Définition pénale du viol : « Le droit français n’est plus adapté »

La délégation aux droits des femmes du Sénat organisait une matinée de débat autour de l’opportunité d’introduire la notion de consentement dans la définition pénale du viol. Pour la majorité des intervenants, cette notion est partout dans l’enquête et dans la procédure, sauf dans la loi.
Simon Barbarit

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A quelques jours de la journée internationale de l’élimination de la violence à l’égard des femmes, était organisée, ce jeudi, au Sénat une matinée de débats autour de l’opportunité d’introduire la notion de consentement dans la définition pénale du viol. « La question de l’évolution du droit pénal en matière de viol est complexe et ne fait aujourd’hui pas consensus, ni entre juristes, ni entre militantes politiques, ni entre juristes », a rappelé en introduction, Dominique Vérien (centriste), présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat, l’origine de cette table ronde. La suite de la matinée va d’ailleurs lui donner raison.

Avant d’aller plus loin, s’impose un petit rappel de l’état du droit. Actuellement l’article 222-23 du code pénal définit le viol comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». La notion de consentement n’y est donc pas mentionnée. La France a pourtant ratifié en 2011 la convention d’Istanbul sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique qui caractérise le viol comme « la pénétration vaginale, anale ou orale non consentie, à caractère sexuel, du corps d’autrui avec toute partie du corps ou avec un objet ».

En mars dernier, Emmanuel Macron avait exprimé son intention d’inscrire dans le droit français la notion d’absence de consentement en matière de viol, dans un échange filmé avec l’association, « Choisir la cause des femmes », fondée par Gisèle Halimi. Il y a deux mois, le garde des Sceaux, Didier Migaud s’est aussi montré ouvert à une évolution de la définition du viol dans le code pénal afin d’y inscrire la notion de consentement.

Plusieurs propositions de loi ont été déposées pour introduire la notion de consentement dans le droit français. Au Sénat, c’est la sénatrice écologiste, Mélanie Vogel qui a déposé, l’année dernière, une proposition de loi visant à reconnaître l’absence de consentement comme élément constitutif de l’agression sexuelle et du viol.

La loi sur ce « crime de masse » doit « être modifiée », pour la rapporteure de la mission à l’Assemblée

Mercredi, en commission des lois à l’Assemblée, les députés ont rejeté un autre texte en ce sens porté par Sarah Legrain (LFI). La proposition de loi n’a pas recueilli le soutien de l’ensemble des autres groupes de gauche qui préfèrent attendre la fin du travail transpartisan mené depuis la fin 2023 par la délégation aux droits des femmes sur ce sujet. Invitée à participer à la table ronde, la rapporteure de la mission, la députée écologiste Marie-Charlotte Garin a indiqué avoir « acquis la conviction, quel que soit notre bord politique, que oui, la loi sur ce « crime de masse » devait « être modifiée ». Elle précise que l’objectif de la mission n’était « en aucun cas de remplacer la violence, la contrainte, la menace et la surprise » mais d’« élargir » le texte.

Françoise Kempf, administratrice du Groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Grevio), relève que « l’approche française » comme celle de l’Italie ou des Pays Bas, ou encore la Pologne, est celle d’une « loi fondée sur le recours à la force, la contrainte, l’intimidation, la menace ». « C’est une approche fondée sur une idée ancienne que les viols sont le plus souvent commis par un étranger à l’entourage de la victime. Or, on sait qu’un grand nombre des viols est en fait commis par des proches de la victime et qu’ils n’entraînent souvent pas de blessures visibles » […] Dans ce contexte, l’expérience des victimes de viol est peu prise en compte, notamment les réactions d’inhibition, de soumission ou encore d’attachement ». Françoise Kempf nuance, néanmoins. « La plupart des Etats partis à la Convention qui suivent cette approche ont mis en place dans le droit ou la jurisprudence une reconnaissance des situations qui invalident le consentement comme les états d’impuissance, de vulnérabilité ou d’abus ».

