduit aux crimes de masse, à la Shoah et à l’exécution de Manouchian
Missak Manouchian va être panthéonisé avec Mélinée Manouchian, son épouse, elle-aussi Résistante. C’est un symbole important sur la place des femmes dans la mémoire de la Résistance ?
Tout à fait. Mélinée n’était pas dans le même réseau, la FTP-MOI, et elle n’a pas joué de rôle militaire. Mais il y avait bien d’autres actions, de transports, de renseignements, d’informations. Olga Bancic prenait, elle, part à la Résistance armée et était la seule femme du groupe Manouchian. Elle a été arrêtée en même temps que lui, et décapitée en Allemagne, quelques mois plus tard. Elle était réfugiée de Bessarabie, une région de l’actuelle Moldavie, et a fui les Pogroms, pour s’engager dans la Résistance parisienne.
Elle a eu un rôle militaire de premier plan et symbolise une caractéristique importante du groupe Manouchian et de la Résistance. Dans ces étrangers morts pour la France, on oublie souvent que la plupart étaient juifs. Le mouvement juif a joué un rôle fondamental dans la Résistance parisienne. La communauté juive n’a pas accepté sans se battre le sort terrible qui lui était fait. La plupart des Résistants de la FTP-MOI, ce sont des gens qui ont fui l’antisémitisme et le fascisme, qui venaient l’Italie ou d’Espagne et qui ont vécu dans leur chair la lutte antifasciste. Ils sont venus poursuive le combat en France, même si une guerre civile ce n’est pas la clandestinité. C’est à la fois plus simple et plus compliqué, surtout en zone Nord et à Paris, où l’enjeu politique était maximal, il fallait faire un exemple.
Derrière Manouchian il y a tout ça, il ne rentre pas seul au Panthéon.
Cette panthéonisation revêt donc aussi une signification politique ?
La FTP-MOI a été grossie des rangs de jeunes gens qui ont vu rafler leur parent dans la Rafle du Vel d’hiv et qui s’engagent militairement. C’était un groupe de combat qui voulait porter le feu contre l’Occupant à Paris. C’est aussi ce qui explique leur sort tragique : le combat était totalement inégal. En 1943, on dénombre 60 résistants dans la FTP MOI contre plus de 100 agents de la préfecture pour les traquer. Il s’agit de faire un exemple et de les décimer. Ce sont des centaines de jours de traque, de filature, de repérage. Ces combattants se savaient suivis et savaient les risques qu’ils prenaient
Les historiens ont montré que Missak Manouchian, notamment, se savait condamné s’il continuait. Mais ces gens pensaient que chasser l’Occupant nazi était la première étape vers quelque chose d’autre, un combat pour une société meilleure. Ils ont combattu pour la patrie parce qu’ils étaient patriotes, mais aussi dans l’espoir d’une société nouvelle.