Il y a tout d’abord la question du timing de la maternité. Comment empiéter le moins possible sur le calendrier des entraînements et des compétitions ? Puis la bataille contre ceux et celles qui présument que la carrière d’une championne enceinte est de facto derrière elle. Les difficultés mentales et physiques pour retrouver son niveau d’avant la grossesse. Et enfin celles pour réussir à s’occuper de son enfant malgré les voyages, les stages d’entraînement, les compétitions, ou encore certains règlements de fédérations.
Quand le projet d’enfant devient plus fort que le désir de victoires
“A un moment donné, j’ai senti que mon plus gros objectif, c’était devenir maman. Ça prenait beaucoup plus de place que le désir de surfer une grosse vague de plus.” Dans sa maison de Nazaré au Portugal, où elle vit et s’entraîne, la multi championne de surf Justine Dupont, casquette vissée sur des cheveux bouclés et décolorés par l’eau de l’océan, revient sur cette “vague de vie”, comme elle dit, qui un jour a été plus forte que son désir insatiable de médailles. A 32 ans, au sommet de sa carrière, Justine décide d’avoir un enfant, tout en essayant – idéalement – que ce projet n’impacte pas trop le calendrier des compétitions et des entraînements. “Car en tant que femme dans le sport, c’est compliqué à gérer, explique-t-elle. Les hommes continuent à vivre, ça ne change rien à leur saison. Alors que moi je suis obligée d’abandonner à un moment donné, de me mettre en pause en tout cas”.
Un arrêt momentané qui semblait difficile voire impossible à l’épéiste Astrid Guyart, qui allait avoir 37 ans lors des Jeux de Tokyo en 2021. “Je me disais : si j’ai un enfant maintenant, je me demanderai éternellement ce que ça aurait donné si j’étais allée aux Jeux de Tokyo. Et si j’allais à Tokyo et qu’ensuite je n’arrivais pas à avoir d’enfant, cela serait une blessure à vie. J’avais l’impression de devoir choisir entre une hypothétique médaille olympique et un projet de famille… à quel moment ces deux choses peuvent se comparer ? C’est juste impossible…” se souvient-elle.
Par chance, la championne avait congelé ses ovocytes quelques années auparavant. “De toutes façons, si je ne l’avais pas fait, je pense que je n’aurais pas été assez disponible et légère pour réussir à me qualifier,” analyse-t-elle. Elle repousse donc cette envie de famille, rempile pour les Jeux, revient médaillée de bronze en équipe, et dès son retour du Japon, se replonge à corps perdu dans ce projet de grossesse. “J’ai fait des tentatives “naturelles” après les Jeux de Tokyo. Ça n’a pas marché. La seule fois où cela a fonctionné, ce sont avec mes ovocytes congelés de 2018. Si je n’avais pas eu ces œufs, ma fille n’existerait pas. Qu’est-ce que je suis heureuse de ne pas avoir eu à choisir entre les Jeux et mon enfant.”
La reprise de la compétition : un challenge mental et physique
Près de 20 ans plus tôt, en 2000, en décidant d’avoir un enfant en plein milieu de sa carrière, la championne d’escrime Laura Flessel fait face à un autre obstacle : le tabou pesant sur la maternité des sportives. “Je me suis rendu compte qu’à partir du moment où elles avaient envie de fonder une famille, toutes les sportives raccrochaient. Or je venais d’être médaillée de bronze aux JO de Sydney, il était hors de question que j’arrête ! Je suis donc partie dans une petite guerre, car les lois étaient écrites par les hommes pour les femmes : il fallait faire bouger les curseurs”. Celle que l’on surnomme “la guêpe” n’a qu’un rêve : remporter l’or, avec son bébé, aux championnats du monde l’année suivante. Elle programme son retour à la compétition quatre mois seulement après avoir accouché, et à l’automne 2001 à Nîmes, l’incroyable soutien du public la porte : “Les gens étaient heureux de revoir la Flessel maman, tout le monde prenait plaisir à m’encourager, se souvient-elle. Alors je me suis dit : fais-toi plaisir ! Et jusqu’à la finale, je suis restée dans le jeu.” Laura Flessel termine vice-championne du monde, et monte sur la deuxième marche du podium sa petite fille dans les bras. Une médaille d’argent à la saveur de l’or. “Je me suis dit, ce jour va rester comme un jour historique. J’ai bien fait de montrer que c’était possible. Pour moi c’était une belle réponse au monde du sport, tous ces hommes qui parlaient pour les femmes… Moi en l’occurrence je parlais pour moi-même et pour toutes les femmes qui ont suivi.”
