C’est un rapport qui pourrait inspirer le gouvernement dans sa quête de réduction des déficits. La Cour des Comptes vient de publier un rapport destiné à enrayer « l’insoutenable » trajectoire de la dette sociale. Le déficit de la Sécurité Sociale a atteint 10,8 milliards en 2023 et « la trajectoire montre une dégradation continue, avec un déficit qui atteindrait 17,2 Md€ en 2027 » relève la Cour.
Pour tenter de reprendre le contrôle de la dette, la plus haute juridiction financière propose un traitement de choc pour diminuer les dépenses d’indemnisation des arrêts de travail « qui ont augmenté de plus de 50 % entre 2017 et 2022 pour atteindre 12 milliards d’euros dans le régime général ». Parmi « les mesures possibles », la Cour évoque la réduction de la durée maximale d’indemnisation de trois à deux ans associée à une meilleure prise en charge des pathologies chroniques, une augmentation du délai de carence de trois à sept jours, mais aussi un arrêt de l’indemnisation des arrêts de travail de moins de huit jours.
Relevant la levée de boucliers que ces mesures ont siccité, le premier président de la Cour des Comptes, Pierre Moscovici s’est fendu d’un communiqué. Il souligne que « la Cour ne privilégie aucune mesure en particulier, mais chiffre les économies qu’apporteraient différentes mesures. Celle, souvent citée, d’arrêt de l’indemnisation des arrêts de travail de moins de huit jours, reviendrait, dans la plupart des cas, à une prise en charge des arrêts de travail, avec maintien du salaire, par les entreprises jusqu’à sept jours, au lieu de trois jours actuellement. Les affections de longue durée ne seraient pas concernées ».
« Ça va beaucoup trop loin pour peu d’économies »
En effet, rappelons qu’en cas d’arrêt maladie, l’Assurance maladie verse des indemnités journalières (IJ) pour compenser la perte de salaire. Actuellement, celles-ci ne sont versées qu’à partir du quatrième jour d’arrêt, c’est ce que l’on appelle le délai de carence. Certaines entreprises compensent tout ou partie de ce délai.
La sénatrice LR Corinne Imbert, rapporteure de la branche Maladie du budget de la Sécurité Sociale, a d’ailleurs jugé ces mesures jusqu’au-boutistes ». « Ça va beaucoup trop loin pour peu d’économies. L’arrêt de l’indemnisation des arrêts de travail de moins de huit jours ne rapporterait que 470 millions, bien moins que l’augmentation du délai de carence à 7 jours qui se situe autour d’un milliard », note-t-elle. Pour mémoire, en avril dernier, La Tribune dimanche révélait que le gouvernement envisageait de rajouter un ou plusieurs jours de carence sur les arrêts de travail du privé pour faire des économies.
Les pistes citées par la Cour des Comptes ont aussi été accueillies plus que fraîchement par le patronat car deux tiers des salariés du privé « sont protégés contre la perte de revenu induite par le délai de carence par le biais de la prévoyance d’entreprise », selon les données de la Dress, (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques). Et si les délais de carence s’allongent, les cotisations à la prévoyance des entreprises augmentent.
La droite sénatoriale et les entreprises favorables à un jour de carence « d’ordre public »
« Une telle mesure ne changera en rien la pratique des arrêts de courte durée. Elle transfère à l’entreprise la prise en charge de 5 journées supplémentaires d’arrêt maladie alors que le délai de carence actuel de 3 jours leur coûte d’ores et déjà chaque année 5 milliards d’euros », a réagi dans un communiqué Marc Sanchez, Secrétaire général du syndicat des Indépendants et des TPE (SDI). Son syndicat privilégie en lieu et place la mise en place « d’un délai de carence d’un à deux jours d’ordre public qui interdira aux entreprises de prendre en charge les salaires sur ce laps de temps ».
