Suite à trois recours déposés contre le choc des savoirs, dont un par la sénatrice écologiste Monique de Marco, le rapporteur public du Conseil d’Etat demande d’annuler la mise en place des groupes de niveau au collège, soit le cœur de la réforme portée par Gabriel Attal. S’il faut encore attendre la décision du Conseil d’Etat, son avis pourrait être suivi.
Bruno Retailleau veut s’en prendre aux consommateurs de stupéfiants : « Effet d’annonce » ou « politique pénale ambitieuse ? »
Par Simon Barbarit
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On commence à en avoir l’habitude, Bruno Retailleau a une nouvelle fois fait part de son intention de renverser la table. Mercredi, lors des questions d’actualité au gouvernement du Sénat, le ministre de l’Intérieur a indiqué vouloir « changer de stratégie » dans la lutte contre le narcotrafic dont il compte faire une « grande cause nationale ». Celle-ci reposera sur deux dimensions. « La première dimension, et sans doute, je vais choquer ici, c’est la consommation de stupéfiants. Il n’y a pas d’offre quand il n’y a pas de demande. Il faut sortir de cette consommation dite récréative, un peu romantique », a-t-il tancé
La question de la pénalisation des consommateurs est revenue de manière surprenante dans le débat public cette semaine après les révélations entourant l’interpellation en flagrant délit d’achat de stupéfiants du député LFI de Loire-Atlantique, Andy Kerbrat. L’affaire a été très commentée par les responsables politiques. À gauche, les élus lui ont apporté leur soutien en saluant son combat contre l’addiction, un problème de santé publique qui touche toute la société.
« Je veux vous dire qu’au bout d’un joint, au bout d’un rail de coke, il y a des trafiquants, des proxénètes, des criminels […] Il faut que chacun soit responsabilisé », a, au contraire, fait valoir Bruno Retailleau, empruntant, au passage, le ton martial de son prédécesseur qui déclarait l’année dernière : « Quand on fume son cannabis ou qu’on prend son rail de coke, on est un peu responsable des règlements de comptes ».
« A quoi servent les amendes forfaitaires si elles ne sont pas accompagnées d’injonctions de soins ? »
Pourtant, depuis septembre 2020, deux mois après la prise de fonction de Gérald Darmanin à l’Intérieur, le gouvernement avait décidé de généraliser sur l’ensemble du territoire, l’amende forfaitaire délictuelle (AFD) pour usage de stupéfiants. Une amende 200 euros, minorée de 150 € si elle est payée dans les 15 jours et majorée à 450 € si elle n’est pas payée dans les 45 jours. Son règlement met fin aux poursuites. Jusqu’à une loi de 1970, l’usage de drogues était appréhendé en France uniquement comme un problème de santé publique. La loi du 31 décembre de 1970 a pénalisé pour la première fois les consommateurs, considérés à la fois comme malades et désormais comme délinquants. « L’usage illicite de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants » est un délit actuellement passible « d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende ».
« Le ministre de l’Intérieur a raison de vouloir impulser une politique pénale ambitieuse. Car notre arsenal juridique n’est pas adapté aux schémas de consommations. Il faut sortir des préjugés et de cette frontière artificielle : drogues dures drogues douces. Vous avez des usages durs de drogues douces, des polyconsommations… A quoi servent les amendes forfaitaires si elles ne sont pas accompagnées d’injonctions de soins ? Ces amendes ne peuvent de toute façon pas être dressées contre les mineurs. Il n’y a pratiquement pas de poursuites engagées pour usages de stupéfiants. Il faut revenir à l’esprit de la loi de 1970 en instaurant une forme de soin sous contrainte, revenir à l’efficacité de la sanction réelle », salue Béatrice Brugère, secrétaire générale du syndicat Unité Magistrats.
« Un effet d’annonce qui illustre son incapacité à régler le problème »
Du côté de la défense, Steve Ruben, avocat pénaliste, spécialistes des affaires de stupéfiants, ne voit dans les déclarations de Bruno Retailleau « qu’un effet d’annonce qui illustre son incapacité à régler le problème ». « Vous avez en France, 5 à 6 millions de consommateurs réguliers de cannabis, 600 000 consommateurs réguliers de cocaïne. Pour limiter l’importation de dizaines de tonnes de drogues chaque année, le ministre ne trouve rien de mieux à annoncer que s’attaquer aux consommateurs. Ça n’a pas de sens. Depuis quelques années et le recours à l’amende délictuelle, le mouvement se dirige vers la dépénalisation. La plupart des procédures pour consommation sont ignorées et il y a très peu d’injonctions thérapeutiques car les services d’addictologies sont débordés ».
