Ticket modérateur, hôpital, coût du travail : les sénateurs se penchent sur le « coup de frein » dans les dépenses de la Sécurité sociale 

La commission des affaires sociales du Sénat a reçu ce 17 octobre le ministre du Budget Laurent Saint-Martin sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025. Les rapporteurs ont fait part de leur inquiétude sur les perspectives financières à moyen terme des comptes sociaux. Les réductions d’allègements de cotisations dans les entreprises ont également pris une part importante des débats.
Guillaume Jacquot

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Les auditions se poursuivent au Sénat sur les projets de loi budgétaires pour 2025. Après une audition sur le budget de l’État vendredi, c’était au tour de la commission des affaires sociales d’inaugurer son cycle de travail en plénière sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, qui s’annonce lui aussi particulièrement impopulaire. Après un calendrier bousculé par l’attente du nouveau gouvernement, le ministre du Budget et des Comptes publics Laurent Saint-Martin a assuré que le texte était « perfectible », ouvrant la voie à des amendements parlementaires, à condition que ces derniers restent dans le cadre des économies demandées.

La construction du projet de loi intervient après une dégradation vertigineuse des comptes sociaux en 2024. Le déficit s’est creusé de huit milliards d’euros en plus par rapport à la dernière loi de financement, et devrait atteindre 18 milliards d’euros, selon les dernières estimations. Pour 2025, le gouvernement propose de ramener le trou de la Sécurité sociale à 16 milliards d’euros, en « maîtrisant » la progression des dépenses à 2,8 %, soit un rythme quasiment divisé par deux par rapport à 2024. Sans « l’effort de freinage » proposé par le gouvernement, le déficit pourrait se creuser à 28 milliards d’euros, selon Bercy. « Tout le monde comprendra bien, tous bords confondus, que ce n’est pas soutenable. Il y a urgence à renverser la vapeur », a pressé le ministre du Budget.

Laurent Saint-Marin a précisé qu’il faudrait que « l’effort de rééquilibrage se poursuive sur plusieurs exercices ». La série de déficits pour les trois années suivantes, détaillée dans l’annexe du PLFSS, est toutefois plus marquée que dans la dernière loi de financement. Le déficit pourrait tutoyer les 20 milliards d’euros en 2028. « Malgré les mesures parfois difficiles qui figurent dans le projet de loi, la trajectoire financière jusqu’en 2028 reste toujours préoccupante », s’est inquiété le président de la commission des affaires sociales Philippe Mouiller (LR).

Scepticisme de la commission sur la capacité du gouvernement à redresser les comptes

La situation de l’Assurance maladie est à ce titre l’un des points d’alerte des sénateurs, d’autant que l’avis du Haut Conseil des finances publiques juge la trajectoire budgétaire « très incertaine ». Plusieurs parlementaires n’ont d’ailleurs pas manqué de relever l’une des confessions du ministre devant leurs homologues députés, hier. S’exprimant sur la tendance des dépenses, le ministre du Budget avait indiqué que le Ségur – ce vaste mouvement de revalorisation des soignants à la suite de la pandémie, pour près de 11 milliards d’euros chaque année – n’était « pas financé ».

Après des années de dépassements « systématiques » de l’objectif des dépenses de santé, la rapporteure de la branche maladie de la Sécurité sociale, Corinne Imbert (LR), a demandé comment convaincre les parlementaires de la crédibilité de la trajectoire qui leur est présentée. Relativement optimiste, Laurent Saint-Martin a souligné que les dépassements de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) s’étaient « réduits ». Il a également assuré que le gouvernement serait au rendez-vous pour tenir l’objectif de dépenses inscrit dans le projet de loi. « Il faut que les mesures réglementaires suivent, qu’elles soient à la hauteur. »

« Agenda réformateur »

Pour la santé, le gouvernement prévoit 4,9 milliards d’euros de mesures d’économies, dont une baisse du plafond de prise en charge des arrêts maladies pour les salariés rémunérés à plus de 1,4 Smic. Bercy espère dégager 600 millions d’euros d’économies à travers ce levier. Le gouvernement annonce également un plan de maîtrise sur les produits de santé (1,2 milliard d’euros d’économies espérées) ou encore un mouvement d’optimisation des achats dans les établissements de santé (700 millions d’euros d’économies), sans compter un coup d’accélérateur sur la lutte contre les fraudes. En parallèle de ce que Laurent Saint-Martin appelle un « coup de frein raisonnable », ce PLFSS prévoit des revalorisations pour la médecine libérale à hauteur de 1,6 milliard d’euros, trois milliards d’euros supplémentaires pour les hôpitaux, ou encore 2 milliards d’euros pour le médico-social.

Dans un contexte de vieillissement de la population, les perspectives financières « très dégradées » de la toute jeune branche autonomie restent aussi l’une des principales alertes au sein de la commission sénatoriale. « Nous avons besoin, en face des besoins de l’autonomie, de réfléchir au financement de la branche », a reconnu le ministre, pour qui « il ne faut s’interdire aucun débat ». Laurent Saint-Martin n’en a pas dit plus, renvoyant les sénateurs à une future audition de son collègue Paul Christophe, ministre des Solidarités et de l’Autonomie. En poste depuis à peine quatre semaines, Laurent Saint-Martin a concédé qu’il faudrait bien un « agenda réformateur » au-delà des textes budgétaires.

Les réductions d’allègements généraux de cotisations divisent la commission

De réforme, il en a été largement question au cours de l’audition avec la refonte progressive des allègements de cotisations sociales, dont bénéficient les entreprises sur les bas salaires. Le système actuel a pour but de favoriser l’emploi, mais il freine les augmentations pour les salariés au-delà du Smic. Le gouvernement s’est engagé dans ce chantier dans le but de « désmicardiser » le monde du travail. Pour 2025, la mesure rapportera quatre milliards d’euros de cotisations supplémentaires à la Sécurité sociale, avec la remontée de deux points de pourcentage des taux de cotisations patronales entre 1 et 1,3 Smic.

