Les sénateurs ont adopté un article du budget 2025 de la Sécurité sociale, qui renforce l’arsenal législatif pour lutter contre les pénuries de médicaments, une réalité toujours présente. Un renforcement des sanctions financières est notamment prévu.
Situation des ehpad : « Il faut un véritable plan Marshall »
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« Tous les ehpad sont en mauvais état, et cela n’est pas dû à une mauvaise gestion », juge Anne Souyris, sénatrice de Paris spécialiste de santé publique.
En 2022, la publication de Victor Castanet, « Les fossoyeurs » , fruit d’une enquête de trois ans, faisait des révélations sur les dérives et dysfonctionnements au sein du groupe Orpea dans la gestion de ses ehpad. La publication de cet ouvrage a déclenché un vrai scandale, entrainant poursuites judiciaires, enquêtes, et difficultés financières pour le groupe. Depuis les révélations faites au grand public, une défiance envers les ehpad s’est ancrée, et beaucoup d’établissements ont vu leur taux d’occupation baisser. D’autres problématiques ont aussi été intensifiées ces dernières années : les établissements sont étouffés par l’inflation et la hausse des charges. Il est alors urgent de trouver des solutions et un nouveau modèle économique viable pour sauver les ehpad, et c’est dans ce contexte complexe que se tiennent les assises nationales, dont l’enjeu est grand au vu de la situation.
Un manque drastique de moyens
« Ce n’est pas le fruit d’hier, c’est une dégradation progressive, sur laquelle nous alertons depuis des années. Un peu près 80% des ehpad sont en déficit », constate à regret Jean Sol, sénateur LR et vice-président de la Commission des affaires sociales du Sénat.
D’abord, la dégradation de la situation s’explique par la hausse généralisée des prix. L’augmentation des prix de l’électricité, mais aussi des repas, et du matériel médical se répercute directement sur le budget des ehpad.
« Comme ce sont des établissements habilités à l’aide sociale, les tarifs sont bloqués et ne suivent pas l’inflation, et l’Etat ne suit pas. Il va falloir trouver des solutions pérennes et d’urgence », explique la sénatrice écologiste Anne Souyris, rapporteure de la mission de contrôle sur la situation des ehpad avec Chantal Deseyne et Solanges Nadille.
Dans tous les cas, augmenter le prix pour les résidents dans les ehpad publics n’est pas envisageable, sachant que la majorité des occupants ont des ressources financières déjà inferieures au coût de leur hébergement.
Un fond exceptionnel et d’urgence de 100 millions avait été mis en place par le gouvernement fin 2023 pour répondre aux difficultés des établissements médicaux sociaux, et une commission départementale de suivi des ehpad avait aussi été mise en place.
Mais la sénatrice écologiste alerte : « ll ne faut pas une énième aide d’urgence, il faut construire notre avenir ». « Au vu du vieillissement de la population, avec 4 personnes sur 10 de plus de 60 ans d’ici 2050, la question des lieux de vie pour les personnes âgées est cruciale », ajoute-elle.
Pour la sénatrice, une aide de 100 millions est « totalement insuffisante. Les ehpad publics et privés non lucratifs ont du mal à payer leurs factures, et ils attendent de l’aide de l’état. Il y a une tension matérielle, une impossibilité des bâtiments à être adaptés au réchauffement climatique, … on n’a fait que très peu d’investissements depuis 25 ans. Il faut au moins 15 milliards d’investissement » affirme t-elle.
La gauche comme la droite s’entendent sur l’urgence de la situation et la nécessité d’allouer davantage de ressources financières aux ehpad : le sénateur Jean Sol, qui avait été co-rapporteur sur le projet de loi « bien vieillir et autonomie » , affirme qu’ « il faudrait presque un véritable plan Marshall en direction de nos ehpad aujourd’hui. Cela relève d’un plan d’urgence », et nous dit attendre une « loi de programmation pluriannuelle pour qu’on puisse donner des moyens aux établissement ».
Une défiance toujours plus grande ?
« Le deuxième problème, c’est le fait qu’il y a une dégradation inégalée de l’image des ehpad. Depuis le Covid, on a du mal à dépasser les 80% de taux d’occupation, car les ehpad ont renvoyé une image de mouroir au cours de la pandémie. Les familles n’ont pas pu voir leurs proches juste avant qu’ils meurent, certains n’ont même pas pu avoir de vraies funérailles. Ça a été traumatique, et il y a cet impact à prendre en considération », déplore Anne Souyris.
Le scandale Orpea n’est pas venu améliorer cette image : le groupe d’ehpad avait été condamné pour des faits de « négligence » envers une personne âgée et invalide qui était par la suite décédé. Le groupe Orpea avait été accusé d’avoir instauré une optimisation des coûts, au détriment du bien-être et de la santé de ses résidents.
