Le phénomène se diffuse en Europe. Alors que le sujet des travailleurs des plateformes numériques mobilise de nombreux élus sur le continent, la plateforme de VTC Uber au Royaume-Uni va reconnaître, pour la première fois, le statut de travailleurs salariés à ses chauffeurs. Une première mondiale pour la société américaine, qui accorde ainsi à ses plus de 70 000 salariés anglais un salaire minimum et des congés payés. Une initiative qui fait suite à la décision de la Cour suprême britannique du 19 février dernier, qui avait estimé que les chauffeurs pouvaient être considérés comme des « travailleurs » et bénéficier ainsi de droits sociaux. Le 24 janvier, le parquet de Milan était parvenu à la même conclusion concernant les quelque 60 000 livreurs à vélo travaillant pour différentes plateformes numériques. Idem pour l’Espagne qui a requalifié, il y a quelques jours, les livreurs à vélo des plateformes en salariés.
« C’est une grande avancée, qui suit d’autres décisions de justice sur le sol européen », réagit le sénateur communiste spécialiste de la question Pascal Savoldelli. « Le diagnostic que nous avions posé au moment de présenter notre proposition de loi sur les travailleurs des plateformes est désormais reconnu : toutes les décisions de justice montrent qu’il existe bel et bien un rapport de subordination entre les travailleurs et les plateformes, c’est une avancée, et il faut s’en féliciter. » Car le sujet des travailleurs du numérique est récurrent à la Haute assemblée. En juin, une proposition de loi portée par le groupe communiste entendait placer les travailleurs des plateformes sous la protection du droit du travail. La majorité sénatoriale avait cependant voté contre. « A la lumière des décisions de justice, notre proposition apparaît plus pertinente que jamais », appuie le sénateur communiste. « Il faut que le Sénat rattrape son retard, la majorité sénatoriale doit revoir sa copie. Il y a maintenant une lisibilité juridique et sociale qui doit trouver un débouché politique. »
« Certaines plateformes sont un cheval de Troie »
Le 8 mars, c’est le groupe socialiste du Sénat qui avait repris le flambeau, déposant une proposition de loi sur la question visant à mettre fin à la précarité rencontrée par les travailleurs des plateformes. « Le gouvernement ne peut plus continuer à faire comme si le monde n’évoluait pas », tempête le sénateur socialiste Olivier Jacquin. « L’Angleterre, l’Italie, les Etats-Unis… Les décisions juridiques concernant les travailleurs des plateformes se succèdent, et le gouvernement continue à vouloir protéger les plateformes numériques plutôt que les personnes qui travaillent pour ces plateformes. » Et l’élu socialiste de fustiger le modèle de la start-up nation : « Chaque fois qu’une start-up sort une nouveauté, on oublie l’esprit critique et on applaudit des deux bras. Je ne suis pas anti-plateformes, ni anti-travailleurs indépendants, il existe de bonnes plateformes qui ne font pas pression sur le facteur travail, mais il y en a qui sont un véritable cheval de Troie dans notre société, et qui sont en train de casser notre modèle social et économique et de contribuer à créer des travailleurs pauvres. »
Forts de cette nouvelle vague de décisions de justice européenne, les sénateurs de gauche espèrent ainsi voir l’essai se transformer sur le territoire français, alors que les plateformes numériques prennent de plus en plus de place sur le marché du travail. « Nous espérons que cette avancée européenne ouvre la dynamique d’une construction législative majoritaire », conclut Pascal Savoldelli.