Les messages d’alerte se succèdent. Moins d’un mois après la parution d’un nouveau rapport du GIEC, deux chiffres, publiés ce vendredi 22 avril à l’occasion de la Journée de la Terre, trahissent l’écart entre l’accélération du changement climatique, et le relatif manque d’intérêt d’une partie de l’opinion pour ce dossier brûlant, si l’on peut dire. D’un côté le dernier rapport du service européen sur le changement climatique, Copernicus, qui indique que l’été 2021 a été le plus chaud jamais enregistré sur le continent. Et de l’autre un sondage OpinionWay pour PrimesEnergie.fr, un organisme privé de financement de travaux de rénovation énergétique, qui révèle qu’un Français sur cinq serait climatosceptique. Dans cette enquête, 63 % des personnes interrogées considèrent que le réchauffement climatique n’est pas un sujet prioritaire par rapport à l’emploi, au pouvoir d’achat, à la santé ou encore à la sécurité.
Et pourtant, le continent européen n’a pas été épargné ces derniers mois : vague de chaleur, épisode de gel tardif, feux de forêt… Si l’année 2021, bien que marquée par un été record avec des températures estivales moyennes supérieures de 1 °C par rapport à la période 1991-2020, ne rentre pas dans le top 10 des années les plus chaudes sur le continent, elle a néanmoins vu s’enchaîner des épisodes climatiques extrêmement contrastés, pointe Copernicus. Et auxquels la France a payé un lourd tribut : entre les inondations de l’hiver 2020-2021 et l’épisode de gel tardif d’avril dernier, qui a impacté 80 % des vignobles et des arbres fruitiers de la vallée du Rhône. « Nous sommes aujourd’hui au début des premières manifestations tangibles du changement climatique. Nous observons en miniature ce que nous connaîtrons, à plus grande ampleur, demain », explique à Public Sénat Robert Vautard, climatologue, directeur de recherche au CNRS et directeur de l’Institut de recherches universitaires Pierre-Simon Laplace.
Les températures du globe ont augmenté de 1,1 à 1,2 °C en moyenne depuis l’ère préindustrielle. Pour l’Europe, cette hausse se situe plutôt autour des 2 °C, note Copernicus. Plusieurs chiffres pour l’année 2021 donnent le tournis. Entre juin et juillet, divers relevés de température à la surface de la Baltique étaient de 5 °C supérieurs à la moyenne. Le record de chaleur sur le continent a même été battu le 11 août dernier, avec 48,8 °C en Sicile. Peut-on dire que l’Europe se situe désormais en première ligne du réchauffement climatique ?
« Les conséquences du changement climatique dépendent aussi de la vulnérabilité des populations. C’est en ce sens que l’Europe pourrait être plus épargnée que certaines régions côtières d’Afrique ou que des petits pays insulaires d’Asie, même si l’on observe des disparités d’un pays à l’autre, et parfois d’une région à l’autre. L’Europe se trouve plutôt en deuxième ligne. L’Arctique se réchauffe trois fois plus vite que le reste du monde. De manière globale, les terres immergées se réchauffent plus vite que les océans, du fait de certains mécanismes, comme les phénomènes de sécheresse qui, par définition, n’existent pas en mer.
Les étés que nous connaissons depuis quelques années sont assez représentatifs de ce qui nous attend. Soit des vagues de chaleur, soit des pluies extrêmes. On a eu l’impression l’année dernière, en France, d’avoir un été peu chaud parce qu’il a beaucoup plus, mais le phénomène de ‘goutte froide’ qui a pesé sur l’Hexagone s’explique aussi parce que nos voisins connaissaient des températures extrêmes. Ce sont les deux faces d’une même pièce.
Vous évoquez les canicules. Elles restent les manifestations les plus prégnantes du réchauffement climatique en Europe. Durant l’été 2021, 800 000 hectares de terres sont partis en fumée autour de la Méditerranée, soit les feux de forêts les plus dévastateurs des 30 dernières années. Mais les experts de Copernicus évoquent la multiplication d’autres évènements extrêmes dans les années à venir. De quoi s’agit-il ?
Le principal phénomène reste celui des vagues de chaleurs qui, associées à de la sécheresse, auront des conséquences en cascade, comme cette augmentation du risque d’incendie. Mais, d’une manière plus générale, on peut dire que le pourtour méditerranéen concentre à lui seul l’essentiel des problèmes que le réchauffement climatique va poser au reste du monde. La diminution des pluies globales, et donc du cumul annuel, va s’accompagner assez paradoxalement d’une multiplication des phénomènes extrêmes, avec des risques accrus d’inondations. On observe aussi une baisse des vents qui pourrait poser des problèmes sur les ressources éoliennes, tandis que la fonte des neiges, dans les massifs, aura un impact sur le tourisme. On manque de données scientifiques pour établir des prévisions plus fiables sur les phénomènes atmosphériques liés à la convection, c’est-à-dire la grêle, les orages ou les tornades. Mais tout porte à croire qu’ils vont s’amplifier, tout comme les ‘médicanes’, des cyclones de type subtropicaux en Méditerranée.
Un sondage Opinionway nous apprend que 21 % des Français sont climatosceptiques, avec des différences importantes selon l’âge et la région d’habitation. 29 % des 35-49 ne croient pas au réchauffement climatique contre 14 % des 65 ans. Ils sont 26 % à le remettre en cause dans le Nord-Ouest (Normandie, Bretagne, Pays de la Loire et Centre-Val de Loire), contre 17 % dans le Sud-Ouest (Occitanie et Nouvelle-Aquitaine). Comment expliquer ces chiffres ?
Le nombre de climatosceptiques ne me surprend pas. Il est plus important dans d’autres pays, comme les Etats-Unis. En France, il ne s’agit pas d’une forme de complotisme, plutôt d’un manque de connaissance. Nous ne sommes pas assez allés vers les gens, le grand public. Nous n’avons pas assez inscrit la science de l’environnement et le changement climatique dans les programmes scolaires. La physique du climat peut très bien s’enseigner au collège. Il est urgent de prendre des décisions en ce sens.
Quant à savoir pourquoi il y a plus de climatosceptiques en Bretagne que dans le Sud, je serais tenté de dire qu’il y a peut-être une corrélation avec le mercure. Mais il faudrait une étude sociologique approfondie pour déterminer avec certitude les causes de cette disparité.
Toujours selon la même enquête, 63 % des Français considèrent que le réchauffement climatique n’est pas un sujet prioritaire. Alors que le rapport du GIEC publié début avril nous dit qu’il reste trois ans à l’humanité pour respecter l’objectif fixé par l’accord de Paris, on a l’impression que l’écologie a été l’un des parents pauvres de la présidentielle, éclipsée par la guerre en Ukraine et l’inflation. Pensez-vous que les responsables publics s’investissent suffisamment sur cette question ?
Il est un peu caricatural de dire qu’il ne nous reste que trois ans. C’est un raccourci qui aboutit à une forme de désespérance. Ce que dit le GIEC, c’est que nous avons encore trois années pour atteindre la fourchette haute de l’accord de Paris, sans avoir recours à de nouvelles formes d’ingénierie, comme, par exemple, des technologies de recapture du C02 libéré dans l’atmosphère. Plus on agit rapidement sur nos émissions, plus on aura de facilités pour contenir le réchauffement.
Pour le reste, je me garderai bien d’émettre un jugement politique à deux jours du second tour, mais il est un peu facile d’attaquer la classe politique. Sur ce sujet, nous sommes tous responsables. Les médias aussi ont un rôle à jouer. C’est un effort de l’ensemble de la société pour maintenir ce sujet sur le devant de la scène. »