L’augmentation est alarmante. Au moins 2043 enfants vivent à la rue en France, d’après le baromètre réalisé par l’UNICEF et la Fédération des Acteurs de la Solidarité (FAS) le 19 août. Un chiffre en augmentation de 120 % par rapport à 2020. Certains sont scolarisés, d’autres n’ont pas encore l’âge d’entrer à l’école, 467 d’entre eux ont en effet moins de trois ans. Et le chiffre est probablement sous-estimé, car le décompte s’appuie sur les demandes que le 115 n’a pas pu satisfaire. Or, beaucoup n’essayent même plus d’appeler tant ils savent que leur requête n’a presque aucune chance d’aboutir.
Violence de la rue
“C’est d’une violence extrême, ces enfants ont peur, ils ne dorment pas. Ils sont traumatisés parce que la rue est très violente” témoigne Yann Manzi, co-fondateur d’Utopia56. “C’est pour ça qu’on essaie de trouver des lieux d’hébergement citoyen. Quand on en n’a pas, on regroupe ces familles pour qu’ensemble, elles soient moins vulnérables par rapport à la violence” . Chaque jour, la permanence parisienne de l’association tente de trouver des solutions chez des particuliers ou dans des squats pour les personnes à la rue. “On en a 150 à 200 tous les soirs, et souvent, plus de 60% sont des enfants” raconte le bénévole, qui fustige les effets de la loi immigration votée l’an dernier. “70 à 80% des personnes présentes dans les centres d’hébergement sont des sans-papiers. On voit des familles entières remises à la rue à cause de cette loi, parce qu’elles ne rentrent plus dans les bonnes cases” s’insurge Yann Manzi.
Hébergement d’urgence saturé
Les enfants font normalement partie des publics prioritaires pour les services d’hébergement d’urgence. Mais la saturation est telle qu’ils ne sont souvent plus en mesure de leur trouver une place. En Seine-Saint-Denis, la situation est édifiante. Chaque semaine, l’association Interlogement93, qui gère le numéro d’urgence pour les personnes sans-abris, publie des chiffres toujours plus inquiétants. Le 12 août, en pleine canicule, 501 personnes sont restées sans solution dans le département, dont 187 enfants.
Promesses non tenues
Pour pallier à l’urgence, l’UNICEF et la FAS réclament la création de 10 000 places d’hébergement supplémentaires l’an prochain. Une promesse déjà faite en janvier 2024, mais “jamais tenue”, dénonce Nathalie Latour, directrice générale de la FAS. Patrice Vergriete, alors ministre en charge du logement, avait pourtant annoncé une rallonge budgétaire de 120 millions d’euros, de quoi créer 10 000 places supplémentaires en un an. “Pas un euro n’a été déboursé” regrette le sénateur Jean-Baptiste Blanc. “Il y a eu un refus du Président de la République au printemps, puis la dissolution”.
D’autres, au Sénat, ont tenté en vain de débloquer des places d’hébergement d’urgence. La sénatrice Annick Billon avait déposé un amendement au budget 2024, pour demander la création de 6 000 places. Il a été rejeté par le gouvernement. “En 2022, le gouvernement s’était engagé à ce qu’il n’y ait plus d’enfants à la rue, cet engagement n’a pas été tenu” dénonce la centriste. “Aujourd’hui, des enfants scolarisés vivent avec leurs familles dans des conditions qui ne permettent pas de se développer normalement. Il y a une urgence absolue à créer des places spécifiques pour les familles. Mais on ne peut pas imaginer offrir uniquement des hébergements d’urgence, il faut voir le problème du logement dans sa globalité, ça fait des années qu’on n’a pas eu de politique du logement”.
« On n’a aucune visibilité »
La France compte aujourd’hui 203 000 places d’hébergement d’urgence. C’est deux fois plus qu’il y a dix ans, mais encore largement insuffisant face aux besoins. Et la période d’instabilité politique n’incite pas à l’optimisme. “Nous sommes très inquiets pour 2025, on n’a aucune visibilité. La question des enfants à la rue, on n’a jamais pu la traiter avec le ministre (du logement) Guillaume Kasbarian. Il faut que cette question là soit traitée en priorité” prévient Nathalie Latour de la FAS. Sa fédération, qui regroupe 900 associations, espère toujours obtenir dans le budget 2025 les 10 000 places supplémentaires tant attendues, et mise sur un appui des élus : “A la rentrée, on va lancer un appel aux parlementaires mobilisés sur la question du logement.”