La fiscalité comportementale a le vent en poupe chez les parlementaires. Ce levier permet d’agir sur les comportements à risque, en dissuadant les Français, avec un signal prix plus élevé, de tomber dans une consommation excessive de tabac, d’alcool ou encore de produits alimentaires de faible qualité nutritionnelle. Cette semaine, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a donné son feu vert à plusieurs amendements, au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), dans l’espoir de prévenir l’émergence de maladies chroniques ou d’addictions, et donc leur coût pour le système de santé.
Ces votes sont encore loin de donner une indication de l’issue finale du débat parlementaire, puisque le projet de loi, rejeté dans son ensemble en commission, doit encore être débattu dans l’hémicycle la semaine prochaine. Ils illustrent néanmoins que la préoccupation de santé publique s’intensifie.
Les députés ont notamment adopté une taxe spécifique sur les bières titrant à plus de 5,5 ° d’alcool, et une autre sur les bières aromatisées et sucrées, cibles des jeunes adultes. Ils ont également étendu la « cotisation Sécurité sociale » à tous les alcools.
Concernant les boissons sucrées, les députés ont simplifié et relevé le régime de la fiscalité sur les boissons sucrées. Autre modification ayant eu leur faveur : l’instauration d’une taxe sur les sucres ajoutés dans les produits alimentaires transformés.
« C’est le moment », juge la rapporteure générale au Sénat
Plusieurs de ces propositions sont bien connues des sénateurs, qui abordent le sujet chaque année aussi. Certaines ont même déjà été adoptées, sans être retenues dans le texte définitif. L’an dernier, le palais du Luxembourg avait adopté le même amendement relatif à la taxation des sucres ajoutés dans les produits alimentaires transformés. L’année précédente, les sénateurs s’étaient attaqués aux bières aromatisées sucrées ou édulcorées. Quant au renforcement des effets de seuil dans le coût des boissons très sucrées, il figurait parmi les préconisations d’une mission de contrôle sénatoriale, publiées en mai.
Le contexte budgétaire très dégradé et la dynamique soutenue des dépenses de santé pourraient donner un nouvel élan cette année à ces différentes propositions parlementaires. « Je pense que c’est le moment où on peut progresser, c’est peut-être une opportunité politique », considère la rapporteure générale de la commission des affaires sociales du Sénat, Élisabeth Doineau (Union centriste). D’autant que le levier des taxes comportementales pourrait être un moyen de revenir partiellement sur d’autres pistes explosives, comme un relèvement du ticket modérateur. « Cette année il faut s’interroger sur les recettes et si on est hostile à certaines recettes, il faut en trouver d’autres », prévient la sénatrice de la Mayenne.
« Si le gouvernement a un peu de courage, il a une solution pour réduire les déficits des finances sociales de façon qui soit juste, en mettant à contribution ceux qui consomment ces substances et qui ont des coûts élevés pour le système de santé », appelle également le sénateur Bernard Jomier (groupe socialiste). Le médecin s’est dit surpris par l’absence de ce type de mesures dans le projet de loi déposé au Parlement. « C’est rare de voir qu’il n’y a absolument aucun élément de fiscalité comportementale, ni sur le tabac ou l’alcool, ni sur la nutrition. » Sans compter la disparition du mot « prévention » dans l’intitulé du ministère de la Santé, qui est mal passée au sein de la commission des affaires sociales du Sénat.
« Je suis favorable à une action sur les sucres », a déclaré au Sénat la ministre de la Santé
Auditionnée ce jeudi 24 octobre au Sénat, la ministre de la Santé et de l’Accès aux soins a été sondé sur le sujet des taxes comportementales. Elle semble vouloir avancer sur au moins un sujet. « Je suis favorable à une action sur les sucres. Ça nous empoisonne […] On a un vrai sujet de santé publique », a-t-elle déclaré devant les sénateurs. Geneviève Darrieussecq considère que l’outil de la fiscalité peut être un moyen de « faire évoluer » les pratiques des industriels.
La position exprimée par la ministre reste minimale pour Bernard Jomier. « Je voudrais qu’elle tienne des propos plus fermes que ce qu’elle a dit devant notre commission, on doit vraiment s’attaquer à cette question ». Mais le sénateur de Paris regrette de ne pas l’avoir entendue se positionner sur l’alcool ou le tabac. « La moindre des choses serait que la fiscalité couvre les coûts directs » en termes de santé publique, insiste-t-il. Selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), les recettes de taxation issues de l’alcool ne couvrent que 42 % du coût des soins engendrés par la consommation d’alcool.
Un amendement sénatorial taxant les produits sucrés pourrait-il survivre à la navette parlementaire et être approuvé par le gouvernement en cas d’adoption du PLFSS par voie de 49.3 ? La rapporteure Élisabeth Doineau estime que les signaux sont positifs du côté de Matignon. « J’ai échangé avec le conseiller santé du Premier ministre, il est plutôt intéressé à ça, j’ai senti un intérêt », témoigne Élisabeth Doineau.
Mercredi, l’Association nationale des industries alimentaires (Ania) avait indiqué dans un communiqué vouloir « en urgence un rendez-vous avec le Premier ministre pour lui faire part de son opposition totale à toute nouvelle taxe sur l’agro-alimentaire ».
Dans la lignée de leur mission de contrôle conduite ces derniers mois, les sénateurs rappellent toutefois que toute politique de prévention devra aborder une variété d’outils. « On ne s’y attaquera pas que par le volet de la fiscalité, il ne faut pas faire croire cela, ce serait de la paresse. Cela doit être complété par un autre dispositif touchant la publicité, l’activité physique », plaide Bernard Jomier.
« Il faut travailler aussi sur la communication et également de nouvelles habitudes, peut-être en mettant en place un chèque alimentaire qui permette aux familles les plus en difficulté d’acheter des fruits et légumes », suggère également Élisabeth Doineau. « Une partie des recettes issues des taxes doivent être ciblées pour aider les comportements à changer. »