Illustrations : Creche Max Jacob

« Devoir de visite » des pères : une idée accueillie tièdement au Sénat

Dans son entretien au magazine Elle du 8 mai, Emmanuel Macron évoque la possibilité d’instaurer un « devoir de visite » pour les pères. La mesure n’a pas séduit les associations et laisse sur leur faim les sénatrices qui ont travaillé sur le sujet des familles monoparentales.
Mathilde Nutarelli

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D’un entretien long de plusieurs pages, c’est la phrase qui a fait le plus parler. Dans une interview accordée au magazine Elle paru le 8 mai, Emmanuel Macron évoque un « un devoir de visite, un devoir de suivi, d’éducation » pour les pères. Le Président était interrogé sur les moyens pour venir en aide aux familles monoparentales, composées à 82 % par des femmes et cumulant plus que les autres les difficultés (logement, pauvreté, emploi, mode de garde, …). « On a laissé les hommes s’exonérer de tous leurs devoirs de parentalité », a-t-il affirmé. Il propose donc de repenser les droits et les devoirs des pères, pour qu’ils poursuivent un « projet parental », au-delà de la séparation du couple.

« Obliger quelqu’un à exercer un devoir de visite, alors qu’il ne le souhaite pas, peut créer une situation inconfortable »

L’expression « devoir de visite » n’est pas passée inaperçue. Et elle n’a pas complètement convaincu les associations et les collectifs de familles monoparentales. La Fédération syndicale des familles monoparentales (FSFM) a affirmé à l’AFP être « preneuse de ce débat pour bien définir les contours de ce qu’‘impliquer davantage les pères’pourrait vouloir dire ». Pour autant, elle a alerté : « Obliger quelqu’un à exercer un devoir de visite, alors qu’il ne le souhaite pas, peut créer une situation inconfortable. Cela peut même mettre l’enfant en danger ». D’autres associations, comme le Collectifs des mères isolées et Justice des familles, ont attiré l’attention sur l’impact sur les enfants d’une telle mesure. Dans une tribune à Libération du 11 mai, les deux collectifs remettent en question le système actuel, qui permet à des pères « abandonniques » d’avoir leur mot à dire dans les décisions concernant leur enfant comme un déménagement ou l’inscription à l’école, alors que la mère est soumise à un devoir de représentation de l’enfant. Ils doutent néanmoins de la pertinence de la vision d’Emmanuel Macron : « Un enfant n’a en aucun cas besoin ‘d’un papa et d’une maman’, n’en déplaise à la Manif pour tous. Un enfant a besoin d’être aimé, compris et accompagné sur le chemin de l’âge adulte », écrivent-ils.

« Il faut s’attaquer à la précarité »

Au Sénat aussi, la proposition du Président est accueillie tièdement. D’autant que la Chambre haute a travaillé récemment sur le sujet des familles monoparentales. La délégation aux droits des femmes a en effet remis en mars dernier un rapport sur les familles monoparentales, intitulé « Familles monoparentales : pour un changement des représentations sociales ». Parmi les dix recommandations, aucune sur le devoir de visite des pères. En revanche, les autrices préconisent de revaloriser les pensions alimentaires, ou encore de créer une carte pour les familles monoparentales. « J’entends que les mots ont du sens et que le ‘droit de visite’pose question », réagit Colombe Brossel, sénatrice socialiste de Paris et coautrice du rapport, « mais si on ne s’attaque qu’aux mots, on ne traite pas tous les problèmes. Il faut s’attaquer à la précarité. Le diagnostic est étayé et connu. Le sujet ce ne sont pas les pères, mais le fait que le taux de pauvreté est de 46 % pour les enfants vivant seuls avec leur mère alors qu’il est de 22 % pour ceux qui vivent avec leur père ».

La présidente de la délégation aux droits des femmes, la centriste Dominique Vérien, partage le constat de sa collègue socialiste : « En tant que féministe, on ne peut pas demander aux pères de davantage s’occuper des enfants et ne pas vouloir de devoir de visite. Mais il faut les responsabiliser, et cela ne passe pas forcément par un devoir de visite. Cela peut concerner le paiement d’une pension alimentaire revalorisée. Il est important de rappeler que quand on a un enfant, on a des devoirs vis-à-vis de lui ». Elle exclut d’office du « devoir de visite » les pères violents ou « indélicats », qui se servent des enfants comme moyen de pression sur la mère. Mais même pour ceux-là, « ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de contact qu’il n’y a pas de devoir envers les enfants ». La sénatrice insiste sur la revalorisation des pensions alimentaires et le recouvrement des impayés. Depuis janvier 2021, l’ARIPA (Agence de recouvrement de l’impayé des pensions alimentaires) permet au parent de recevoir sa pension alimentaire via ce service de la Caisse des allocations familiales, qui assure le recouvrement auprès du parent débiteur en cas d’impayé et qui permet au parent créancier de la toucher quand même. C’est un système récent, mais qui fonctionne bien, pour Dominique Vérien. Plus qu’un devoir de visite, c’est donc un devoir de prise en compte des difficultés financières des familles parentales par la société que demandent les sénatrices.

Le « devoir de visite » des pères, une certaine conception de la famille

Au-delà de l’aspect matériel, c’est l’aspect symbolique qui dérange la gauche dans la récente proposition du Président. Déplorer que la société ait « accepté l’absence de rôle des pères », qu’est-ce que cela veut dire ? Une famille a-t-elle nécessairement besoin d’un père ? Un père absent est-il un bon père pour un enfant ? « Cela pose la question de la reconnaissance de l’existence des familles monoparentales », analyse Colombe Brossel, « alors qu’elles représentent un quart des familles aujourd’hui ». Dans un entretien à Elle du 10 mai, la sénatrice socialiste du Val-de-Marne et ancienne ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, Laurence Rossignol, répond : « Dire qu’il suffirait d’un père pour que tout aille bien, c’est ce qu’on retrouve chez tous les penseurs conservateurs. Or, dans bon nombre de familles monoparentales, la mère incarne très bien l’autorité aussi. Il n’y a pas besoin d’être un homme pour ça ». L’élue demande d’ailleurs l’organisation d’un débat au Parlement après l’entretien du Président du 8 mai.

La proposition d’Emmanuel Macron d’instaurer un « devoir de visite » est donc loin de faire consensus. Mais elle traduit la place de plus en plus importante accordée aux familles monoparentales dans l’espace public, et en particulier à celles conduites par des femmes.

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