Ce mardi, Marie-Arlette Carlotti, sénatrice socialiste des Bouches-du-Rhône, était invité de la matinale de Public Sénat. Membre de la commission d’enquête sur le narcotrafic, elle est revenue sur les mesures présentées vendredi dernier par Bruno Retailleau et Didier Migaud dans le cadre de leur plan de lutte contre le trafic de drogue.
Après des débats nourris, le Sénat rejette l’interdiction de la corrida pour les mineurs de moins de 16 ans
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Le Sénat s’est très largement prononcé contre l’interdiction de la corrida et des combats de coqs aux moins de 16 ans, dans un texte déposé par la sénatrice du groupe présidentiel Samantha Cazebonne et débattu ce 14 novembre. Les élus ont successivement voté en faveur de deux amendements de suppression des deux articles du texte, avec 254 voix puis 237, avec l’accord du gouvernement qui ne soutenait pas la proposition.
L’examen du texte aura tout de même été l’occasion d’un débat nourri de plus de deux heures au sujet de la corrida, dont la pratique reste très clivante et défendue et rejetée par des élus de tous les bords politiques. En dehors des écologistes qui soutenaient unanimement l’initiative de Samantha Cazebonne et avaient eux-mêmes déposé un texte dans ce sens, tous les groupes sont apparus divisés, tant du côté des communistes et des socialistes que du côté de la majorité sénatoriale. Le sénateur Les Républicains Arnaud Bazin faisait ainsi partie des signataires du texte.
« Comment pouvons-nous en toute conscience ignorer les recommandations du comité des droits de l’enfant ? »
De son côté, Samantha Cazebonne défend la limitation de l’accès aux corridas et combats de coqs au nom de la protection de l’enfance : « Quelle place une scène de violence où un taureau souffre doit-elle avoir pour un enfant de 5 ou de 14 ans ? Est-il acceptable que les mineurs soient témoins de la souffrance d’un être vivant, alors que leur compréhension des valeurs de compassion et de bienveillance est encore en pleine formation ? » Pour défendre son texte, la sénatrice s’appuie notamment sur les requêtes du comité des droits de l’enfant des Nations unies, chargé de contrôler l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant. Depuis 2016, l’organe de l’ONU demande à la France d’exclure les mineurs de la pratique de la tauromachie. « Nous qui votons régulièrement des conventions internationales, comment pouvons-nous en toute conscience ignorer les recommandations du comité des droits de l’enfant ? », s’interroge Samantha Cazebonne.
Pour les soutiens du texte, l’accès des mineurs aux spectacles de tauromachie peut bel et bien entraîner des troubles psychiques importants. « Les mécanismes psychologiques ont été démontrés par des psychiatres. On sait très bien comment ça se passe : les enfants sont confrontés à un conflit de loyauté, ils se retrouvent dans un contexte joyeux en même temps que sont perpétrés des actes qui sont habituellement réprouvés par la société », explique Arnaud Bazin. Un constat étayé par des données scientifiques, défend sa collègue écologiste Raymonde Poncet-Monge : « Une étude de l’université de New York démontre que les enfants qui ont assisté à des actes de cruauté envers les animaux ont huit fois plus de risques d’en commettre ensuite. »
Pour les opposants au texte, en revanche, rien ne justifie de restreindre par la loi l’accès des mineurs à ces spectacles, d’abord parce qu’ils sont dans les faits peu nombreux à y assister. Rapporteur de la proposition de loi pour la commission des lois, le sénateur Les Indépendants Louis Vogel estime à ce titre que l’association de la corrida et des combats de coqs dans le texte est inappropriée. « Le combat de coqs est lié à la pratique de paris et est, de ce fait, d’abord réservé aux adultes », affirme-t-il. Pour la sénatrice socialiste Monique Lubin, la fréquentation des mineurs dans les arènes taurines est aussi très anecdotique : « On cite beaucoup d’études dans ce débat. Mais pour qu’elles aient une valeur scientifique, il faut que le socle sur lesquelles elles se basent soit important. Or, très honnêtement, le nombre de mineurs qui assistent à des corridas est infinitésimal et l’occasion qui leur est donnée d’y assister est très rare ». Pour le ministre de la Justice, également opposé au texte, cette restriction de l’accès pose également un autre problème. « Cette disposition pourrait avoir un effet secondaire important, puisqu’elle sous-entend un contrôle de l’âge légal des participants, mesure lourde et contraignante qui n’existe pas jusqu’à présent et n’apparaît pas proportionnée », défend Didier Migaud.
