Mesnil Amelot: Visite du Centre de Retention Administrative

En visite au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot, la sénatrice Anne Souyris dénonce une « voie sans issue »

Depuis sa nomination, le ministre de l’Intérieur multiplie les annonces pour lutter contre l’immigration clandestine. Bruno Retailleau propose notamment d’augmenter la durée maximale d’enfermement en centre de rétention administrative. Une mesure qui se heurte aux difficultés administratives, aux conditions de vie dégradées des retenus, mais aussi au manque d’effectifs. Reportage au CRA du Mesnil-Amelot avec la sénatrice écologiste Anne Souyris.
Rose Amélie Becel

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À deux pas de l’aéroport de Roissy – Charles de Gaulle, le centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot voit défiler les personnalités politiques. Il y a une semaine, c’est Bruno Retailleau qui y était en visite, notamment pour annoncer le déploiement d’une « task force » visant à accélérer la construction de 1 000 places supplémentaires dans les centres, portant leur nombre à 3 000 d’ici 2027. Ce vendredi 18 octobre, c’est la sénatrice écologiste Anne Souyris qui se présente devant les grilles de l’établissement de Seine-et-Marne. La situation est tendue, l’élue de Paris met près d’une heure à pénétrer dans le premier bâtiment du centre. Elle ne le sait pas encore, mais un retenu est décédé d’un arrêt cardiaque dans la nuit. Quelques jours plus tôt, un autre a tenté de mettre fin à ses jours.

Divisé en deux bâtiments, le CRA du Mesnil-Amelot peut accueillir au maximum 240 personnes. Depuis cet été, ce ne sont que des hommes. Le quartier « familles » du centre, où étaient retenues des femmes, a en effet laissé sa place à un espace « Jeux Olympiques ». Comme dans les 24 autres centres du pays, les retenus du Mesnil-Amelot sont en situation irrégulière et enfermés ici dans l’attente de leur expulsion du territoire. Tous font l’objet d’une mesure administrative d’éloignement. Au Mesnil-Amelot, la grande majorité est visée par une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

« Il n’y a jamais de solution, même quand ils sortent ils peuvent être de nouveau arrêtés »

C’est notamment le cas de Mourad M. . En France depuis 2000, cela fait deux mois que ce père de cinq enfants est retenu au CRA. Depuis une cour grillagée, dans le bruit permanent des avions qui décollent et atterrissent non loin, il échange avec la sénatrice sur les circonstances de son arrestation. « Moi, c’était pendant l’olympiade. Je sortais de la mosquée, je me suis fait arrêter par des policiers espagnols. Ils m’ont dit que je n’avais pas renouvelé mon titre de séjour. J’ai vu le juge qui m’a dit que j’étais en rétention pour 26 jours. On attend toujours le consulat, qui ne répond pas », explique Mourad M. .

Après quatre jours de rétention, face à l’impossibilité de procéder à l’éloignement, un juge peut en effet autoriser la prolongation de celle-ci pour 26 jours, puis pour 30 jours de plus, et ainsi de suite jusqu’à 90 jours maximum. Principale cause de ces prolongations de rétention : le refus des pays d’origine de délivrer un laissez-passer consulaire, nécessaire pour procéder aux éloignements. Conscients du levier que représentent ces laissez-passer, plusieurs pays n’hésitent pas à couper le robinet. « En 2023, l’Algérie a obtenu 205 853 visas, et elle n’a repris que 2 191 de ses ressortissants, dont 1 680 en éloignement forcé. Ce n’est pas acceptable », décomptait par exemple Bruno Retailleau dans les colonnes du Figaro Magazine.

Après 90 jours en CRA, les retenus qui n’ont pas été expulsés sont libérés. C’est alors un cercle vicieux qui s’engage. « Dans un mois on va me dire de partir parce que le consulat n’a pas répondu, mais ce n’est pas une solution. L’OQTF elle dure toujours. Ça veut dire qu’un jour, tu marches dans la rue, on te rattrape, et le lendemain tu reviens ici », raconte Mourad M. . De cet échange avec le père de famille, Anne Souyris ressort avec l’impression d’une « voie sans issue » : « Ça n’a pas de sens. Il y en a qui ne savent même pas pourquoi ils sont là, qui arrivent après un simple contrôle d’identité. Il n’y a jamais de solution, même quand ils sortent, ils peuvent être de nouveau arrêtés. C’est sans fin. »

« On enferme surtout des personnes jugées indésirables, pas des personnes expulsables »

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. « Ici, je ne sais pas combien de personnes sont éloignées au final. Peut-être 20 %. La majorité est libérée ou en prison pour des délits », observe l’un des agents de la police aux frontières qui encadre la visite de la sénatrice. Selon le rapport annuel de la Cimade, l’une des quatre associations mandatées par l’État pour accompagner les retenus dans les CRA, en 2023 seuls 36 % des près de 17 000 étrangers placés dans ces centres en métropole ont été expulsés. Un chiffre actuellement en baisse. En 2021, 42 % des personnes enfermées avaient été expulsées.

