Émeutes de juin 2023 : « On a vu une police beaucoup plus violente qu’en 2005 »

Ce 7 février, la mission d’information sur les émeutes de juin 2023 auditionnait David Dufresne et Djigui Diarra. Pour les deux réalisateurs, dont les films traitent de violences policières, les révoltes qui ont embrasé la France après la mort du jeune Nahel s’expliquent aussi par des relations dégradées entre habitants et forces de l’ordre.
Rose-Amélie Bécel

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Ce 7 février, la mission d’information sénatoriale sur les émeutes de juin 2023 auditionnait les réalisateurs David Dufresne et Djigui Diarra. Une audition particulière, dans le cadre de cette commission d’enquête chargée d’établir le profil et les motivations des émeutiers ainsi que l’ampleur des dommages de ces révoltes, puisqu’elle cherchait à recueillir le point de vue d’acteurs de la culture sur ces événements.

Réalisateur d’un court-métrage de fiction sur une famille victime de violences policières, Djigui Diarra a donné le ton dès l’ouverture de l’audition : « Je parle bien de violences policières et non de bavures, parce que le mot bavures insinue que c’est une erreur. Mais quand c’est constant, voire systémique, cela s’appelle des violences, des crimes policiers ».

« Dans une démocratie, c’est l’État qui détermine le niveau de violence »

Rapporteur de cette mission d’information, le sénateur Les Républicains François-Noël Buffet a interrogé les réalisateurs sur les différences qu’ils percevaient entre les émeutes de 2005 et de 2023. « Ce qui caractérise les événements de 2023, c’est la violence extrêmement forte des émeutiers à l’égard de la police, avec la volonté de blesser voire de tuer. Cela semble très nouveau par rapport à ce qu’il s’est passé en 2005 », a-t-il fait remarquer.

Pour David Dufresne, qui s’est penché dans ses documentaires sur les évolutions du maintien de l’ordre depuis les années 1970, « l’intensité de la violence » de 2023 n’est en effet pas comparable avec celle de 2005. Mais, pour le réalisateur, cette flambée des violences est notamment à mettre sur le compte des choix de l’Etat dans sa doctrine du maintien de l’ordre : « On a aussi vu une police beaucoup plus violente qu’en 2005. Il faut avoir en tête, les travaux sociologiques le montrent, que dans une démocratie c’est l’État qui détermine le niveau de violence. On en a eu un exemple très clair avec les manifestations d’agriculteurs il y a dix jours. »

Parmi les événements qui ont attisé la violence selon David Dufresne, la présence du Raid et du GIGN, « des services de police qui n’ont rien à faire dans le maintien de l’ordre » et « qui ont provoqué des morts et des blessés ». Trois policiers du Raid ont en effet été mis en examen suite à la mort de Mohamed B., dans la nuit du 1er au 2 juillet à Marseille, une enquête a été ouverte auprès de l’IGPN. « Il faut apporter une solution à cette question des violences policières, pour sortir de cette situation de poudrière dans laquelle nous sommes en France depuis un moment », a demandé Djigui Diarra.

« Internet, les réseaux sociaux, cela a été le vecteur d’une escalade des deux côtés »

La mission d’information a également recueilli le sentiment des deux réalisateurs sur la place de la vidéo et des réseaux sociaux dans les émeutes de juin dernier. Les sénateurs accordent en effet une attention particulière au rôle des réseaux sociaux dans l’embrasement de juin dernier, ils ont à ce titre déjà auditionné les responsables juridiques de Twitter, Meta, TikTok et Snapchat.

Pour David Dufresne, qui était rédacteur en chef de la chaîne d’information en continu i-Télé (devenue CNews) en 2005, la place de l’image dans les émeutes ne date pas de 2023 : « Le rôle des images est central, à tel point qu’on a demandé à France Télévisions et à TF1 [en 2005] d’arrêter de faire chaque soir le palmarès du nombre de voitures brûlées, du nombre d’arrestations par villes… » Pour autant, le réalisateur estime que la circulation d’images sur les réseaux sociaux n’est pas responsable des flambées de violence. « La soif de l’image et de la reconnaissance anime les émeutiers comme elle anime toute la société. Croire, comme Emmanuel Macron l’a dit, que les émeutes ce sont les jeux vidéo et les réseaux sociaux, c’est faire acte – de mon point de vue – d’irresponsabilité », a-t-il dénoncé.

Là aussi, les réalisateurs ont pointé du doigt une responsabilité des forces de l’ordre dans l’embrasement sur les réseaux sociaux. « Internet, les réseaux sociaux, cela a été le vecteur d’une escalade des deux côtés. Quand on voit l’intensité des répressions policières en manifestation, les révoltés ont envie de répondre à ce qui a été proposé en face, et vice et versa », a estimé Djigui Diarra. De son côté, David Dufresne a également pointé du doigt la communication de certains syndicats de police pendant les émeutes, « qui ont eu des déclarations séditieuses et guerrières ». La mission d’information devrait rendre son rapport au mois de mars, elle entendra avant cela le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.

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