(Avec AFP)
L’eau va couler de plus en plus rarement des robinets mahorais. Mayotte vit sa pire sécheresse depuis 1997 et pour faire face aux pénuries, la préfecture a décidé de couper l’accès à l’eau deux jours sur trois dans la plupart des dix sept communes que compte l’archipel. Les 300 000 habitants, selon l’Insee, vont devoir s’adapter. Depuis le 17 juillet, l’eau était déjà coupée tous les jours de 16 heures à 8 heures du matin. « En théorie, souffle Anne Perzo-Lafond, rédactrice en chef du Journal de Mayotte contactée par publicsenat.fr. Depuis le début de la semaine, à Koungou, Mamoudzou et Petite Terre, il n’y a plus d’eau dès midi ! ». Malgré les efforts entrepris, la consommation d’eau est encore de 30 827 m3 par jour au 24 août 2023. Habituellement, elle s’établit plutôt à 42 000 m3, mais pour éviter une coupure totale fin septembre, la préfecture vise une consommation à 22 000 m3 par jour.
« Ça va être catastrophique »
A partir du lundi 4 septembre, l’Etat modifie donc le rythme de ce qui est appelé les « tours d’eau ». Contrairement à aujourd’hui, les coupures n’auront pas lieu au même moment partout dans le département. « Dans les secteurs à forte activité » de Mamoudzou, Koungou et Petite Terre, la distribution de l’eau sera suspendue « 5 fois par semaine de 16 heures à 8 heures avec une coupure supplémentaire de 36 heures une fois par semaine », communique la préfecture de Mayotte. « Ça va être catastrophique, anticipe Anne Perzo-Lafond. Aujourd’hui, nous n’en sommes pas encore là et nous n’avons déjà pas d’eau pour se doucher ni le soir, ni le matin. Dans l’archipel, les cours à l’école et la prise de poste dans les entreprises se font à 7 heures ».
Pour garantir la tenue des cours, les écoles se préparent depuis le mois de juin. La plupart des établissements vont être branchés sur un réseau alternatif qui ne subira pas de coupures. Pour les autres, des cuves seront installées. La préfecture a par ailleurs distribué des gourdes à chaque élève mahorais. « S’il n’y a pas d’eau, la règle reste qu’il n’y a pas de cours », explique Anne Perzo-Lafond. Le Centre hospitalier fait lui aussi partie des infrastructures épargnées par les coupures.
Épidémie de choléra ou de fièvre typhoïde
Ce qui inquiète également les habitants et l’Agence régionale de santé (ARS), ce sont les conséquences sanitaires du rationnement de l’eau. De plus en plus de patients sont hospitalisés pour des troubles digestifs. « Depuis trois semaines, on accueille au moins une dizaine de personnes chaque jour souffrant de vomissements, de diarrhées ou de déshydratations », explique Jonathan Cambriels, infirmier aux urgences de l’hôpital de Petite Terre à l’Agence France Presse (AFP). Un pédiatre confirme aussi à nos confrères que « cinq enfants sont hospitalisés au centre hospitalier de Mayotte pour déshydratation avancée ».
L’ARS craint aussi une épidémie de choléra et typhoïdes. Elle demande aux habitants de faire bouillir l’eau cinq minutes avant de la consommer par précaution. « Le directeur de l’ARS a dit que c’était un risque majeur et des vaccins ont été provisionnés au cas où, indique Anne Perzo-Lafond. Des vaccinations préventives contre la fièvre typhoïde ont déjà eu lieu cet été. »
L’Etat accusé d’impréparation
Pour comprendre l’origine de la crise de l’eau à Mayotte, il faut se pencher sur le mode d’approvisionnement en eau de l’archipel. Il y a deux retenues collinaires, celle de Combani et celle de Dzoumogné, des forages et de l’eau en surface. Les deux retenues et les rivières représentent 80 % de l’approvisionnement en eau du département. « En saison des pluies (de décembre à avril, ndlr), on utilise plutôt l’approvisionnement par forage et l’eau de surface. Les retenues collinaires ne sont employées qu’en saison sèche (de mai à novembre, ndlr) », détaille Anne Perzo-Lafond. Le problème c’est que cette année, les retenues collinaires se sont peu remplies. Celle de Combani était chargée à 25 % le 24 août, celle de Dzoumogné à 14 %. « En dix-sept ans, je n’ai jamais vu ça », témoigne la journaliste. L’an dernier, ces réserves étaient respectivement remplies à 106 % pour la première et à 82 % pour la seconde.
