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Santé des femmes au travail : un rapport du Sénat tire la sonnette d’alarme

La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes délivre son rapport sur la santé des femmes au travail. Face à cette problématique « sous-estimée » et « méconnue », selon les termes du rapport, 4 sénatrices proposent trois axes d’amélioration pour une meilleure prise en compte des pathologies qui affectent la vie professionnelle des femmes.
Thomas Fraisse

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« Mettre des mots sur ces maux et rendre visible l’invisible qui fait mal ». Les propos en préambule du rapport « Santé des femmes au travail » prouvent l’importance de traiter le sujet et la nécessité de le mettre en lumière. Pendant six mois, les quatre sénatrices Laurence Rossignol (PS), Laurence Cohen (PC), Annick Jacquemet (UC), Marie-Pierre Richer (LR) ont multiplié les auditions et les déplacements, notamment en Bretagne région en avance sur ce domaine, pour enfin lever le voile de manière transpartisane sur cette thématique. Selon les sénatrices, « le manque de reconnaissance de la charge physique et mentale du travail des femmes est ainsi à l’origine d’impensés féminins dans la conception et la mise en œuvre des politiques de santé au travail ».

Le premier problème, que pointe le rapport, est celui du manque de données statistiques. Bien que la loi du 4 août 2014, relative à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, ait obligé les employeurs à mettre en place des indicateurs sexués de la santé et de la sécurité au travail, les sénatrices ont fait face à de nombreuses déconvenues. « Les données sexuées demeurent très incomplètes. Surtout quand elles existent, ces données sont trop faiblement exploitées », explique Annick Jacquemet. « Or, sans connaître, comment prévenir et comment réparer ? ». À titre d’exemple, les quatre sénatrices pointent la Direction générale du travail, qui « n’a pas été en mesure de fournir aux rapporteures des données par sexe sur la répartition des arrêts maladie ou le suivi effectué par les services de prévention et de santé au travail ». Par ailleurs, la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam) établit des statistiques genrées sans pour autant les exploiter. « Nous avons besoin d’objectiver et de chiffrer ce que nous voyons empiriquement dans la société », avance Laurence Rossignol. « Notre travail est d’étudier le plus sérieusement de façon à ce que nous livrons ne soit pas contestable »

Le premier axe des propositions des sénatrices vise donc à respecter les engagements pris par la loi de 2014 afin d’étudier la santé au travail par genre. « Des craintes de discrimination freinent la mise en œuvre de l’évaluation sexuée des risques professionnels prévue par la loi », note le rapport. « Différencier, cela ne veut pas dire discriminer », complète Laurence Cohen. Les sénatrices proposent de former les professionnels à l’approche genrée des données, de les exploiter et faire appliquer les dispositifs obligatoires de construction d’un document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) genré.

Une meilleure prévention des risques

« Nous avons remarqué que cette supposée neutralité conduit à se focaliser sur l’homme moyen, le travailleur masculin. Un homme moyen n’est pas physiquement taillé comme une femme. Pour les secteurs presque exclusivement féminins, on retrouve les mêmes difficultés », détaille Annick Jacquemet. Sa collègue communiste Laurence Cohen avance même que certaines entreprises, qu’elle a visitées pour le compte de la commission d’enquête sur la pénurie de médicaments, n’avaient pas de chaussures adaptées aux femmes. Des situations inégalitaires qui entraînent de nombreuses conséquences sur la santé des femmes. Là où les hommes font majoritairement face à « des dangers visibles et engageant le pronostic vital », d’après les termes du rapport, les femmes à l’inverse souffrent de manière invisible. « 60 % des personnes atteintes de troubles musculosquelettiques (TMS) sont des femmes. Les TMS sont les premières maladies professionnelles depuis 20 ans », tient à rappeler Marie-Pierre Richer. « Là où l’on pensait que les maladies professionnelles touchaient les hommes dans le BTP, on se rend compte que ce sont les femmes les premières victimes ». Les TMS, ou troubles musculosquelettiques, regroupent l’ensemble des maladies des articulations, telles qu’une lombalgie ou le syndrome du canal Carpien.

