Nanterre : Violences et affrontements entre police et manifestants.

Emeutes : « La carte des émeutes ne correspond pas du tout à celle de 2005 où les émeutes avaient clairement lieu dans les quartiers les plus pauvres »

Après une troisième nuit d’émeutes, entre le 29 et le 30 juin, les événements se rapprochent de plus en plus de la situation des émeutes de 2005. La mort de Nahel, âgé de 17 ans, tué par un policier, à Nanterre, après un refus d’obtempérer suscite émotion et colère à travers toute la France. Annie Fourcaut, professeur émérite à l’Université Paris Panthéon Sorbonne, historienne spécialiste du développement des banlieues et de l’histoire du grand Paris dresse un parallèle à géométrie variable avec les émeutes de 2005. Entretien.
Henri Clavier

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Dans quelle continuité historique s’inscrivent les événements faisant suite à la mort de Nahel à Nanterre, notamment par rapport aux émeutes de 2005 ?

Il y a une crise de fond dans les banlieues qui a commencé dans les années 1990 et qui se manifeste de manière relativement régulière dans ce genre de situation. Le mécanisme est toujours le même, c’était le cas en 2005, en 2007 à Villiers le Bel aussi, il y a un drame, une réaction, des émeutes nocturnes et puis finalement un embrasement.

Les émeutiers reproduisent un schéma similaire à celui de 2005 ?

Les très jeunes émeutiers n’ont pas vécu ces émeutes ou alors étaient trop jeunes mais ils savent très bien ce qu’il s’est passé en 2005. Donc ces événements restent et imprègnent l’imaginaire de ces zones urbaines, ils sont dans la continuité. En 2005 et en 2007 on a aussi eu une révolte qui était authentique dans la mesure où elle était spontanée et provenait d’un sentiment profond d’indignation.

Est-ce qu’il n’y a pas un changement majeur dans la localisation des émeutes ?

Oui, les émeutes de cette semaine sont un peu différentes, il y a tout de suite eu une généralisation du mouvement à l’échelle nationale. Ensuite, on observe de nombreux incidents dans le cœur des villes, dans les centres-villes et même dans des villes de taille moyenne. La carte des émeutes ne correspond pas du tout à celle de 2005 où les émeutes avaient clairement lieu dans les quartiers les plus pauvres de France et exprimaient un sentiment de danger face aux forces de l’ordre, ainsi qu’un sentiment d’abandon. La carte des incidents actuels ne nous donne pas ces informations. Paris intramuros avait été épargné alors que là on observe de nombreux événements dans le centre de Paris. De manière générale, les événements ne sont plus circonscrits aux quartiers pauvres beaucoup d’incendies ont eu lieu dans des endroits qui d’habitude sont très calmes.

Comment peut-on interpréter la propagation du mouvement ?

Si le mécanisme est similaire aux autres périodes d’émeutes, il y a quand même des différences importantes qui semblent indiquer un certain nombre de changements. Cela part d’un drame auquel beaucoup peuvent s’identifier ce qui explique la propagation. En revanche, les actions sont plus violentes et plus délinquantes avec beaucoup de pillages. On installe des barricades parfois alors que personne ne passe. Il y a une volonté de prendre le contrôle de la rue. C’est une manière de défendre son territoire et cela se constate également à travers les bâtiments publics pris pour cible.

Pourquoi les jeunes de ces quartiers s’en prennent à des symboles comme les bâtiments publics ?

Il faut aussi comprendre que Nanterre connaît une très importante restructuration urbaine et qu’il existe un rejet important de cette politique notamment de la part des dealers qui veulent conserver leurs points de vente, donc les tensions existent depuis un moment. C’est un refus de la résidentialisation qui implique de créer des zones plus pavillonnaires, avec des immeubles moins hauts, des digicodes. C’est aussi un mouvement qui s’inscrit dans le refus de la gentrification. Ce n’est pas un sentiment majoritaire mais cela explique aussi pourquoi les émeutiers sont aussi jeunes, sont des garçons et souvent dans une situation scolaire compliquée. Par ailleurs, ils ne se sentent pas considérés par l’Etat et les différentes politiques publiques menées laissant donc la place à un important rejet.

Comment réagissent les habitants ?

On verra quelle sera la réaction sur le long terme c’est peut-être un peu dur à dire même s’il y a une certaine sidération. Mais, au moment des émeutes de 2005, les habitants exprimaient un soutien aux émeutes et se reconnaissaient dans ce drame. Mais au fur et à mesure, plus le mouvement a duré et plus les habitants ont commencé à le rejeter. Au bout d’un moment les habitants ont eux-mêmes subi des incendies, de la casse et des pillages donc ils se sont retournés. Il y a de très grandes chances que l’on soit dans une logique similaire actuellement.

 

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