Le ministère de l’Education nationale a recensé sur le mois de septembre 313 atteintes à la laïcité dans les établissements scolaires du premier et du second degré. Elles émanent pour 82 % des élèves, et la grande majorité d’entre elles concernent le port de « signes et tenues » ostentatoires, précise l’administration dans un communiqué. La publication de données mensuelles, alors que les précédents pointages étaient effectués tous les trimestres, correspond à une promesse du ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, d’apporter davantage de « transparence » sur ce sujet. Si les comparaisons avec les dernières enquêtes sont donc à effectuer avec précaution puisqu’elles ne s’appuient pas sur la même échelle de temps, la hausse de différents indicateurs sur une période beaucoup plus courte semble bien confirmer l’accroissement du nombre de signalements déjà observé depuis plusieurs mois.
« Cette rentrée s’inscrit dans le niveau des signalements observés lors du précédent trimestre scolaire, qui en a recensé 904 d’avril à juillet 2022 », indique le ministère. 636 incidents avaient été reportés pour le premier trimestre 2022. Sur les 313 atteintes de septembre, 54 % des signalements ont donc trait à des « signes et tenues » religieuses, quand ils n’étaient que 41 % sur la période d’avril à juillet. « Depuis un an, le nombre de signalements relatifs à des tenues, disons islamiques, augmente », avait déjà annoncé Pap Ndiaye sur France 2, mardi 4 octobre. « Il y a le fameux phénomène des abayas [longue robe portée par-dessus les vêtements, et qui couvre l’ensemble du corps à l’exception des mains et du visage, ndlr]. Nous l’avons constaté à la rentrée, cela peut être sous-tendu par des agitateurs professionnels qui ne veulent ni de bien à l’école ni à la République, nous ne sommes pas naïfs là-dessus », a-t-il précisé.
Dans un long entretien au journal Le Monde publié ce jeudi, à quelques jours du second anniversaire de l’assassinat de Samuel Paty, le locataire de la rue de Grenelle pointe notamment le rôle de certains influenceurs islamiques, qui se servent des réseaux sociaux pour prêcher un islam intégral. « Nous travaillons avec le ministère de l’Intérieur sur ce point. La République est plus forte que TikTok », assure Pap Ndiaye. Des propos qui font écho à une note du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) rédigée fin août, dont le contenu a été dévoilé par l’Express, et qui alerte sur une nouvelle tendance de la sphère islamiste, utilisant TikTok et Twitter pour relayer auprès des jeunes utilisateurs différents stratagèmes de contournement de la laïcité à l’école.
Les conséquences d’« une offensive politique à l’échelle de l’Europe »
Une explication que le sénateur communiste Pierre Ouzoulias, vice-président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, trouve un peu courte : « Cette situation n’est pas le seul fait de Tik Tok ou de quelques influenceurs mais trahit une stratégie nationale de contestation, par les milieux islamistes, de la loi de 2004 sur les signes d’appartenance religieuse. C’est une évidence ! », lâche-t-il auprès de Public Sénat, évoquant « une offensive politique orchestrée à l’échelle de l’Europe » et pilotée par certains réseaux islamistes. Un constat également dressé par la sénatrice UDI de l’Orne, Nathalie Goulet, en pointe sur les questions de radicalisation, qui rappelle le tollé soulevé à l’automne dernier par la campagne du Conseil de l’Europe sur le port du hijab. « Il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. On attire depuis des années l’attention sur le grignotage de l’Islam radical dans de nombreuses structures, éducatives et sportives notamment. La France est en train de se briser sur le mur du communautarisme. » Pierre Ouzoulias relève toutefois que ces phénomènes de repli « concernent aussi pour une partie les milieux catholiques intégristes ».
