Le 7 janvier 2015, la rédaction de Charlie Hebdo était sauvagement attaquée pour avoir exercé une liberté consacrée par l’article 11 de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 selon lequel, « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». 12 personnes sont tombées sous les balles des frères Kouachi, dont les dessinateurs Charb, Wolinski, Cabu, Tignous.
A l’automne 2020, au moment du procès des complices des attentats de Charlie Hebdo, le constitutionnaliste, Jean-Philippe Derosier, rappelait que la liberté d’expression est « la plus fondamentale car elle conditionne l’exercice d’autres droits démocratiques. C’est à partir d’une expression libre qu’on aboutit à la fabrication de la loi par le peuple souverain et donc à la démocratie ». C’est d’ailleurs pour cette raison que les parlementaires sont irresponsables pour les propos tenus dans l’hémicycle. Des sanctions disciplinaires sont néanmoins prévues dans le règlement des assemblées. Elles sont au nombre de quatre (article 92 du règlement du Sénat) : le rappel à l’ordre, le rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal, la censure, la censure avec exclusion temporaire
La liberté d’expression est un droit inaliénable pour chaque citoyen français, car la déclaration des Droits de l’Homme est inscrite dans le bloc de constitutionnalité. C’est-à-dire qu’elle est située au sommet de la hiérarchie des normes, au même titre que la Constitution du 4 octobre 1958 ou encore la charte de l’Environnement de 2004. Il est important de rappeler aussi que la liberté d’expression n’est pas une liberté absolue. Comme toute liberté, ses abus peuvent être sanctionnés dans la mesure où elles nuisent à autrui (article 4 de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen).
« La liberté d’expression est un principe optimiste hérité des Lumières selon lequel les hommes et les femmes ne sont pas uniquement définis selon leurs convictions. C’est pourquoi, la liberté d’expression autorise les attaques contre les croyances et les convictions mais interdit d’attaquer les personnes. L’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme fixe d’ailleurs une limite à cette liberté de parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi », précise Alexis Lévrier, historien des médias, maître de conférences à l’Université de Reims.
« Charlie Hebdo s’inscrit dans cette tradition de combat en faveur de la laïcité »
Ces limites à la liberté d’expression sont fixées dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Cette loi sanctionne les propos écrits ou oraux comme l’injure ou la diffamation tenues dans un cadre public. « C’est un socle de la IIIe République qui s’est maintenu jusque sous la Ve. Une période dans laquelle la presse révolutionnaire était très violente. Entre 1881 et 1905 la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, deux traditions françaises de dessin de presse vont émerger. D’abord, au sein d’une presse anticléricale, très violente, comme la Calotte, Les Corbeaux ou l’Assiette au beurre, qui n’hésite pas à représenter des dessins de prêtres démembrés. C’est la fonction qui est ici attaquée, elle ne tombe donc pas sous le coup de la loi. Charlie Hebdo s’inscrit dans cette tradition de combat en faveur de la laïcité et a voulu appliquer la critique de la religion catholique à l’Islam », souligne Alexis Lévrier avant d’ajouter : « A la fin du XIXe siècle, avec l’affaire Dreyfus, vous avez aussi l’émergence du dessin de presse antisémite. Ici, on ne s’intéresse pas à la religion en tant que telle, mais on essentialise, on biologise les juifs », développe Alexis Lévrier.
C’est pour réprimer la presse antisémite soutien de l’ennemi d’Outre-Rhin, qu’en 1939, le ministre de la Justice du gouvernement Daladier, Paul Marchandeau publie un décret-loi, visant à compléter la loi de 1881 afin d’y inscrire l’interdiction d’attaque à caractère racial ou religieux envers un groupe de personnes et non plus seulement contre un individu.
Par la suite, d’autres textes viendront préciser cette distinction opérée par la loi sur la liberté de la presse. La loi Pleben de 1972 réprime l’incitation à la haine en raison de l’origine ou de l’appartenance ou de la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. En 1990, la loi Gayssot introduit un nouvel article 24 bis à la loi de 1881 qui punit d’un an d’emprisonnement et de 45 000 €, le délit de négationnisme, la contestation de l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité.
Procès Charlie de 2007
Avant l’attentat de Charlie, l’hebdomadaire avait fait l’objet, en 2007, d’une procédure engagée par « l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), et la Grande Mosquée de Paris, pour « injure publique à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur religion ». La plainte faisait suite à la publication dans Charlie Hebdo, des caricatures de Mahomet, parues initialement dans le journal danois Jyllands-Posten. Il s’agissait notamment d’un dessin de Cabu publié en Une et représentant Mahomet consterné et sous lequel on pouvait lire « C’est dur d’être aimé par des cons ». « Sur cette Une, il y avait également un texte précisant : Mahomet débordé par les intégristes. « C’est pourquoi les juges ont considéré que l’ensemble des musulmans n’était pas visé », rappelle Alexis Levrier.
« En dépit du caractère choquant, voire blessant, de cette caricature pour la sensibilité des musulmans, le contexte et les circonstances de sa publication dans le journal Charlie Hebdo, apparaissent exclusifs de toute volonté délibérée d’offenser directement et gratuitement l’ensemble des musulmans ; que les limites admissibles de la liberté d’expression n’ont donc pas été dépassées » avait jugé la chambre de la presse et des libertés du tribunal correctionnel de Paris.