Pour la Cimade, qui fustige régulièrement le « détournement sécuritaire » de l’usage des CRA, cette chute importante du taux d’éloignement a un responsable tout désigné : le ministère de l’Intérieur. « Ces chiffres s’expliquent notamment par la multiplication des instructions pour prioriser le placement en rétention de personnes qui pourraient causer des troubles à l’ordre public. On enferme surtout des personnes jugées indésirables, pas des personnes expulsables », dénonce Paul Chiron, chargé des actions juridiques à la Cimade.

Dans son entretien au Figaro Magazine puis devant les députés de la commission des lois, Bruno Retailleau a affirmé vouloir prolonger le délai de rétention jusqu’à 210 jours pour « les crimes les plus graves ». Si toutes les personnes retenues dans les CRA n’ont pas commis de crimes ou de délits (la majorité y est placée après un simple contrôle de police), près de 26 % d’entre elles sont en effet retenues après un passage en prison, selon les chiffres de la Cimade pour 2023. Dans ce cas, la rétention de 210 jours est déjà possible pour des faits de nature terroriste, le ministre de l’Intérieur souhaite ainsi l’élargir à d’autres crimes, notamment sexuels. Une réponse au meurtre de la jeune Philippine mi-septembre, dont le principal suspect a séjourné en CRA après une condamnation pour viol, puis été libéré. Une « fausse mesure », estime Anne Souyris après ses échanges avec plusieurs retenus du Mesnil-Amelot : « Je viens de parler à un retenu qui a été enfermé dans sept centres différents. À partir du moment où les 90 jours de rétention peuvent se répéter à l’envi, ce n’est pas une solution. »

« La souffrance psychique est manifeste, presque tous les retenus prennent des médicaments »

Dans les faits, l’allongement de la durée de rétention se heurte aussi à une autre réalité, moins administrative. Sol jonché de déchets, odeurs d’urine, draps déchirés, portes des chambres sans verrous et ouvertes en permanence sur l’extérieur malgré le froid… Les retenus vivent au CRA dans des conditions sommaires. Dans un rapport publié il y a un an, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté épinglait déjà les conditions « gravement attentatoires à la dignité et aux droits fondamentaux » de la rétention dans les CRA du Mesnil-Amelot, de Sète, de Metz et de Lyon. Au Mesnil-Amelot, Dominique Simonnot décrivait ainsi des locaux « vétustes ou dégradés, insuffisamment entretenus », « pas de porte d’armoires, des tables sans chaise, des matelas sans housse, des murs lépreux ».

« On n’a plus de télé depuis deux mois », s’exclame un groupe de retenus au passage d’Anne Souyris, à qui le responsable adjoint du centre explique qu’elles sont régulièrement dégradées. « Vous faites quoi de vos journées ? », les questionne la sénatrice. « C’est la galère. Il n’y a rien. Toute la journée on fait du sport, on discute… Je préfère la prison au centre », lui répond un homme. « À côté, la prison c’est Byzance », confirme ironiquement l’élue écologiste, « il y a de la formation, on peut faire quelque chose, avoir un avenir. Ici, il n’y a pas d’avenir. »

Retenus dans des conditions sanitaires dégradées, sans perspectives, nombreux voient leur santé se détériorer. « La souffrance psychique est manifeste », témoigne Anne Souyris après sa rencontre avec l’équipe médicale du centre, « presque tous les retenus prennent des médicaments. Pour supporter cette vie, il faut prendre des médicaments, il faut oublier qu’on est là ». Niveau personnel médical, le CRA du Mesnil-Amelot est pourtant déjà mieux équipé que la moyenne. Un psychiatre, le seul de France à intervenir dans ce type d’établissements, y est présent deux fois par semaine. Âgé de 68 ans, il partira bientôt à la retraite, sans perspective pour le moment d’être remplacé.

Un manque de personnels médicaux et policiers

Un manque d’effectifs qui impacte fortement le suivi médical des retenus qui en ont besoin. Les infirmières du CRA, présentes au centre toute la semaine, assurent être régulièrement contraintes de reprogrammer les rendez-vous de certains d’entre eux, faute d’effectifs policiers suffisants pour les accompagner à l’hôpital. « Nous ne sommes pas assez nombreux, on passe nos journées à déplacer des effectifs de gauche à droite pour combler des trous », témoigne un agent de la police aux frontières.

Quelques heures après la visite de la sénatrice ce 18 octobre, suite au décès d’un retenu dans la nuit et à la tentative de suicide d’un autre quelques jours auparavant, un mouvement de contestation s’est emparé du CRA du Mesnil-Amelot. Plusieurs retenus auraient refusé de regagner leurs chambres, obligeant l’intervention de renforts de police extérieurs. « À quand des renforts dans nos CRA partout sur le territoire pour faire face à cette violence quotidienne », dénonce le syndicat de police Alliance sur les réseaux sociaux.

Au même moment, en déplacement à Menton avec le Premier ministre, Bruno Retailleau érigeait la simplification des procédures parmi ses priorités en matière d’immigration. « Aujourd’hui, on meurt de procédures qui sont trop lourdes. Les douaniers, les policiers, qui devraient être sur le terrain sont affectés aux procédures », déplorait-il. Pour le moment, si le projet de budget pour 2025 prévoit une augmentation des crédits de près de 600 millions d’euros pour la mission « sécurité » dont dépendent la police et la gendarmerie, aucune hausse des effectifs n’est prévue.

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