Chaque mois, selon l’Arcom, 2,3 millions de mineurs se rendent sur des sites pornographiques, la moitié sont des enfants de moins de 15 ans. Ces sites ont pourtant l’obligation d’interdire l’accès des mineurs à leur contenu depuis 2020, grâce à un amendement déposé par la sénatrice Marie Mercier, dans la loi pour protéger les victimes de violences conjugales.
« On s’attaque à des plateformes très puissantes, avec un fonctionnement et des systèmes de défense complexes, à chaque fois que nous avançons on se rend compte qu’il y a des écueils », observe la sénatrice Les Républicains. Mais cette fois-ci pourrait bien être la bonne. À partir du samedi 11 janvier, les sites pornographiques seront obligés de vérifier l’âge de leurs utilisateurs, par le biais d’un système de contrôle anonyme mis en place par l’Arcom.
Les plateformes ont jusqu’au 11 avril pour se conformer à la règle, elles pourront ensuite être sanctionnées et risqueront jusqu’au blocage. « Cette nouvelle obligation, elle a aussi un fort poids symbolique », salue Marie Mercier, « chaque enfant qui tombera sur un site pornographique verra immédiatement qu’il n’est pas simple d’accéder à son contenu, chaque nouvelle barrière à l’entrée de ces sites est une avancée. »
Un système de vérification de l’âge qui respecte l’anonymat
À l’origine de cette obligation, la loi pour sécuriser l’espace numérique (SREN), promulguée au mois de mai dernier. Celle-ci a obligé l’Arcom à publier un référentiel d’identification précis, imposé aux sites X. Celui-ci, publié en octobre, repose sur le principe du « double anonymat », un mécanisme de vérification de l’âge qui respecte la vie privée.
Concrètement, quand un utilisateur se connecte, il procède à la vérification de son identité sur une plateforme extérieure, qui transmet elle-même les informations au site pornographique. D’un côté, le site pornographique dispose donc des informations sur l’âge de ses utilisateurs, sans pour autant connaître leur identité. D’un autre côté, à l’inverse, le prestataire connaît l’identité de l’utilisateur mais ne sait pas sur quel site celui-ci se connecte.
Ce principe du « double anonymat » faisait déjà partie des recommandations du rapport d’information du Sénat sur l’industrie pornographique, publié au mois de septembre 2022. « Désormais, l’Arcom aura le pouvoir de bloquer les sites qui ne respectent pas la loi, sans passer par le juge. Ce n’est pas anodin », se réjouit Annick Billon, sénatrice centriste et co-rapporteure de la mission d’information.
Les sites hébergés dans l’Union européenne, hors de France, échappent à la règle
Même avec ce nouveau dispositif de contrôle de l’âge des utilisateurs, il ne faut pour autant pas s’attendre à voir les sites frauduleux bloqués dès le 11 janvier. En réalité, les procédures de sanction devraient prendre du temps, plus de deux mois, entre l’identification du site et son blocage effectif. De nombreux sites devraient également passer au travers des mailles du filet : la mesure ne concerne pour l’instant que les sites hébergés en France ou hors de l’Union européenne. Pour les plateformes installées dans un autre pays européen, la France est dans l’attente d’une réponse de la Cour de justice de l’Union européenne.
« Pour le moment, au niveau européen, nous sommes toujours sous une jurisprudence qui considère que les sites pornos relèvent de la liberté d’entreprise. En France, on considère qu’ils sont du domaine de la santé publique », explique la sénatrice socialiste Laurence Rossignol, co-rapporteure de la mission d’information sur l’industrie du porno. Du point de vue européen, ces sites ne sont donc pour le moment pas dans l’obligation de respecter la loi française.
Pour véritablement lutter contre l’exposition des mineurs à la pornographie, il faudra donc porter le sujet au niveau européen et même international. « Il faut un sursaut mondial, la France est trop petite pour agir seule et l’Europe est trop faible », observe la sénatrice centriste Dominique Vérien. La présidente de la délégation aux droits des femmes annonce d’ailleurs que ce sujet sera directement porté par les parlementaires françaises à l’ONU, à l’occasion de la Commission de la condition de la femme des Nations unies (CSW), qui se tiendra du 10 au 21 mars prochain à New-York.