Commission d’enquête TikTok : « Il faut traiter les plateformes numériques comme des délégataires de service public » 

A l’approche de la conclusion de la commission d’enquête sur TikTok, les sénateurs auditionnaient Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, sur les risques de désinformation liés à TikTok.
Henri Clavier

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« Est-ce que c’est à la plateforme elle-même d’établir, a priori, qu’elles respectent des principes démocratiquement admis ? », s’interroge Christophe Deloire dans son propos introductif. Sans se concentrer sur le cas particulier de TikTok, le secrétaire général de Reporters sans frontières n’a pas opéré de distinctions précises entre les différentes plateformes numériques (comme Facebook ou Twitter) et leur impact sur la diffusion des informations.

« Le DSA porte sur la modération plutôt que sur les algorithmes, plutôt sur la frontière entre licite et illicite que sur l’organisation du licite »

« Il ne faut pas considérer que le problème des plateformes est uniquement lié à TikTok, ce n’est pas la seule plateforme à poser des difficultés en termes de surveillance », explique directement Christophe Deloire soucieux de souligner la globalité du phénomène. Deux règlements européens, le Digital Market Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA), doivent entrer en vigueur prochainement, le DSA pourrait avoir un impact majeur sur les contraintes pesant sur les plateformes numériques. Christophe Deloire reconnaît que « la législation européenne est en mouvement, le DMA et le DSA sont des avancées notables mais souffrent de fragilités. Le DSA porte sur la modération plutôt que sur les algorithmes, plutôt sur la frontière entre licite et illicite que sur l’organisation du licite ». Pour le secrétaire général de RSF, cette approche est un point faible du texte européen. En effet, en se concentrant sur la modération, le DSA ne remet pas en cause la possibilité pour l’algorithme d’une plateforme numérique de « pousser » le contenu fonctionnant le mieux, sans se soucier de la fiabilité de l’information.

 

« La fiabilité de l’information doit être prise en compte dans l’indexation algorithmique »

La difficulté réside donc dans le rôle attribué aux plateformes numériques dans l’organisation de l’information au sein de l’espace public. Christophe Deloire part du postulat que les réseaux sociaux et les plateformes numériques sont devenus les nouveaux « espaces publics ». De ce fait, RSF considère que l’algorithme ne peut pas reposer uniquement sur des considérations marchandes et estime que « la fiabilité de l’information doit être prise en compte dans l’indexation algorithmique elle-même, si on laisse les algorithmes répondre uniquement à des préoccupations marchandes, alors on accepte que notre espace public soit soumis à une logique marchande ». Au regard de la responsabilité qui pèse sur les plateformes numériques, « l’enjeu majeur est de leur imposer d’amplifier la visibilité des médias qui démontrent la fiabilité de leur information », explique Christophe Deloire en reprenant le raisonnement sur « l’organisation du licite ».

« L’éditeur a le droit de choisir l’information, je ne crois pas qu’on ait envie de ça pour les plateformes »

Néanmoins, en faisant des plateformes numériques les éditeurs du contenu proposé sur leur réseau, Christophe Deloire craint une véritable confusion des rôles. « Il faut maintenir la distinction entre les contenus journalistiques et la publicité, nous croyons que les plateformes numériques ne devraient pas être considérées comme un éditeur », détaille Christophe Deloire rappelant que « l’éditeur a le droit de choisir l’information, je ne crois pas qu’on ait envie de ça pour les plateformes. Il y a des choses sur lesquelles on ne veut pas qu’elles aient leur mot à dire. En effet, en l’absence d’un statut véritablement approprié, les plateformes numériques pourraient aisément privilégier du contenu publicitaire plutôt que journalistique puisque « dès lors que l’objet de la société est d’organiser l’information et qu’elle a besoin d’en tirer des revenus, ça soumet le modèle même à une approche marchande ».

« Nous croyons que comme les plateformes sont des bouts d’espace public, il faut leur donner des formes de neutralité »

Rappelant qu’à ce titre TikTok ne représente pas un danger plus important que ses concurrents, RSF plaide pour une approche centrée sur la responsabilité, de fait, des plateformes numériques. « Nous croyons que comme les plateformes sont des bouts d’espace public, il faut leur donner des formes de neutralité sur les questions politiques religieuses etc. TikTok est l’organisateur de son réseau, il est légitime que les institutions démocratiques s’intéressent au flux », développe Christophe Deloire.

L’analyse de RSF s’appuie également sur un constat souvent sous-estimé, les plateformes numériques sont devenues indispensables pour la transmission de l’information dans une société démocratique. Par conséquent, « il faut traiter les plateformes numériques comme des délégataires de service public », appuie Christophe Deloire. Une mise en garde contre toute forme de naïveté également puisque les plateformes numériques sont guidées par des priorités différentes de celles des Etats démocratiques et « dès qu’il s’agit de toucher au cœur du système, les plateformes refusent. Tout est du côté de l’avantage économique dans le choix de ces entreprises ».

 

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