Aide à mourir : le Sénat va-t-il trouver une voie de passage sur le projet de loi ?

Aide à mourir : une majorité va-t-elle se dégager au Sénat sur le projet de loi ?

Emmanuel Macron met sur les rails le projet de loi sur une aide à mourir. Les modalités exposées par le chef de l’État sont accueillies par une opposition farouche de plusieurs sénateurs de droite. La gauche se réjouit de pouvoir enfin débattre du sujet. Beaucoup de centristes, en position d’arbitres, pourraient donner sa chance au texte.
Guillaume Jacquot

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Place au Parlement. Après plusieurs mois d’atermoiements, Emmanuel Macron enclenche pour de bon le chemin législatif de la fin de vie. Dans un entretien donné aux quotidiens Libération et La Croix, le chef de l’État annonce le dépôt d’un projet de loi sur une « aide à mourir ». Présenté en Conseil des ministres en avril, le texte sera débattu en séance à l’Assemblée nationale à partir du 27 mai. Le Sénat devrait prendre le relais « probablement après l’été », a indiqué ce lundi le ministère des Relations avec le Parlement. Une longue séquence s’ouvre, puisque le gouvernement n’engagera pas la procédure accélérée sur le texte, comme le veut l’usage en matière de loi de bioéthique. Une double lecture devrait donc se tenir dans chaque chambre avant une probable commission mixte paritaire.

Si le contenu précis du texte, qui doit d’ailleurs être envoyé dans les jours à venir au Conseil d’État, n’a pas été dévoilé, Emmanuel Macron en a toutefois détaillé ses grands principes. Le président de la République qualifie le texte de « loi de fraternité », qui trace un chemin « sous certaines conditions strictes ». Les modalités d’accès reprennent des exigences déjà formulées ces derniers mois. La procédure sera réservée aux personnes majeures, capables d’un « discernement plein et entier », atteintes d’une maladie incurable causant des souffrances impossibles à soulager. Leur pronostic vital devra être « engagé à court ou à moyen terme ».

Une équipe médicale devra valider la demande, de façon collégiale, sous 15 jours. La « substance létale » sera administrée par le demandeur ou, dans le cas où ce dernier ne pourrait pas être en capacité physiquement de le faire, par une personne de son choix ou un membre du corps médical.

Dans ce « modèle français » français de la fin de vie, où n’apparaissent ni les termes de « suicide assisté », ni d’ « euthanasie », Emmanuel Macron annonce qu’une partie du projet de loi abordera la question des soins d’accompagnement. Fin mars, le gouvernement doit présenter sa stratégie de développement des soins palliatifs pour les dix prochaines années. Il s’agira notamment de doter d’une unité de soins palliatifs les 21 départements qui n’en disposent toujours pas à l’heure actuelle. Le président de la République s’engage à ce que le budget dédié à ces soins passe progressivement de 1,6 milliard à 2,6 milliards en dix ans.

Christine Bonfanti-Dossat, rapporteure LR potentielle, « bouleversée » par les annonces

Comme souvent pour ce type de texte, les groupes assureront la liberté de vote à leurs membres. Le projet de loi est loin de faire l’unanimité au Sénat. Au sein de la droite sénatoriale, première force politique au palais du Luxembourg, plusieurs membres ont d’ores et déjà affiché une opposition farouche au projet de loi. « Ce que propose Emmanuel Macron est bien une loi d’euthanasie. La vraie fraternité n’est pas de donner la mort mais de donner la main : nous n’avons pas besoin d’une nouvelle loi mais de nouveaux moyens pour garantir l’accès de tous aux soins palliatifs », a fait valoir Bruno Retailleau, le président du groupe LR.

« Si je me fie à ce que j’entends chez les collègues, les réactions sont assez vives », témoigne à Public Sénat Christine Bonfanti-Dossat, la sénatrice LR qui pourrait jouer un rôle central dans l’examen du projet de loi au Sénat à l’automne. « Bouleversée » par les propos d’Emmanuel Macron, la sénatrice de Lot-et-Garonne reproche au gouvernement de « brûler les étapes ». « Je me battrai pour trouver un modus vivendi qui pourrait être le suivant : d’abord on s’attaque au développement des soins palliatifs, puis à l’application de la loi Claeys-Leonetti [le droit d’accéder à une sédation profonde et continue jusqu’au décès, ndlr]. Et il y aura une clause de revoyure. Ensuite on pourra commencer à envisager une loi sur la fin de vie. Pour le moment, faisons avec ce que nous avons », encourage la sénatrice, ancienne infirmière libérale.

Interrogée ce matin sur Public Sénat, la sénatrice LR Christine Lavarde ne voit pas non plus le projet de loi très bien engagé. « J’ai le sentiment que ce texte ne va satisfaire personne dès le départ », estime la sénatrice des Hauts-de-Seine. Membre influente de la commission des finances, Christine Lavarde voit dans ce nouveau chantier législatif la « volonté de parler d’un sujet de société, comme on a parlé de l’IVG, ce qui permet d’occulter tous les problèmes de l’économie française ». L’Élysée, de son côté, réfute toute idée cachée derrière cet agenda. « Il y a absolument aucun lien entre ces deux questions. Ce sont deux dossiers arrivés à maturité de manière décalée », tient à assurer une source à la présidence de la République.