L’année dernière, Emmanuel Macron avait tiré un bilan négatif du recours aux amendes forfaitaires. « 350 000 ont été dressées en France depuis septembre 2020, dont 29 000 à Marseille. Mais ce que nous avons constaté, c’est que comme le règlement se fait par télépaiement entre 45 jours et 60 jours, nous avons un taux de recouvrement de 35 %. Et c’est en dessous de cette moyenne à Marseille », avait-il déclaré.
« C’est du temps de fonctionnaire perdu pour rien »
« Les AFD ont permis de réduire l’activité des policiers qui n’interpellent les consommateurs que s’ils sont à proximité d’un point de deal afin de pouvoir remonter la filière », rappelle Linda Kebbab, policière et secrétaire nationale du syndicat UN1TÉ. La syndicaliste ne voit pas vraiment d’un bon œil une pénalisation plus accrue des consommateurs. « Les consommateurs ont leur part de responsabilité dans les trafics. Les interpeller peut, peut-être, en responsabiliser certains, mais les policiers déjà débordés ne pourront pas suivre. Et pénaliser les consommateurs sans action de prévention, et sans parcours de soins, c’est du temps de fonctionnaire perdu pour rien, ça ne fera pas baisser la consommation », tranche-t-elle.
« La légalisation du cannabis est la moins mauvaise des solutions »
Pour Gilbert-Luc Devinaz, sénateur socialiste, auteur d’une proposition de loi visant à légaliser la consommation récréative du cannabis, « la prohibition de ce produit empêche la mise en place d’une politique de santé publique. On ne peut pas travailler efficacement sur la prévention si on ne sait pas ce que consomment les gens ». « En visant les consommateurs, Bruno Retailleau s’inscrit dans les pas de son prédécesseur, et reste dans une logique très à droite. Mais c’est une impasse. La question qu’on ne se pose pas, c’est : pourquoi notre société conduit de plus en plus de gens à se droguer et je ne parle pas que de stupéfiants. On pourrait aussi évoquer de l’addiction à l’alcool. L’analyse que nous avions faite avec mes collègues qui ont signé ma proposition de loi, c’est que la légalisation du cannabis est la moins mauvaise des solutions. La dépénalisation, avec le recours à l’amende forfaitaire créé une injustice. Elle permet juste au fils de bourgeois de ne pas aller devant le tribunal », estime-t-il.
« Les AFD restent un outil de répression, car l’infraction est inscrite au casier judiciaire et est prise en compte en cas de récidive », appuie le sénateur LR, Etienne Blanc, rapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur le narcotrafic. Ce rapport transpartisan a d’ailleurs été cité par Bruno Retailleau, hier, dans l’hémicycle. Les propositions des élus, traduites dans un texte déposé cet été, portaient, toutefois, essentiellement, sur le haut du spectre du trafic. « C’est un système mafieux qui génère un chiffre d’affaires de 6 milliards d’euros par an. Nous n’avons pas voulu aborder la question de la consommation, de la dépénalisation, car ça nous aurait amenés à parler de prévention et d’enjeu de santé publique. Ce n’était pas exactement notre sujet », explique l’élu.
Certaines pistes visant les consommateurs dans ce rapport pourraient néanmoins inspirer le gouvernement. « On pourrait par exemple lever les difficultés juridiques pour faciliter la technique du ‘’coup d’achat’’ qui permet aux officiers de police judiciaire, dans le cadre d’une enquête, de se faire passer pour des dealers. Ils craignent actuellement d’être accusés de provocation à la commission de l’infraction », explique Etienne Blanc.
Enfin, à l’heure de coupes dans les dépenses publiques, y compris au sein du ministère de la justice, mettre l’accent sur la pénalisation des consommateurs pourrait se heurter à un mur budgétaire. « Ça peut aussi être, paradoxalement, un avantage et inciter le gouvernement à débloquer les saisies en créant par exemple « une injonction pour richesse inexpliquée » en cas de décorrélation entre les revenus perçus par un individu et son train de vie, que nous appelons de nos vœux. Si on arrivait à récupérer ne serait-ce que 20 % du narcotrafic, le problème des moyens est réglé », conclut Etienne Blanc.
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