Cette mesure est également plébiscitée par la majorité sénatoriale de la droite et du centre « afin de « traiter équitablement les salariés du privé et du public », souligne Corinne Imbert. Le délai de « carence d’ordre public », s’inspire de ce qui existe déjà pour le public : les fonctionnaires ne disposent que d’un seul jour de carence mais à la différence du privé, celui-ci n’est jamais indemnisé. La mesure épargne l’employeur, mais pénalise alors le salarié.
Le sujet de la limitation des arrêts maladie occupe l’exécutif depuis déjà quelque temps. L’année dernière, alors ministre délégué aux Comptes publics, Gabriel Attal était auditionné par la commission des affaires sociales du Sénat pour alerter sur « l’explosion des arrêts maladie ». Lors des discussions budgétaires de l’automne dernier, le gouvernement a donc cherché à lutter contre les arrêts de complaisance. L’une des mesures du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (2024) prévoyait la suspension automatique des indemnités journalières, lorsqu’un médecin diligenté par l’entreprise estimait que l’arrêt maladie n’était pas justifié. Mais ce dispositif a été retoqué par le Conseil constitutionnel. En revanche, la prescription des arrêts maladie par téléconsultation a été limitée à 3 jours si le prescripteur n’est pas le médecin traitant.
Les sénateurs avaient, eux, adopté un amendement de la commission des finances, contre l’avis du gouvernement, pour porter le délai de carence des fonctionnaires d’État à trois jours, alignant ainsi la durée de l’arrêt maladie non indemnisé sur le régime de base des salariés du privé. L’économie estimée à 220 millions d’euros était minime et la mesure n’avait pas survécu à la navette parlementaire.
8 milliards de niches sociales
« Je sais qu’il ne s’agit que d’un rapport de la Cour des Comptes mais je suis catastrophée de voir que pour combler le trou de la Sécu on préfère taper sur les malades plutôt que d’améliorer les recettes notamment en luttant contre les niches fiscales et sociales des entreprises », s’agace Monique Lubin, sénatrice socialiste.
La Cour des Comptes s’est pourtant bel et bien penchée sur les recettes à la Sécurité sociale en s’attaquant « aux niches sociales des compléments de salaire ». Le financement des complémentaires santé, la prévoyance et retraite supplémentaire, les titres-restaurants, le partage de la valeur comme l’intéressement ou la participation… ne cessent de croître, au détriment des salaires et des cotisations sociales assises sur ceux-ci, explique le rapport. « En conséquence, les pertes de recettes induites pour la sécurité sociale entre 2018 et 2022 ont atteint 8,1 milliards, montant supérieur à la dégradation des déficits sociaux hors covid (6,6 milliards) », compare la Cour.
Une autre piste d’économies porte sur une meilleure régulation des médicaments anti-cancéreux innovants. La dépense de l’Assurance maladie pour ces médicaments « a atteint 5,9 milliards d’euros en 2022, 2,4 milliards après déduction des remises versées par les laboratoires ». La Cour suggère la mise en place d’un réseau d’organismes de recherche indépendants pour évaluer les coûts et les bénéfices induits par les nouveaux médicaments. Il faut pouvoir notamment « renégocier le prix des médicaments anti-cancéreux innovants lorsque des études […] montrent des résultats inférieurs à ceux attendus », note la Cour.
La Cour des Comptes suggérera « des pistes d’économies concrètes » fin juin, a indiqué son président, Pierre Moscovici. « Il y a des gisements importants », mais il faudra de la « volonté politique » pour les mettre en œuvre, a-t-il prévenu. Reste à savoir si l’exécutif privilégiera la lutte contre les niches sociales où les arrêts maladies ?
Gabriel Attal a déjà donné une indication. « Ce n’est pas parce que la Cour des comptes fait une proposition qu’on doit la reprendre ». « Ma priorité, c’est plutôt de lutter contre les arrêts maladie frauduleux, c’est très facile de s’en procurer sur Internet et les réseaux sociaux », a-t-il déclaré sur France Inter.