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Des sénateurs effarés par les négociations sur le tarif des consultations médicales : « La Sécu se moque du monde ! »

Les négociations pour la nouvelle convention médicale ne devraient pas aboutir, les tarifs de consultation proposés par la Sécurité sociale ayant déjà été rejetés par deux syndicats. Auprès de Public Sénat, plusieurs sénateurs médecins, issus de bords politiques différents, dénoncent les « propositions indécentes » de la Caisse nationale d’assurance maladie et estiment que le ministre, François Braun, a cédé à des exigences comptables.
Romain David

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Les négociations pluriannuelles entre les médecins et la Sécurité sociale menacent de tourner court. Les propositions faites par la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) sur un nouveau tarif des consultations ont été retoquées par deux syndicats majoritaires – MG France pour les généralistes et Avenir Spé-Le Bloc pour les spécialistes – sur les six organisations représentatives qui participent aux discussions pour la mise en place d’une nouvelle convention médicale. La Cnam a mis sur la table une grille à deux vitesses : une hausse de 1,50 euro du tarif de la consultation pour l’ensemble des praticiens, elle passerait ainsi de 25 à 26,50 euros pour les généralistes. Mais aussi la possibilité pour ces derniers d’un tarif à 30 euros, s’ils acceptent de souscrire à un contrat « d’engagement territorial », c’est-à-dire de s’engager sur plusieurs mesures pour lutter contre la désertification médicale. À cette fin, ce document présente une liste de dispositions (accueillir des patients le samedi, participer à des gardes, etc.) regroupées sous trois thématiques : l’augmentation de l’offre médicale, l’accès financier aux soins et la participation aux besoins de soins du territoire.

Les syndicats qui ont manifesté leur opposition dénoncent une augmentation de la charge de travail des médecins, couplée à un risque de dévalorisation de la profession, car ils estiment que le principe « d’engagement » laisse entendre qu’ils ne travaillent pas assez. Quant à l’augmentation générale du tarif de la consultation à 26,50 euros – un effort qui pourrait coûter 1,5 milliard d’euros à l’Etat – elle est jugée insuffisante au regard des sommes injectées dans les établissements de santé à l’issue du Grenelle. Désormais, les chances pour la négociation de sortir de l’impasse, avant l’échéance fixée à mardi soir, semblent bien maigres.

Une hausse dérisoire

« Le constat est simple : nous avons d’un côté des syndicats habitués à négocier et à pratiquer le compromis, de l’autre un gouvernement qui n’entend rien. Cette situation est la marque de l’incapacité de l’exécutif à passer des accords, sur fond de propositions indécentes », dénonce auprès de Public Sénat le sénateur socialiste de Paris Bernard Jomier, lui-même généraliste de profession. « Une augmentation de 6 % ne couvre même pas la hausse des charges liée à l’inflation. », ajoute l’élu. De leur côté, les syndicats réclamaient une revalorisation de 30 %, « une revendication à laquelle le gouvernement aurait pu céder en l’échelonnant sur plusieurs années, ce qui se fait habituellement », note encore Bernard Jomier. « Je ne comprends pas comment Thomas Fatome, le directeur de la Cnam, a pu faire une telle proposition. La Sécu se moque du monde ! », s’étrangle le sénateur Les Républicain Bernard Bonne, lui aussi médecin et membre de la commission des Affaires sociales. « Je ne manquerais pas de lui faire savoir à sa prochaine audition devant le Sénat. »

« À titre personnel, je pense que 1,50 euro, c’est un peu bas. Je rappelle que le tarif de la consultation n’a pas connu d’augmentation depuis 2017 », commente, avec plus de nuances, le sénateur Les Indépendants Daniel Chasseing. « De la même manière, pour la prise en charge de certains engagements territoriaux, les 30 euros me paraissent un peu bas, sans aller jusqu’au doublement du tarif de la consultation comme certains le demandent ». À l’automne, le collectif « Médecins pour demain », à l’origine du mouvement de grève des libéraux lancés après Noël », avait pris de court les syndicats en réclamant une hausse significative du tarif de la consultation de base, de 25 à 50 euros, et une revalorisation des consultations dites « complexes ». « Il ne faut pas non plus exagérer », ajoute Daniel Chasseing. « On aurait pu pousser jusqu’à 28 euros », glisse un autre parlementaire qui a souhaité conserver l’anonymat pour « ne pas interférer avec un boulot qui est celui des syndicats ».

« Nous avons un ministre trop faible face à la Cnam et aux exigences de Bercy »

« Les syndicats de médecins ne sont pas responsables », s’est agacé François Braun, le ministre de la Santé, ce lundi matin au micro de France Inter. « 26,50 euros, ce n’est pas du tout la valeur de la consultation. Un médecin a plus de 20 % de son revenu qui est fait de forfait, payé par l’Assurance maladie, ce qui fait une consultation de base à 36,50 euros », a-t-il expliqué. « La rémunération moyenne d’un médecin généraliste est de 90 000 euros par an », a-t-il encore voulu rappeler. « On oublie trop souvent de dire qu’ils ont fait dix ans d’études, qu’ils ont des responsabilités extraordinaires et qu’ils font généralement bien plus de 35 heures par semaine », lui objecte Bernard Bonne.