« Je pense que ça passera », pronostique le patron des sénateurs centristes, Hervé Marseille

Chez les centristes, en position de groupe pivot au Sénat, les oppositions au texte pourraient être beaucoup nombreuses, à en croire Hervé Marseille. « Je sais que j’ai beaucoup d’élus de mon groupe qui le voteront dans ces termes-là », confie sur notre antenne le président de l’Union centriste. Le sénateur des Hauts-de-Seine se risque même à un pronostic sur le destin du texte au palais du Luxembourg : « Je pense que ça passera ». « Un certain nombre de critères du président de la République vont vers ce que le sénat a toujours pensé, c’est-à-dire la collégialité, au niveau médical, avec la famille, le fait qu’on ait affaire à des majeurs dans des situations où il n’y a plus de suites possibles », approuve le sénateur, par ailleurs président de l’UDI.

Il faut dire qu’une voie de passage au Sénat n’a rien d’un scénario impossible. Le 11 mars 2021, il y a très exactement trois ans, la Haute assemblée débattait de la proposition de loi « visant à établir le droit à mourir dans la dignité ». Le texte, déposé par la sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie, a été rejeté par 161 voix contre 142, un écart relativement faible compte tenu des équilibres politiques au Sénat. Ce jour-là, à peine un centriste sur trois avait décidé de rejeter le cœur de la proposition de loi.

« On voit déjà un certain nombre d’avancées, mais aussi de restrictions », note la socialiste Marie-Pierre de la Gontrie

Ce lundi, Marie-Pierre de la Gontrie qualifie de « très bonne nouvelle » l’annonce du débat parlementaire à venir, tout en restant « vigilante » sur le contenu précis du texte. « On voit déjà un certain nombre d’avancées, mais aussi de restrictions ». La sénatrice de Paris, membre de la commission des lois, se dit par exemple « préoccupée » par l’usage des termes « pronostic vital engagé à court et moyen terme ». « Il faudra qu’on soit très au clair là-dessus. Je ne sais pas ce que ça veut exactement dire », accueille-t-elle. « J’espère que le texte qu’on aura en mains ne sera pas restrictif au point qu’il ne change rien. »

Ces craintes ont également été affichées par Jean Leonetti, auteur co-auteur de la dernière évolution législative sur la fin de vie. L’ancien député UMP considère que les termes du projet de loi sont « flous ». Emmanuel Macron « dit que ce n’est ni l’euthanasie, ni le suicide assisté, mais un peu des deux […] Quand on est flou, il y a une difficulté à l’application des lois qui ne sont pas extrêmement claires », souligne-t-il.

Bernard Jomier, médecin généraliste membre du groupe PS au Sénat, espère que les parlementaires arriveront à « apaiser » ce débat de société, demandé par les Français. « N’entrons pas ce débat en proclamant que l’euthanasie est un progrès – ce ne sera jamais un progrès, mais la moins mauvaise des solutions – ni en disant que ce serait la fin de nos valeurs ou du respect de la vie humaine », prévient le sénateur de Paris.

« J’espère que Gérard Larcher aura la subtilité de ne pas y aller avec un canon de 12 », déclare un sénateur

Ancien corapporteur de la dernière loi de bioéthique en 2019, aux côtés de trois membres de la majorité sénatoriale de droite et du centre, Bernard Jomier prend acte que le chef de l’État pose enfin « le cadre du débat ». « Je comprends qu’on va vers un système, le suicide assisté avec une exception d’euthanasie. Le cadre reste à préciser », analyse-t-il. Convaincu comme Emmanuel Macron que la « loi Claeys-Leonetti ne suffit pas », le médecin rappelle que cette aide à mourir devrait, au bout de compte, ne concerner que peu de personnes. « Les soins palliatifs sont la priorité absolue. À la fois numérique, et en terme éthique », insiste-t-il. Ce lundi, plusieurs associations de professions de santé ont fait part de leur « consternation » et de leur « colère » face aux annonces d’Emmanuel Macron, dont la Société Française d’accompagnement et de soins palliatifs. Dénonçant un « modèle ultra-permissif », ces différentes organisations regrettent de ne « pas avoir été consultés depuis septembre dernier ».

Bernard Jomier estime que sur ce projet un « consensus assez large » devra être trouvé, aussi bien à l’intérieur du Sénat, qu’entre les députés et les sénateurs. « J’ai entendu des propos qui m’inquiètent sur la capacité à trouver un terrain commun. On voit ce que les Français expriment, il ne faut pas que ça se traduise dans un clivage entre les uns et les autres », déclare-t-il.

Après un résultat inattendu au moment du vote sur le projet de loi constitutionnelle sur l’IVG, le Sénat va donc devoir trancher un débat lourd d’enjeux dans les mois à venir. Christine Bonfanti-Dossat appelle ses collègues à « ne pas tomber dans le piège politique ». « Ce n’est pas les conservateurs contre les progressistes », tient-elle à mettre d’emblée au point. Un membre de l’opposition sénatoriale veut croire que le récent scrutin constitutionnel pourrait peser, d’une façon, sur l’issue des débats sur la fin de vie. « J’espère que Gérard Larcher aura la subtilité de ne pas y aller avec un canon de 12, comme sur l’IVG », confie ce sénateur.

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