Ce qui dépite d’autant plus Anne Perzo-Lafond, c’est le manque de préparation de l’Etat. « Là on est au pied du mur et tout le monde s’affole alors qu’on savait qu’il n’avait pas assez plu pendant la saison des pluies », raconte-t-elle. « Au moment de l’opération Wuambushu, au début de l’année, cinq osmoseurs pour désaliniser l’eau de mer sont arrivés. Sauf qu’ils sont repartis en avril alors même qu’on savait très bien qu’on allait manquer d’eau », peste la journaliste.
Si la sécheresse actuelle est inédite, Mayotte n’en est pas à sa première crise de l’eau et sous l’effet du changement climatique, elles pourraient se multiplier. Après une première grave crise en 1997, liée à une « très mauvaise saison pluvieuse » selon la mission régionale d’autorité environnementale (MRAE) de Mayotte, le deuxième épisode majeur de sécheresse remonte à 2017. Il se concentrait sur la partie sud de Grande Terre, l’île la plus étendue de Mayotte. Puis une nouvelle sécheresse frappe l’archipel en 2020, dans des proportions similaires à 2017. « Le déséquilibre entre besoin et ressource en eau disponible se creuse et chaque saison sèche engendre des périodes de stress hydrique et de pénuries des volumes mobilisables de plus en plus marquées », notait la MRAE dans un avis publié en août.
Accélérer la production d’eau
Au-delà de l’anticipation de la crise, Mayotte dispose également d’infrastructures défaillantes. A chaque épisode de sécheresse, des réponses ont été apportées par les pouvoirs publics. Une usine de dessalement d’eau de mer avait été créée en 1998. Les deux retenues collinaires de Combani et Dzoumogné ont été érigées en 1999 et 2001. Le système des « tours d’eau » existe, lui, depuis 2017. La MRAE de Mayotte relève tout de même que « ces actions ont chaque fois été engagées dans l’urgence » et leurs mises en œuvre ont été « plus ou moins rapides et surtout plus ou moins abouties ».
L’exemple le plus flagrant est celui de l’usine de dessalement inaugurée en 1998. Elle fournit 8 % de l’alimentation en eau de l’île mais n’a jamais tourné à plein régime, la faute à des problèmes de conception. Pire, les travaux d’extension décidés en 2017 ne sont toujours pas achevés. « Le syndicat des eaux de Mayotte est fautif », pointe Anne Perzo-Lafond. L’équipe précédente du gestionnaire est visée par une enquête du Parquet National Financier pour « favoritisme, recel de favoritisme, détournement de fonds publics, corruption active et passive, le pantouflage et l’abus de biens sociaux », rappelle Libération. Les autorités espèrent une amélioration début novembre, avec la fin des travaux d’urgence lancés pour augmenter la production de l’usine de dessalement.
A plus long terme, le préfet chargé de gérer la crise de l’eau à Mayotte, Gilles Cantal, a annoncé la semaine dernière la mise en chantier d’une deuxième usine de dessalement et assuré que le projet d’une troisième retenue collinaire était toujours d’actualité. Le ministre des Outre Mer, Philippe Vigier fera d’ailleurs un crochet par Mayotte samedi 2 septembre avant de rentrer dans l’hexagone. Il était en visite à la Réunion pour un déplacement « prévu de longue date » et « au vu de la situation de crise que connaît Mayotte, il a décidé d’y aller », explique-t-on à son cabinet. Philippe Vigier visitera ainsi une école dotée d’une cuve sanitaire, d’un chantier de forage ou encore de la future unité de dessalement de 1000m3. « Il mettra le doigt sur les problèmes », promet-on dans son entourage, sans préciser si le ministre fera des annonces.