Après l’attaque au couteau perpétrée samedi, à Paris, par Armand Rajabpour-Miyandoab, Franco-Iranien de 26 ans radicalisé depuis 2015, qui a causé la mort d’un germano-philippin et blessé deux autres personnes, les réactions divergent sur les réponses à donner. L’homme, qui a été arrêté par la police, avait été soumis à une injonction de soins psychiatriques après avoir purgé une peine de prison de quatre ans pour un projet d’action violente en 2016. A sa sortie de prison, il a été suivi pendant 3 ans, jusqu’en avril 2023.
Gérald Darmanin veut « que les préfets, les policiers puissent exiger une injonction de soins »
Face à ce nouvel acte terroriste, le gouvernement ne semble pas exclure une modification législative. « Il y a eu manifestement un ratage psychiatrique, les médecins ont considéré à plusieurs reprises qu’il allait mieux », a affirmé ce lundi le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, sur BFMTV. Il souhaite par conséquent que les préfets puissent « obliger quelqu’un » à se « présenter devant un médecin psychiatre », parlant d’« injonctions administratives ». « Ce qu’il faut sans doute changer – on l’a vu autour de la première ministre – c’est que le pouvoir public, les préfets, les policiers puissent demander, exiger une injonction de soins, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui », a réclamé la veille, sur TF1, Gérald Darmanin.
De son côté, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a estimé que le parcours « médical, administratif et pénal » de l’auteur de l’attentat était « conforme à ce qui a été prescrit et à l’état du droit ». Ce qui pose, selon lui, la question de « l’adaptation du droit ».
Jordan Bardella veut « une rétention de sûreté » « à vie » pour les personnes condamnées pour terrorisme
Face à ce nouveau drame, l’extrême droite n’a pas tardé à réclamer un durcissement de la loi. Pour le président du RN, Jordan Bardella, la solution est d’appliquer « une rétention de sûreté » en matière terroriste, c’est-à-dire le placement dans un centre spécialisé d’un détenu après la fin de sa peine (lire notre article sur le sujet). De sorte qu’il ne sorte jamais, a-t-il été interrogé lors d’une conférence de presse ? « Pourquoi pas », a répondu le responsable du parti d’extrême droite. « A partir du moment où vous fomentez un attentat contre la France, que vous dormiez le reste de votre vie en prison, je trouve ça parfaitement normal », avance le numéro 1 du RN.
Dans cette affaire, « il n’y a pas de défaillance psychiatrique, il y a une défaillance politique de Gérald Darmanin et du gouvernement, qui accusent le pire bilan en matière sécuritaire », soutient Jordan Bardella. « Le sujet, ce n’est pas la psychiatrie, le sujet c’est l’islam radical. C’est extrêmement dangereux de détourner le débat et de créer une polémique dans la polémique », a insisté la tête de liste RN aux européennes, qui ajoute encore : « Je ne crois pas en la déradicalisation. Les islamistes d’hier et d’aujourd’hui seront les terroristes de demain ».
« Y avait-il besoin d’une loi post-Bataclan ? Oui. Aujourd’hui, il y a besoin d’une loi pré-JO » demande Marc-Philippe Daubresse (LR)
Chez les sénateurs LR, ce crime est bien l’occasion de durcir la législation. Mais pour le sénateur Marc-Philippe Daubresse, qui a travaillé sur le sujet, il ne faut ni des mesures psychiatriques telles qu’avancées par Gérald Darmanin – « ce sont des mesures ersatz qui ne garantiront rien et ne suffiront pas » – ni une rétention de sûreté automatique. « Je ne dis pas comme Jordan Bardella qu’il faut mettre tous les individus condamnés pour terrorisme sortant de prison, en prison, car il y aurait une atteinte aux libertés », met en garde le sénateur LR du Nord.
Mais pour l’ancien ministre du Logement et de la Ville, il faut bien une nouvelle loi. « Je propose qu’on relance une loi Silt (loi de sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme), à titre préventif », avance Marc-Philippe Daubresse. « Y avait-il besoin d’une loi post-Bataclan ? Oui. Aujourd’hui, il y a besoin d’une loi pré-JO », insiste le sénateur LR de la commission des lois. « Il faut renforcer un certain nombre de dispositions, à titre d’expérimentation, pour une durée limitée, avec une évaluation. Et il faudrait arriver à voter cette loi avant les Jeux olympiques de Paris », explique le sénateur du groupe LR. Les mesures qu’il imagine, « ce n’est pas forcément une rétention de sûreté. C’est permettre une surveillance accrue, notamment par l’autorité administrative, avec des dispositions d’écoute, de perquisition, des mesures individuelles de contrôle renforcé, les Micas, qui permettraient de voir à un moment donné s’il y a un risque. Et dans ce cas, on peut envisager une rétention de sûreté », explique Marc-Philippe Daubresse, qui insiste sur la nécessité de légiférer :
Son idée ne prendrait-il pas des allures de loi d’exception ? « Je n’appelle pas cela loi d’exception, j’appelle ça loi d’expérimentation », répond le sénateur LR, qui pense que « trois ou quatre ans après le Bataclan, nous avons baissé la garde ».