L’escrimeuse ouvre la voie à d’autres, comme à la championne du monde de judo Clarisse Agbegnenou, maman d’une petite Athéna en juin 2022. Pour préparer au mieux sa reprise, la judokate continue sa préparation physique jusqu’à deux jours avant l’accouchement. “Je me sentais tellement mieux en m’entraînant, tellement bien dans mon corps, parfois j’oubliais même que j’étais enceinte.” Mais le retour est bien plus ardu que ce qu’elle avait anticipé.
“Quand on est athlète de haut niveau et qu’on a eu ce niveau de performance, on ne s’attend pas à descendre aussi bas. Retourner à l’entraînement et voir que je tombais beaucoup, que je n’y arrivais pas, c’était difficile.” Pourtant, onze mois après la naissance de sa fille, Clarisse Agbegnenou remporte son 6ème titre mondial. “Tout le monde me disait “Tu es allée vite.” Certes, je suis allée vite, mais cela a été très dur.” La notoriété de Clarisse Agbegnenou lui permet d’amorcer un autre combat au bord des tatamis : concilier compétitions, entraînements, et allaitement : “Je l’ai fait au feeling, je ne savais pas si cela serait possible. II a fallu s’adapter, trouver le juste milieu.” Une organisation mise en place grâce à la souplesse et à la compréhension de Ludovic Delacotte, l’entraîneur de l’équipe nationale. “C’est tout à fait possible, je dirais même que ça s’est fait naturellement, mais par contre tout était millimétré”, précise-t-il. Un équilibre pro-perso que Clarisse Agbegnenou savoure, très consciente des difficultés rencontrées par ses consoeurs moins renommées : “Moi, je suis médiatisée. Le plus dur, c’est de se battre pour que ça fonctionne pour tout le monde.”
Le plus gros défi : convaincre les fédérations et les sponsors
La maternité de l’athlète paralympique Manon Genest a en effet été plus compliquée à gérer. En 2023, à Doha, sa petite Juliette n’a que 15 mois quand Manon remporte la médaille de bronze aux championnats du monde d’athlétisme handisport. Mais derrière la belle histoire se cache un parcours semé d’embûches, et une victoire au goût amer : “Ce qu’on ne voit pas et ce qu’on ne verra jamais c’est ce qu’il se passe avant, derrière, dans les coulisses.” “Ces championnats du monde n’ont pas été tout roses, continue-t-elle. Je n’avais pas le droit d’allaiter dans l’hôtel où on logeait avec l’équipe de France, d’après une charte de ma fédération… On me demandait de l’allaiter en dehors. En dehors, c’était un logement que j’avais trouvé dans Paris, qui était assez loin. Ça faisait des contraintes de transports, c’était fatigant, pas serein. Alors j’ai dû l’allaiter dans la rue. Ça, aujourd’hui j’ose le dire. J’ai dû me soumettre à ça pour participer aux championnats du monde. Je ne voulais pas faire d’esclandre, je ne suis pas conflictuelle. Donc j’ai capitulé.”
La navigatrice Clarisse Cramer a elle aussi été victime de cette discrimination à l’encontre des mères athlètes. En février 2023, trois mois après la naissance de sa petite Mathilda, celle qui est alors la femme la plus rapide de l’histoire du Vendée Globe se voit écartée par son sponsor de l’époque, la Banque Populaire. “J’avais pris du retard à cause de ma grossesse. Pour mon ancien sponsor, je représentais un risque, celui de ne pas être sélectionnée pour le prochain Vendée Globe. Alors ils ont décidé de me remplacer par un autre skipper. Pourtant cela faisait un an et demi que nous étions engagés, et je n’avais jamais caché cette envie d’avoir un enfant.” Grâce au soutien du navigateur britannique Alex Thomson, Clarisse Cremer trouve rapidement un autre sponsor, mais l’épisode continue de la révolter. “On ne demande pas un passe-droit”, insiste la navigatrice. “On demande juste que ce soit possible.” “Quand tout le monde pourra vraiment se dire sereinement “Je sais que je peux avoir un enfant, et que derrière, je serai accompagnée pour mon retour à la compétition”, conclut Astrid Guyart, là on aura vraiment gagné. Là on aura fait changer la culture du sport en France.”
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