François Lavallière, premier vice-président au Tribunal Judiciaire de Rennes, maître de conférences associé en droit pénal à Sciences Po Rennes, coordinateur du pôle VIF (Violences intrafamiliales) l’a répété à plusieurs reprises : « Notre droit n’est plus adapté ». « S’agissant du viol et de l’agression sexuelle, je n’arrive pas à expliquer l’état actuel de notre droit français, si ce n’est en me référant à l’histoire et aux préjugés sexistes et patriarcaux qui continuent à prévaloir ». Le magistrat affirme ensuite « que prouver l’élément intentionnel » de l’infraction « est le plus difficile ». « S’il n’est pas possible de démontrer l’élément intentionnel, il n’y a pas de condamnation », insiste-t-il. Le fameux : « J’ai cru qu’elle était consentante », entendu pendant les semaines d’audience du procès Pelicot.

« Pourquoi ce téléphone est plus protégé que le corps et l’intégrité d’une femme ? »

« Il m’est souvent arrivé de dire aux victimes : Madame, je vous crois. Mais je ne peux pas, avec les éléments de la procédure et les exigences de la loi, condamner l’auteur […] Le consentement est partout dans l’enquête et dans la procédure, mais il n’est pas dans la loi […] Si la femme ne s’est pas opposée verbalement ou physiquement, les conditions pour tenir l’infraction sont très délicates », a-t-il témoigné. Joignant le geste à la parole, le magistrat se lève alors et s’empare du téléphone sénateur socialiste, Hussein Bourgi, posé sur la table. « J’ai volé un téléphone et pourtant, M. Le sénateur, vous n’avez rien dit. Pourquoi ce téléphone est plus protégé que le corps et l’intégrité d’une femme ? »

« On ne peut pas empêcher les gens de se défendre comme des porcs »

 

Laure Heinich, avocate au Barreau de Paris, a été la seule intervenante à s’opposer à une évolution du code pénal. « Ça ne changera rien aux classements sans suite » […] « Foutez-nous la paix avec les lois » […] Heureusement que vous êtes magistrat, M. Lavalière sinon j’aurais cru que vous nous preniez pour des débiles. C’est très large, la violence, la menace, la contrainte ou surprise […] La loi ne regarde pas la victime. C’est le rôle du magistrat de ne pas la poser (la question du consentement) et le rôle des avocats de la victime de s’y opposer si elle est posée », soutient-elle. L’avocate ajoute : « Vous parlez de l’emprise et de la sidération. Les juges savent mieux que nous, ce que c’est. Ce sont des éléments retenus par les magistrats ».

Laure Heinich s’appuie, elle aussi, sur le procès Mazan pour défendre son point de vue. « On ne peut pas empêcher les gens de se défendre mal, de se défendre comme des porcs […] Tout le monde dit n’importe quoi quand on est accusé […] En rajoutant la notion de consentement (dans la loi), ils vont dire : ‘’Bien sûr qu’elle était complètement d’accord. Elle me l’a dit’’. On ne sera pas plus avancé […] Il n’y a pas un juge qui ne va pas condamner dans l’affaire Pelicot. On a la contrainte et la surprise », soutient-elle ;

Sa consœur, Frédérique Pollet-Rouyer confirme que l’élément intentionnel, « principe fondamental du droit pénal », soulevé dans le procès Pelicot « relève d’une mauvaise application des textes ». « Mais très souvent. On a le récit de Madame. Et le récit de Monsieur qui dit : ‘’j’ai cru que, ou je ne pouvais pas savoir’’. Et, ça s’arrête là. C’est un classement sans suite. Dans le procès Pelicot, on est dans quelque chose de différent. D’abord, parce qu’on a une multiplicité des auteurs et des preuves accablantes ».

En conclusion, la députée, Marie-Charlotte Garin reconnaît qu’introduire la notion de consentement « ne va pas tout révolutionner » mais « c’est une première étape d’un chemin qui est long ». En 2023, 84 000 plaintes pour violences sexuelles ont été déposées. Selon les chiffres du Haut Conseil à l’égalité, moins de 10 % des victimes portent plainte contre leur agresseur. 75 % des plaintes aboutissent à un classement sans suite.

 

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