Paris: Weekly session of questions to the government at the Senate

Attaquer l’islam politique par « une nouvelle incrimination pénale » : l’idée de Bruno Retailleau divise au Sénat

Le ministre de l’Intérieur réfléchit à « une nouvelle incrimination pénale » visant l’islam politique. « L’islam politique est le principal obstacle à la cohésion de notre pays », soutient la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio. La centriste Nathalie Goulet conseille d’appliquer déjà le droit existant et de contrôler le financement des associations. A gauche, l’écologiste Guy Benarroche pointe l’absence de données chiffrées sur le sujet et la socialiste Corinne Narassiguin dénonce « une vision à géométrie variable de la laïcité ».
François Vignal

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Au sein du gouvernement Barnier, c’est le ministre qui multiplie le plus, les sorties médiatiques… et polémiques. Fidèle à la ligne politique qu’il a défendue depuis longtemps, au Sénat, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a mis sur la table, lors de son discours aux préfets, le 8 octobre, une proposition qui vise directement « l’islam politique ». « Le droit devra sans doute s’adapter, pour imaginer une nouvelle incrimination pénale correspondant à la nature et aux stratégies de l’islam politique », a affirmé le ministre.

« Une piste de travail », précise Bruno Retailleau

« Les informations dont nous disposons témoignent d’une mutation progressive de la menace. Le séparatisme se double de l’entrisme : là où le premier vise à constituer, aux yeux de tous, de petites contre-sociétés islamistes, le second cherche à « frériser » ou « hallaliser » la société dans son ensemble, par petites touches, dans les associations, les entreprises et même parfois nos collectivités », a-t-il avancé selon le compte rendu de son discours aux préfets. « Contre l’islamisme à bas bruit, dans lequel la mouvance des Frères Musulmans est passée maître, l’Etat doit redoubler de vigilance et franchir une nouvelle étape », ajoute Bruno Retailleau, demandant aux préfets « de faire remonter rapidement toutes les informations » sur le sujet, et « d’user de (leur) pouvoir de contrôle » sur les « associations ou structures, qui (leur) semble poser problème ».

Interrogé ce matin dans Le Parisien, le ministre de l’Intérieur précise que cette nouvelle incrimination pénale est pour l’heure « une piste de travail ». N’est-ce pas criminaliser la pensée ? « La pensée est libre, mais les valeurs de la République ne sont pas négociables », répond Bruno Retailleau.

Au Sénat, où plusieurs travaux ont été menés autour de la radicalisation, la question, ou plutôt la manière dont Bruno Retailleau l’aborde, est loin de faire l’unanimité. Sans surprise, au groupe LR, que le ministre a présidé, on soutient l’idée d’une nouvelle incrimination pénale.

« Tout le monde est dans le déni depuis plus de 20 ans » selon Jacqueline Eustache-Brinio

« Il a entièrement raison. Sur l’islam politique et la place que prennent les Frères musulmans, tout le monde est dans le déni depuis plus de 20 ans. Le temps est leur meilleur allié et notre faiblesse est leur deuxième meilleur allié », lance Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice LR du Val-d’Oise, qui avait été la rapporteure, en juillet 2020, d’une commission d’enquête sur la radicalisation islamiste. « On voit des revendications dans le sport, les associations, partout, car on a été trop faibles. Les revendications, qui nous ne semblaient pas importantes, le sont aujourd’hui. L’islam politique est le principal obstacle à la cohésion de notre pays. Bruno Retailleau a totalement raison de prendre ce problème à bras-le-corps », salue la sénatrice du groupe LR.

Jacqueline Eustache-Brinio prend « l’exemple des revendications à la cantine. Si chacun commence à dire, moi je ne veux pas si ou pas ça, par revendication religieuse… A la cantine, on mange ce qu’il y a, voilà. Il ne doit y avoir aucune revendication religieuse à l’école ». Elle ajoute : « Il ne s’agit pas de faire interdire une idée. L’idéologie des Frères Musulmans, qui consiste à faire passer la foi avant la loi, on doit la combattre. La foi, avant la loi, ça ne marche pas ici. Ça se diffuse dans le pays de manière dangereuse ».

« Il faudra déterminer ce qu’est l’islam radical, c’est assez compliqué », souligne Nathalie Goulet

De son côté, la centriste Nathalie Goulet, auteure de « L’Abécédaire du financement du terrorisme » et qui avait présidé, en 2015, une commission d’enquête sur les réseaux djihadistes, partage les propos de Bruno Retailleau sur le fond, mais elle tempère l’idée d’une nouvelle loi.

« Le constat, ça fait quand même longtemps qu’on le fait, de cet entrisme, ce grignotage de la République. Depuis le rapport que j’ai fait en 2015 jusqu’à aujourd’hui, on n’a pas arrêté de constater l’impact de plus en plus important de l’islam radical. Il faut sortir de la naïveté », commence la sénatrice centriste de l’Orne. Mais elle ajoute aussitôt : « Le problème de l’incrimination, ça va être compliqué. Il faudra déterminer ce qu’est l’islam radical, c’est assez compliqué. On a déjà des qualifications de rupture avec les principes de la République. Je pense qu’on arrivera au même résultat avec la loi sur les principes de la République et surtout, en contrôlant le financement », avance Nathalie Goulet.