Pire encore concernant les cancers. Alors que les femmes subissent une ségrégation « sexuée des tâches », les « postes féminins, tels que le nettoyage ou les soins », nécessitent un travail de nuit. D’après une étude de l’Inserm en 2018, le travail de nuit augmenterait de 26 % la probabilité de développer un cancer du sein. De plus, selon Annick Jacquemet, « cette question n’est pas prise en compte sous la question du genre alors que ce sujet est davantage centré sur les femmes ». En moyenne, les femmes développent des cancers plus prématurés que les hommes pendant leurs années actives. Ainsi, la question de la réinsertion professionnelle post-cancer et celle de l’aménagement du poste se posent en premier lieu pour les femmes.

Face à cette situation, le deuxième axe de propositions centre un développement et une adaptation de la prévention. Pêle-mêle les élues souhaitent informer les jeunes au collège ou au lycée sur les conditions de travail des femmes, renforcer les moyens humains dédiés à la prévention de la médecine ou de l’inspection du travail, revoir la liste des critères de pénibilité ou renforcer les sanctions à l’encontre des employeurs. Lorsque la loi n’est pas respectée, il faut des sanctions dissuasives », prévient Laurence Cohen. « Lorsque l’on touche au porte-monnaie, ça fait mal »

Les tabous de la vie sexuelle et reproductive

« Être une femme c’est avoir des règles, des grossesses naturelles ou liées à l’assistance médicale à la procréation, et peut-être des fausses couches. Être une femme ne relève pas de la pathologie. Pourtant, être une femme en apporte », détaille Laurence Rossignol. Dans la vie professionnelle, les cycles menstruels et les volontés de grossesses peuvent se lier à des freins inégalitaires. Bien que discuté, le congé menstruel – mis en place à la mairie de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) – n’a pas passé l’épreuve du débat de la délégation. Toutefois, les sénatrices se penchent sur la prise en compte dans la liste des affections de longue durée (ALD) de l’endométriose, maladie vaginale touchant une femme sur dix. Cette inscription dans la liste permettrait ainsi de supprimer les pertes financières des femmes, qui doivent arrêter de travailler à cause de leurs douleurs menstruelles. « Une récente étude publiée au Canada montre que les femmes se déclarant atteintes d’endométriose disent s’absenter pendant 17 % de leur temps de travail. Elles rapportent une diminution de leur capacité de travail de 41 % et une baisse de productivité au travail de plus de 46 % », note le rapport.

En ce qui concerne le désir de procréer, les quatre sénatrices se penchent à la fois sur la voie naturelle et sur celle médicalisée. Selon le rapport, 20 % des femmes perdent ou quittent leur emploi à cause de leur grossesse. Une stigmatisation négative de la grossesse, combinée à des discriminations au travail, conduit les femmes à ne pas recourir à leurs droits. « Les employeurs ne les informent pas forcément. Comme c’est surprenant », ironise Laurence Rossignol. Elle propose donc de mieux communiquer sur ces droits. Pour la voie médicalisée, 84 % des femmes expliquent que le parcours médical affecte leur travail professionnel. Ainsi, la réponse du rapport est de mieux adapter l’AMP aux contraintes professionnelles féminines.

« La ménopause est le dernier tabou », dénonce Laurence Rossignol. « Pourtant, elle touche 500 000 femmes par an et 100 % des femmes de plus de 55 ans ». Les conséquences sont « généralement transitoires : carence oestrogénique, bouffées de chaleur, troubles du sommeil, maux de tête, troubles urinaires, troubles de la mémoire, risque osseux… ». Ainsi lever le tabou sur cette étape naturelle de la vie des femmes passerait par adapter les conditions de travail des femmes ménopausées à cette symptomatologie.

Les 23 recommandations seront portées de manière législative « après les élections sénatoriales », avance la présidente de la délégation Annick Billon. Elles seront par la suite présentées au gouvernement.

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