Bernard Jomier reproche au ministre, malgré sa bonne connaissance du terrain en tant qu’ancien urgentiste, de raisonner selon une logique comptable depuis sa nomination au gouvernement. « Le problème, c’est que nous avons un ministre trop faible face à la Cnam et aux exigences de Bercy. Il peut encore y avoir une reprise des négociations, mais pour cela, il va falloir que François Braun se fasse entendre et impose son propre cadrage », pointe-t-il. « On ne peut pas faire de médecine avec Bercy. Arrêtons de penser argent dès qu’il est question de santé », abonde le sénateur Bonne. « J’ai du mal à croire qu’il puisse soutenir cela. À tout du moins, il pouvait éviter de s’exprimer sur la question. Rien ne l’obligeait à prendre la parole à la radio », ajoute-t-il.

« Rajouter 1,50 euro, on pourrait considérer que c’est ridicule, mais c’est plus que ce que l’on n’a jamais fait dans les conventions médicales précédentes », a encore plaidé François Braun sur France Inter. « Arrêtons de dire que l’Etat ne fait rien et que le gouvernement méprise les médecins, c’est insupportable d’entendre ça ! »

« Il faut aussi savoir pourquoi l’on devient médecin. Nous avons des devoirs »

Dans les couloirs du Sénat, où l’on a longuement travaillé sur la question des déserts médicaux, le principe d’« engagement territorial » suscite pour le moins l’incompréhension. « Les médecins sont des professionnels qui travaillent déjà énormément, et qui subissent une pression grandissante du fait de la pénurie. Il faut entendre l’exaspération totale des médecins que traduit la rupture des négociations », défend Bernard Jomier. « Ce que propose la Cnam est une provocation, qui fait fi de tout ce que nous proposons depuis des années », s’agace encore Bernard Bonne. En 2021, le dernier rapport produit par la Chambre Haute sur cette question, copiloté par le sénateur Philippe Mouiller (LR) et la sénatrice Patricia Schillinger (Renaissance), préconisait la mise en place de mesures incitatives pour favoriser l’installation dans les territoires déshérités et un renforcement de la collaboration entre les différents acteurs des politiques de santé à l’échelon local, notamment les Agences régionales et les collectivités territoriales.

» Lire aussi – Déserts médicaux : plus d’un quart des enfants vivent sans pédiatre à proximité

« Demander plus d’engagements aux médecins me paraît normal, il faut qu’ils reprennent en charge des soins non-programmés. Certes, cela implique davantage de travail. Obligatoirement, c’est une charge supplémentaire. Mais il faut aussi savoir pourquoi l’on devient médecin. Nous avons des devoirs », se démarque toutefois le sénateur Daniel Chasseing. À 77 ans, ce médecin de profession a repris les consultations dans sa commune corrézienne de Chamberet, dont il est le dernier généraliste. Il est toutefois à la recherche d’un remplaçant deux jours par semaine, pour mieux concilier la prise en charge de sa patientèle avec son travail parlementaire.

« Travailler sur des engagements de ce type me paraît être une bonne piste pour lutter contre la désertification médicale », défend encore l’élu, qui porte un regard plutôt critique sur le dernier texte examiné par le Parlement pour lutter contre la pénurie de médecins : la proposition de loi dite « Rist ». Ce texte, qui a braqué une partie de la profession, a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale et le Sénat mais dans deux versions différentes. Il introduit un accès direct aux infirmiers en pratique avancée (IPA), aux kinésithérapeutes et aux orthophonistes. Il élargit également les compétences de plusieurs professions paramédicales. Daniel Chasseing y voit un risque pour le continuum de santé : « Les médecins sont majoritairement favorables à la présence d’IPA pour les épauler, mais si le patient peut directement appeler une IPA, comment s’assurer qu’il y a une vraie coordination avec le médecin traitant ? »

Vers un règlement arbitral

Si les négociations pour une nouvelle convention entre les médecins et la Sécurité sociale n’aboutissent pas – hypothèse la plus probable à ce stade –, le Code de la Sécurité sociale prévoit la nomination d’un arbitre, « désigné par l’Union nationale des caisses d’assurance maladie et au moins une organisation syndicale représentative des professionnels de santé libéraux concernés ». Cet arbitre aura trois mois pour soumettre aux ministères un projet de règlement, dont l’objectif premier est de permettre le remboursement des assurés sociaux en l’absence de convention. « Il ne faut pas essayer de faire croire qu’il s’agit d’une personnalité neutre, on sait bien que derrière un règlement arbitral, c’est souvent le gouvernement qui garde la main », observe Bernard Jomier. « Il faut maintenir le système conventionnel, il est précieux. Certes, il ne permet pas de résoudre les difficultés territoriales que nous rencontrons, mais il est le garant d’un bon accès social aux soins », souligne-t-il. Valable cinq ans, le règlement arbitral n’en reste pas moins une solution provisoire. Le Code de la Sécurité sociale indique que les négociations en vue d’une nouvelle convention devront s’ouvrir deux ans « au plus tard » après son entrée en vigueur.

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