Mercredi, à l’occasion de la séance de questions au gouvernement, Pap Ndiaye a redit son attachement à la loi de 2004, qu’il entend faire respecter « fermement et avec transparence ». « Des paroles mais pas d’actes », raille la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio, auteur d’un rapport sur la radicalisation islamiste. « Nous sommes incapables de travailler de manière claire sur le sujet, et tout le monde s’engouffre dans nos faiblesses et nos ambiguïtés. Je ne vois pas, par exemple, pourquoi on laisse rentrer dans les établissements les élèves voilées pour essayer de leur faire entendre raison. Elles devraient être systématiquement renvoyées chez elles. Ce n’est pas de la discrimination, ce sont des gens qui ne respectent pas la loi et la laïcité. Point », martèle l’élue. « Pour moi, il y a deux socles à préserver, là où sont formés les futurs citoyens français : le sport et l’école ». Plus nuancé, Pierre Ouzoulias estime que « la faiblesse du camp républicain » réside dans son incapacité à faire de la laïcité un élément positif d’émancipation. « Elle est le meilleur moyen de protection des libertés de conscience, mais les jeunes générations continuent de la considérer de manière contraignante comme une forme de neutralité qui chercherait à effacer leur personnalité. »
« Les jeunes gens en recherche d’identité peuvent trouver dans la bigoterie une forme d’affirmation de soi »
Autre enseignement des chiffres publiés par le ministre de l’Intérieur : le bond des signalements dans les lycées (51 % des faits répertoriés, contre seulement 30 % avant les grandes vacances), lorsque la majorité des atteintes était jusqu’alors cantonnée au collège (51 % entre avril et juillet, contre 36 % en septembre). 13 % des signalements ont lieu dans le premier degré (contre 19 %). « Certaines jeunes filles qui passent du collège au lycée ont pu se voiler pendant les vacances parce qu’elles ont passé du temps avec un acteur communautaire. », tente d’expliquer Nathalie Goulet, qui évoque aussi une actualité internationale qui a pu exacerber les postures sur ces questions : « Il n’y a pas de logique dans la vision communautariste et l’on assiste à des paradoxes déchirants entre ces femmes iraniennes qui retirent leur voile et des jeunes femmes françaises qui en ont fait un argument politique. » « Cette hausse chez les lycéens peut être liée à la crise de l’adolescence. Les jeunes gens en recherche d’identité peuvent trouver dans la bigoterie une forme d’affirmation de soi », abonde le sénateur Ouzoulias.
Concernant les autres signalements, 8 % sont liés à une suspicion de prosélytisme, 7 % à une contestation d’enseignement (contre 10 % au deuxième trimestre), 7 % à un refus d’activité scolaire (contre 13 %), 7 % à des revendications communautaires (contre 5 %), 5 % à des provocations verbales (contre 7 %), 2 % à un refus des valeurs républicaines (contre 3 %) et 10 % à d’autres types d’atteintes à la laïcité (contre 14 %). Par ailleurs, les chiffres doivent être rapportés à ceux de la scolarité en France, l’ensemble des atteintes à la laïcité signalées en septembre ne concerne que 0,01 % des 12 millions d’élèves inscrits dans 59 260 établissements. « Est-ce que toutes les atteintes sont systématiquement signalées ? Je n’en sais rien. Mais selon moi, leur nombre doit être bien plus élevé », avance Jacqueline Eustache-Brinio.
Au-delà du volet répressif, la nécessité d’une politique plus globale
Mises en place par Jean-Michel Blanquer, les équipes Valeurs de la République, chargées dans chaque académie d’épauler les établissements qui font face à ce type de problème, ont reçu 221 demandes de conseils en septembre, contre 493 entre avril et juillet. Mais pour les sénateurs interrogés par Public Sénat, le dispositif se heurte à un phénomène qui trouve ses racines en dehors de l’école. « Les atteintes à la laïcité en milieu scolaire ne sont que l’effet de causes plus lointaines. Il faut penser le problème de manière globale, c’est toute une chaîne qu’il faut revoir : l’accompagnement social des familles, les prêches d’imams, etc. »
La loi du 24 août 2021, confortant les principes de la République, visait à lutter de manière plus globale contre les atteintes à la laïcité et à la citoyenneté, mais pour Pierre Ouzoulias, ce texte, trop centré sur le volet répressif, n’est pas assez transversal. « Il faut une politique interministérielle, sinon ce sera un échec. Les problèmes de l’école peuvent aussi se résoudre par une politique de la ville, en luttant contre les ségrégations spatiales et le manque de mixité. On ne peut pas demander aux enseignants de réparer ce que la République a cassé un peu partout pendant des années », soupire-t-il. Et de citer Jean Jaurès : « La République doit être laïque et sociale mais restera laïque parce qu’elle aura su être sociale. »