Après le bain d’Anne Hidalgo, la baignade dans la Seine bientôt autorisée pour tous ?

 A quelques jours des épreuves de nage en eau libre pour les Jeux olympiques la maire de Paris Anne Hidalgo s’est baignée dans la Seine mercredi 17 juillet. Etat et collectivités franciliennes ont investi 1,4 milliard d’euros depuis 2016 pour que la Seine et son principal affluent la Marne soit baignables. Avec la promesse de créer trois zones de baignades dans Paris en 2025. Si la qualité de l’eau fait beaucoup débat aujourd’hui, à l’origine, la baignade dans la Seine fut d’abord interdite à cause de conflits d’usage. Entretien avec Laurence Lestel est historienne de l’environnement et chercheuse au PIREN-Seine, le Programme scientifique interdisciplinaire dans le domaine de l’environnement de la Seine, où 23 équipes de recherches étudient ce fleuve depuis 35 ans.
Flora Sauvage

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36 ans après la promesse de l’ancien maire de Paris Jacques Chirac, les conditions étaient réunies mercredi 17 juillet pour que la maire de Paris Anne Hidalgo se baigne dans la Seine, accompagnée du préfet d’Ile-de-France Marc Guillaume et de Tony Estanguet, le président du Comité d’organisation des JOP de Paris 2024 après la ministre des Sports Amélie Oudéa Castéra.

Les épreuves de triathlon (30, 31 juillet et 5 août), de natation marathon (8 et 9 août) et de para triathlon (1er et 2 septembre) approchent. Il est prévu que les athlètes se baignent dans la Seine et si la qualité de l’eau est mauvaise il n’y a pas de plan B. Pourtant, la baignade dans la Seine est interdite : depuis quand et pour quelle raison ?

Pratique courante jusqu’au début du XXe siècle, la baignade dans la Seine et dans la Marne a progressivement été interdite. Mais à aucun moment, ces restrictions ou interdictions de baignade ne mentionnent la qualité de l’eau de la Seine. Par une ordonnance du 9 juin 1716, le prévôt des marchands s’efforce d’interdire la nudité des baigneurs pour des questions de décence et de mœurs. Au XIXe siècle, on favorise la navigation dans Paris et ses abords pour mieux alimenter la ville. Le partage de l’espace public se fait au bénéfice de la navigation. A la fin du 19è siècle, les bateaux-mouches apparaissent et le trafic fluvial des péniches se développe. Malgré la concurrence du rail, la navigation sur la Seine se poursuit. Avec la loi du 19 juillet 1837 pour l’amélioration de la navigation sur la Seine, de gros travaux sont entrepris pour alimenter Paris en eau, et on creuse le lit de la Seine. Dans ce texte de 30 pages, deux articles concernant la baignade dans la Seine, visent à interdire la nudité dans les établissements de bains. Si des interdictions de se baigner dans certaines parties de la Seine sont prononcées dès le XVIIIe siècle, la seconde moitié du 19è siècle transforme l’exception en principe. En 1867, la baignade dans Paris même est interdite définitivement sauf dans les piscines toujours alimentées par l’eau de la Seine. Les lieux de baignade en eaux vives sont repoussés à la périphérie de la ville. Ainsi l’ordonnance du préfet de Paris du 17 avril 1923 reprend la législation en vigueur et compile toutes les règles qui s’appliquent en matière de baignade, qu’il s’agisse de celles qui concernent les baigneurs, les bains publics, les établissements de bain ou les écoles de natation. Elle précise et entérine l’interdiction générale de baignade à Paris ailleurs que dans les établissements de bains et dans les baignades spécialement autorisées.

En août 2023 plusieurs tests du triathlon ont dû être annulés à la suite d’analyses révélant une trop forte présence d’Escherichia coli et d’entérocoques dans la Seine, deux bactéries fécales mesurées pour autoriser ou non la baignade des athlètes. A partir de quand la question de la qualité de l’eau est-elle devenue un sujet ?

Différentes autorités ont restreint la baignade dans la Seine depuis le XVIIIe siècle sans que l’enjeu sanitaire soit le principal motif avant les années 1970. Les baignades sont autorisées sur dérogation pour raison médicale jusqu’en 1867, avec l’idée qu’il était bon de se baigner et que cela permettait de soigner certaines maladies. La baignade est aussi autorisée dans certains établissements de bain comme la fameuse piscine Deligny située au pied du Musée d’Orsay qui était remplie d’eau de Seine non filtrée, exposant les baigneurs à une contamination bactériologique. En outre, des baignades en rivière étaient autorisées à Asnières, Gennevilliers, Epinay, soit en aval du lieu de rejets des égouts de Paris à Clichy. Si l’on superpose la carte des baignades et des rejets d’égouts de Paris, on voit que les baignades autorisées jusqu’en 1923 se trouvent en aval des points de rejets de ces égouts. Cela apporte la preuve que la qualité de l’eau n’était pas la raison de la réglementation de la baignade à l’époque. Après la deuxième guerre mondiale la montée en puissance des questions sanitaires conduit la préfecture de police à interdire la baignade en rivière de façon ponctuelle mais autorise exceptionnellement des évènements sportifs dans la Seine.

En 1900 lors de la première édition des Jeux olympiques à Paris, les épreuves de natation se déroulaient dans la Seine. Sous réserve d’une météo clémente en amont des épreuves, les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 se dérouleront dans la Seine, quels sont les enjeux à venir pour faire en sorte que la baignade soit autorisée en 2025 et ouverte au public comme l’a voté le Conseil de Paris ?

Il est clair que la qualité de l’eau s’est dégradée depuis les années 70 mais il y a eu une volonté au début des années 90 de se réapproprier le fleuve. Depuis l’élaboration du plan baignade lancé en 2016 il y a une volonté politique forte de dépolluer la Seine. Mais tout n’est pas réglé loin de là. En réalité l’un des principales sources de pollution du fleuve réside dans les milliers de mauvais branchements d’habitations et de bâtiments qui rejettent leurs eaux usées dans la Seine et la Marne en amont de Paris. Ainsi certaines habitations notamment dans le Val de Marne ne sont pas correctement raccordées aux eaux usées et leurs canalisations se déversent directement dans le fleuve sans passer par la station d’épuration. Il y a encore beaucoup de travaux à réaliser afin de mettre en conformité tout le réseau. Au-delà de ces enjeux sanitaires, la baignade dans la Seine et ses affluents soulève des questions de gestion des sites et de cohabitation entre usagers ayant des attentes parfois contradictoires et des niveaux de connaissance des risques très variés. Les autorités ont beaucoup axé leur communication sur la qualité de l’eau de la Seine tout en oubliant l’aspect central de la navigation sur le fleuve. C’est une question cruciale à laquelle il va falloir réfléchir sérieusement avant de créer les trois sites de baignades au niveau de Bercy, du bras Marie et dans le bras de Grenelle qui doivent être ouverts au public à l’été 2025.

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