« Ce n’est pas la préservation de la santé mentale de l’enfant qui est recherchée par les rédacteurs, mais bien l’interdiction »
Disproportionnée, c’est aussi comme cela que les opposants à la proposition de loi jugent la sanction à laquelle s’exposeraient les organisateurs de ces événements en cas de présence d’un mineur de moins de 16 ans dans le public. « Telle que la proposition de loi est rédigée, la présence d’un seul mineur de moins de 16 ans transformerait du point de vue pénal un spectacle légal en des sévices graves infligées à un animal, avec des circonstances aggravantes dont celle d’avoir été commises en présence d’un mineur », explique Louis Vogel, un délit qui expose ses auteurs à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Pour répondre aux critiques de la commission des lois et en espérant éviter un amendement de suppression du premier article du texte, Arnaud Bazin avait déposé un amendement visant à limiter la sanction à 7 500 euros d’amende, sans peine de prison. Cette mesure n’a toutefois pas été débattue, l’amendement de suppression déposé par son collègue Les Indépendants Jean-Pierre Grand ayant coupé court aux débats.
Peu importe la hauteur de la sanction, de nombreux sénateurs ont en effet considéré qu’au vu de l’écriture de son texte, Samantha Cazebonne souhaitait en réalité rendre impossible la tenue de corridas. « L’article 1 de ce texte ne nous propose pas d’interdire aux moins de 16 ans d’accéder aux corridas, mais d’interdire les corridas en présence de mineurs de moins de 16 ans, en faisant porter l’infraction pénale non pas sur le mineur ou ses parents, mais sur les organisateurs. Il suffirait de faire entrer un mineur dans une arène pour constater une infraction et ainsi mettre à mal l’organisation des corridas. Ce n’est pas la préservation de la santé mentale de l’enfant qui est recherchée par les rédacteurs, mais bien l’interdiction », défend le sénateur LR Max Brisson.
Un argument dénoncé par Samantha Cazebonne. « Je regrette qu’on ait voulu à ce point rendre hors sujet cette proposition de loi, en lui prêtant des intentions qu’elle n’a pas. Je regrette profondément que vous n’ayez que cet argument à nous opposer. Et je regrette profondément, pour les experts du comité des droits de l’enfant de l’ONU qui auront vent de ce débat, que nous ne répondions pas aujourd’hui au rendez-vous qu’ils nous ont fixés », fustige la sénatrice. De son côté, l’élue estime par ailleurs que la tenue d’un tel débat dans l’hémicycle relève d’une demande citoyenne. Selon un sondage mené par l’IFOP en amont de l’examen de son texte, 80 % des habitants des territoires taurins et 86 % des habitants des autres territoires soutiennent en effet l’idée d’une interdiction des corridas et des combats de coqs aux moins de 16 ans. Au contraire, pour les défenseurs de ces traditions, une telle proposition ne ferait que renforcer les divisions. « Compte tenu de la situation de notre pays, qui se fracture et qui s’oppose du Nord au Sud, entre jeunes et vieux, entre gens des villes et des campagnes… Il nous semble que la question posée par ce texte n’est pas à la hauteur de ces enjeux », observe ainsi la présidente du groupe communiste Cécile Cukierman. Signe de la sensibilité du débat, la discussion au Sénat intervient deux ans après l’examen à l’Assemblée d’un texte du député insoumis Aymeric Caron, qui visait à interdire totalement la corrida. À l’époque, les débats avaient été écourtés, empêchant les députés de procéder à un vote sur le texte.
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