Mais le Medef redoute des destructions d’emplois par « centaines de milliers », devant ce renchérissement du coût du travail. L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), laboratoire de Sciences Po, estime, lui, à 50 000 le nombre d’emplois pouvant être potentiellement détruits sur 3 ans. Le ministre des Comptes publics s’est voulu rassurant, qualifiant la mesure de « raisonnable », sachant que le total des allègements représente un coût de 80 milliards d’euros chaque année. « 4 sur 80 ne me paraît pas excessif », a-t-il répondu, face aux craintes relayées par la rapporteure générale Élisabeth Doineau (Union centriste). Annick Petrus, sénatrice LR de Saint-Martin, a quant à elle attiré l’attention du gouvernement sur la situation spécifique des Outre-mer dans ce dossier.

À l’inverse, la gauche a trouvé le projet de remise à plat des allègements « très timide », à l’image de l’écologiste Raymonde Poncet-Monge. « Vous faites un choix politique, de ne pas trop reprendre sur les transferts aux entreprises très importants ces dernières années », a renchéri le sénateur de Paris Bernard Jomier (groupe PS). Ce médecin généraliste a fait part de sa « perplexité » devant le discours du ministre. « J’ai l’impression de vivre une forme de dystopie quand je vous écoute […] Vous n’êtes pas une génération spontanée, vous êtes issu de la mouvance présidentielle, qui gère les finances sociales depuis 2017. Il n’y a aucune perspective de retour à l’équilibre. »

Pour le ministre, les dégradations sont la conséquence des crises successives depuis 2020 et l’héritage n’empêche pas d’agir « en responsabilité » pour redresser les comptes. « On peut considérer que la politique d’offre n’a eu que des méfaits, on peut aussi considérer qu’on a créé des entreprises, des emplois », a-t-il rétorqué.

Laurent Saint-Martin affirme que la prévision de croissance du gouvernement intègre déjà les effets récessifs des économies

Autre choix qui a fait l’objet de débats : le relèvement du ticket modérateur, la part que ne rembourse pas l’Assurance maladie dans les consultations médicales. Cette mesure doit permettre à la Sécu d’économiser 1,1 milliard d’euros. « Cette mesure devrait être invisible pour les assurés, mais permettra un juste rééquilibrage de la répartition des dépenses de santé entre l’Assurance maladie et les complémentaires », a motivé le ministre. « Invisible ? C’est faux, les complémentaires ont déjà augmenté leurs tarifs et les tarifs risquent d’augmenter encore », a objecté la sénatrice communiste Céline Brulin. Laurent Saint-Martin a rappelé que la mesure serait sans effet pour les assurés bénéficiant d’une complémentaire santé solidaire (sept millions de personnes) et des personnes en affection de longue durée (ALD).

Raymonde Poncet-Monge a demandé si la prévision de croissance du gouvernement pour 2025, estimée à 1,1 %, intégrait ou non les effets de l’ensemble des réductions de dépenses et des hausses d’impôt. Hier, l’OFCE estimait l’impact récessif des deux grands textes budgétaires à 0,8 point de croissance. Le gouvernement, qui s’est engagé à dire la vérité et à livrer des prévisions plus fidèles à la réalité, ne se montre pas alarmiste. Laurent Saint-Martin a affirmé que la prévision gouvernementale intégrait déjà les effets du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. « Oui, cela a été considéré. Nous gardons, avec ces deux tiers d’économies, un caractère offensif de la politique de l’offre, qui permet de maintenir une capacité de croissance supérieure aux voisins européens », a rétorqué le ministre. L’effet récessif serait « surtout » la conséquence d’une « hausse de la fiscalité qui serait mal ciblée, mal pensée », selon lui.

Hausse « impopulaire » des taux de cotisations patronales pour la retraite des agents territoriaux ou hospitaliers

La hausse de quatre points du taux de cotisation des employeurs publics à la CNRACL, la Caisse nationale de retraite des fonctionnaires territoriaux ou hospitaliers, inquiète à ce titre plusieurs sénateurs. Les prélèvements supplémentaires sur les collectivités et les établissements de santé vont représenter deux milliards d’euros au total. Pour la sénatrice communiste Céline Brulin, cette disposition va augmenter de façon « considérable » les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales, et risque donc de « mettre à mal » les services publics dont elles ont la charge. Le sénateur Bernard Jomier ajoute que cette décision viendra aussi grever la rallonge budgétaire promise aux hôpitaux, déjà considérée comme insuffisante par la Fédération hospitalière française (FHF). Celle-ci réclame une hausse de 6 %, contre 3,1 % dans le texte du gouvernement. « Vous planquez dedans des transferts vers la CNRACL. Ils n’auront pas du tout + 3,1 % », s’est exclamé le sénateur de Paris.

« On a une réalité de déficit et une courbe démographique de cette caisse qu’il ne faut pas mettre sous le tapis […] Il faut savoir y répondre avec courage et une certaine d’impopularité, mais c’est nécessaire », a répondu Laurent Saint-Martin. La hausse prévue l’an prochain ne sera d’ailleurs pas suffisante pour résorber le trou de cette caisse. Pour le corriger à « court terme », le ministre a estimé à 10 points la progression nécessaire du taux.

La commission doit entendre la semaine prochaine Paul Christophe, ministre des Solidarités, puis Geneviève Darrieussecq, ministre de la Santé et de l’accès aux soins.

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