La baisse d’attractivité des ehpad, le développement d’une défiance à leur égard a ainsi engendré une baisse des recettes alors que les coûts ne font qu’augmenter. « Le manque d’attractivité pour les soignants va aller crescendo alors qu’on a déjà du mal à recruter »
Une autre problématique a laquelle doivent faire face les ehpad concerne la tension de recrutement du personnel hospitalier. En effet, les conditions de travail compliquées mènent à une baisse de l’attractivité du métier. C’est un cercle vicieux : le manque de personnel se répercute non seulement sur la santé et le bien être des résidents, mais aussi sur la charge de travail du personnel qui se retrouve submergé. « C’est le serpent qui se mord la queue », ajoute la sénatrice en charge des questions sociales. « Quand les soignants ne sont pas assez nombreux, ils se sentent mal traitants, car ils ne peuvent pas faire les choses bien, ils ont une mauvaise image d’eux même ».
Pour Anne Souyris, la question de la revalorisation des salaires est donc certes importante, mais les salaires ne sont pas « l’alpha et l’omega ». Elle ajoute : « Il faut que le personnel soignant se sente faire partie d’un projet. Il faut redonner un sens au métier. Il y a aussi énormément de métiers différents dans les ehpad, de l’auxiliaire de vie au médecin, ou au coiffeur, et il faut prendre en considération tous ces gens-là. En général, le personnel démissionne , car il a l’impression de faire plus de mal que de bien faute de moyens. Le personnel hospitalier est essentiel, il faut donc le valoriser de plein de manières différentes ».
Le sénateur LR la rejoint : « Le manque d’attractivité pour les soignants va aller crescendo alors qu’on a déjà du mal à recruter » alerte-il. « Nos directeurs d’établissement n’en peuvent plus et il y a une crise de l’attractivité des métiers de soignants. Être aide-soignant dans ces services n’est pas simple aujourd’hui ». Le sénateur et vice-président de la commission des affaires sociales propose aussi de créer des spécialités infirmiers et aides-soignants grand âge et gériatrie, et d’établir de meilleures rémunérations, « à la hauteur de leur travail ».
« Il y a vraiment un travail social à faire, un vrai changement à opérer »
Pour répondre à la crise des ehpad, qui ne revêt pas seulement une nature pécuniaire, il faut, selon la sénatrice Anne Souyris, redonner de l’attrait à ces établissements de santé, afin de faire chuter le taux d’inoccupation qui pèse sur les revenus des établissements. Pour cela, il est nécessaire de redonner confiance aux familles et aux résidents via notamment « des projets de vie internes à l’ehpad, des projets collectifs, car il est nécessaire que la famille voie cette vie dans l’ehpad ». « Il faut donc réformer structurellement le mode de fonctionnement des ephad. L’ehpad ne doit pas être forcément être l’endroit on l’on finit sa vie » , nous explique Anne Souyris.
Cet avis est partagé par le sénateur Jean Sol qui pense que la confiance pourra être rétablie si les ehpad ont « les moyens d’assurer une prise en charge de qualité, mais aussi si ils permettent aux familles de voir leur proches en dehors des heures traditionnelles de visite, en les associant également à la vie des ehpad ». Les reformes financières ne suffisent pas pour parer à la crise, il faut des réformes sociales.
Pour rétablir la confiance envers ces établissements, la transparence est également la clé pour la sénatrice : « On doit savoir combien il y a de personnels, de médecins, de soignants, et connaitre l’ensemble de la situation. D’ailleurs, on voit que le privé non lucratif et le public ont repris un taux d’occupation meilleur que le privé lucratif, car les établissements sont davantage transparents », continue Anne Souyris.
Qu’attendre des assises nationales ?
Pour le sénateur Jean Sol, les assises sont une opportunité qu’il faut saisir pour « réexprimer le diagnostic qui est fait aujourd’hui, le partager, et faire l’objet d’un plan d’action » L’enjeu de ces assises pour le sénateur est notamment de revenir sur les ratios agents/lits, ce qui passera par l’augmentation des budgets. Il précise qu’« au-delà des assises et des déclarations d’intentions, il faut prendre conscience des problématiques et que s’en suive un réel plan d’action ».
Du côté des écologistes, la sénatrice Anne Souyris regrette que « pour le moment, il n’y ait rien de concret et de pérenne devant nous. Aux assises, des pistes données sont intéressantes, mais pour l’instant, les pistes sont du colmatage. Quand on parle uniquement de tarif évolutif, cela fait d’abord porter l’intégralité de l’effort sur les personnes, c’est encore une charge supplémentaire sur les classes moyennes. La question. La question de l’investissement doit être planifié sur les années à venir, et pour l’instant je n’ai rien vu de tel ».
Juliette Durand
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