Marc-Philippe Daubresse reconnaît qu’il faudrait trouver la bonne formulation, qui permet le bon équilibre, pour éviter une nouvelle censure du Conseil constitutionnel sur ces sujets. « Quand le gouvernement a voulu étendre à deux ans les mesures de surveillance sur les personnes sortant de prison, condamnées pour terrorisme, on s’est heurtés au Conseil constitutionnel, pour des questions de proportionnalité. Ils ne voulaient pas aller au-delà d’un an de surveillance par l’autorité administrative, car c’est une mesure d’exception », rappelle le sénateur LR.
« D’après le procureur, vous avez au moins une soixantaine d’individus radicalisés, sortant de prison, qui sont susceptibles de commettre des attentats »
Lors des auditions qu’il a menées sur ce texte, en 2021, Marc-Philippe Daubresse se souvient que « le procureur de la République anti-terroriste disait qu’au moins un détenu sur quatre allait récidiver. On considérait alors que le nombre de personnes condamnées pour apologie du terrorisme, après le Bataclan, qui allaient sortir de prison avant les JO, étaient de 240. Un quart, cela fait 60. D’après le procureur, vous avez donc au moins une soixantaine d’individus radicalisés, sortant de prison, qui au bout d’un an, ne peuvent plus être surveillés par l’autorité administrative – c’est la loi – et qui sont susceptibles de commettre des attentats ».
Autre proposition mise sur la table par le sénateur LR du Nord, en vue des JO : « La reconnaissance faciale ». Une proposition de loi Daubresse-de Belenet, adoptée par le Sénat, autorise à titre exceptionnel le recours à la reconnaissance faciale algorithmique « sur demande des services de renseignement, pour état de radicalisation, risque terroriste éminent, et événements sportifs et culturels, de type JO ».
« Appliquons déjà les textes qui existent », demande Patrick Kanner
Sur ces questions terroristes, l’époque d’une certaine union nationale semble lointaine. Car à gauche, c’est une tout autre réaction. Ainsi, le président du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner, n’est « pas certain qu’il faille renforcer les textes. Appliquons déjà ceux qui existent ».
Il doute déjà de l’idée du ministre de l’Intérieur, sur la question psychiatrique. « 40% de ceux qui sont sortis de prison relèveraient d’un suivi psychiatrique. Être radicalisé, c’est potentiellement avoir un trouble psychologique. Imaginer déradicaliser la radicalisation par voie chimique, je n’y crois pas un seul instant. Traiter chimiquement une idée dangereuse pour la société, je ne sais pas comment on peut régler cela comme ça. Je crois beaucoup plus aux structures de déradicalisation à long terme, sur volontariat, qui font un travail de fond ».
« Est-ce qu’on doit s’habituer à avoir régulièrement des actes comme ceux d’Arras ou Paris ? Ce n’est pas impossible, malheureusement »
L’ancien ministre de la Ville de François Hollande sait bien qu’« on a des gens dans la rue, qui peuvent quel que soit leurs engagements, évolutions, dissimulées ou pas, commettre un attentat individuel, avec un marteau et un couteau. Ça n’a rien à voir avec le Bataclan. Comme disait Bernard Cazeneuve, on est face à un terrorisme low cost ». Mais face à cette situation, Patrick Kanner se dit « un peu pessimiste. Il faut 4 ou 5 policiers par radicalisé pour avoir un suivi total. C’est impossible. Et le risque zéro n’existe pas. C’est terrible. Est-ce qu’on doit s’habituer à avoir régulièrement des actes comme ceux d’Arras ou Paris ? Ce n’est pas impossible, malheureusement ».
Quant à la rétention de sureté, « on ne peut pas mettre à vie quelqu’un en prison, car il a été complice d’un acte terroriste qui n’a pas abouti. C’est très compliqué », alerte le patron des sénateurs PS, « il faut voir ce qui est acceptable dans un état de droit, par rapport à la Constitution ». Pour Patrick Kanner, « il faut s’attaquer aux causes du mal, ce qui passe par les prêcheurs de haine ».
« L’état de la psychiatrie en France est catastrophique », alerte l’écologiste Guillaume Gontard
Le président du groupe écologiste du Sénat, Guillaume Gontard, appelle pour sa part à « toujours parler avec prudence, ne pas agir dans l’urgence, et à prendre de la hauteur ». « Je ne sais pas à combien de lois sécuritaires et terroristes on en est. On peut toujours aller plus loin, mais je ne suis pas sûr que c’est de cette manière qu’on résoudra le problème ». Le sénateur écologiste de l’Isère note surtout « le suivi psychiatrique insuffisant » de l’auteur des faits.
« Pour nous, écologistes, se pose la question de la psychiatrie en France. J’ai pu faire un tour de France des hôpitaux, et l’état de la psychiatrie en France est catastrophique. Il y a un manque de moyens », alerte Guillaume Gontard. Après, « avoir une obligation de soins, pourquoi pas. Mais la vraie question, c’est d’aller trouver du personnel pour faire ces soins ». Il ajoute que « le budget n’a donné aucun moyen supplémentaire, ni à l’hôpital, ni à la psychiatrie ».
Il pointe aussi « la question de la prison. On voit que ce n’est pas efficace. Et là encore, lors d’une visite en prison, les responsables me disaient que 80% des personnes relèvent de la psychiatrie ». Quant à l’idée d’un texte pour renforcer la sécurité antiterroriste, en vue des JO, il n’y croit pas, préférant régler la question de fond par « la prévention » et « l’encadrement ». « Je me méfie très fortement de ces lois d’exception », met en garde le président du groupe écologiste, « surtout qu’on sait que par tradition, elles restent ensuite comme des lois pérennes ».