« Il faut appliquer déjà tout ce qui existe et faire un gros contrôle sur les associations »

Pour elle, il faut commencer par « appliquer déjà tout ce qui existe. Et ensuite, il faut faire un gros contrôle sur les associations. Il faut arrêter de financer des ennemis de la République au nom de la diversité », fait valoir la centriste, qui pointe « beaucoup de trous dans le dispositif sur le financement de l’islam, notamment par l’Union européenne, et pas seulement ».

« L’Europe vient de déléguer quatre programmes Erasmus, en versant plus de 800.000 euros, à une association liée aux Frères musulmans, pour intégrer l’université des sciences islamistes de Skopje, en Macédoine, et l’université des sciences techniques de Gaziantep, en Turquie, qui vient de rendre un hommage vibrant à l’ancien chef du Hamas » dénonce Nathalie Goulet, qui souligne aussi l’importance de la formation des Imams. Elle fait au passage une offre de service, se tenant « à disposition du ministre, s’il veut (lui) confier une mission sur le sujet ».

« Il n’y a rien aujourd’hui, pas d’éléments qui permettent de justifier cela », selon Guy Benarroche

Sur ce sujet sensible, difficile de trouver un consensus. A gauche, c’est un son de cloche totalement différent qui ressort. Pour le sénateur écologiste Guy Benarroche, il faudrait déjà, au préalable, savoir de quoi on parle, d’un point de vue quantitatif, pour faire la part entre fantasme et réalité. En gros, quels sont les chiffres ?

Sur l’influence de l’islam radical dans la société, « il y a toujours cette idée-là, qui n’est pas étayée dans la réalité. On peut toujours trouver des exemples ici ou là, mais de là à dire que c’est un phénomène qui nécessite ce que va proposer Bruno Retailleau… Il n’y a rien aujourd’hui, pas d’éléments qui permettent de justifier cela », met en garde le sénateur des Bouches-du-Rhône. Il ajoute :

 Il faut évaluer, pour savoir l’importance, quel est le danger et si la législation actuelle ne permet pas d’y répondre. Et après, on regarde s’il faut ajouter quelque chose. 

Guy Benarroche, sénateur écologiste des Bouches-du-Rhône.

« Raisons idéologiques et politiques »

Auditionné la semaine dernière à l’Assemblée, Bruno Retailleau a dit vouloir justement apporter des éléments. « Je vais demander à la DGSI un rapport circonstancié et, pour la partie non secret-défense, je suis prêt à la porter au public. J’assumerai ce « name and shame » », a affirmé le ministre.

Des propos qui étonnent Guy Benarroche. Il y voit une « contradiction », car « cela fait des années que Bruno Retailleau raconte ça, qu’il y a de l’entrisme. S’il demande aujourd’hui un rapport, c’est qu’il n’avait rien avant, comme élément… Ou alors, ça relève d’une perception des choses ». Au final, pour l’écologiste, « ce n’est pas plus justifié aujourd’hui qu’hier, sauf pour des raisons idéologiques et politiques, pour montrer que les LR ont une influence sur le gouvernement et que ce n’est pas la peine d’aller chercher l’extrême droite ».

Estimant qu’avec « la loi sur les principes de la République, celle sur le séparatisme, on a les éléments pour agir », Guy Benarroche appelle à « ne pas déposer un projet de loi très idéologique et politicien, sans l’étayer sur rien. Ce n’est pas une bonne méthode et on la dénoncera, on s’opposera à cette méthode ».

« Bruno Retailleau prend ses obsessions pour des réalités », dénonce Corinne Narassiguin

Des propos du ministre critiqués tout aussi vertement par la sénatrice socialiste Corinne Narassiguin. « Je ne comprends même pas de quoi il parle juridiquement. L’islam, c’est une religion. Donc c’est protégé par la laïcité, tant que les pratiques ne contreviennent pas au droit français. Ce serait bien qu’il n’ait pas une vision à géométrie variable de la laïcité. Quand il s’agit de crèches catholiques, il n’est pas aussi intransigeant. Il faut faire attention aussi, quand on commence à interpréter la laïcité différemment, selon la religion, on risque de piétiner les libertés religieuses pour toutes les religions », souligne la sénatrice PS de Seine-Saint-Denis.

« Ou bien, il s’agit d’islamisme, avec une menace de séparatisme effectivement. Mais il faut faire attention à ne pas empiéter sur la liberté d’opinion, car les doctrines politiques se combattent politiquement dans une démocratie », rappellent la responsable du PS. Elle continue : « Si elles font la promotion de choses qui sont illégales en droit français, il est déjà possible de les poursuivre, il y a beaucoup de choses dans le droit. Et le terrorisme islamiste est dans le droit pénal, donc je ne comprends pas de quoi il parle », insiste Corinne Narassiguin, qui conclut : « Il a des obsessions. Bruno Retailleau prend ses obsessions pour des réalités et on a bien compris qu’il avait du mal avec l’Etat de droit. Evidemment, il faut lutter contre l’islamisme, mais il y a déjà plein d’outils dans le droit existant. Ce n’est pas la peine de faire de l’agitation avec une nouvelle loi ».

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