L’infirmière agressée au couteau au CHU de Reims est morte dans la nuit de lundi à mardi. Sa disparition a soulevé de vives réactions au sein de la classe politique. « Ce sont en quelques jours plusieurs de nos agents publics qui sont morts au service de nos concitoyens », a réagi dans un communiqué la Première ministre Élisabeth Borne, faisant le lien avec la disparition de trois policiers de Roubaix dans la collision de leur véhicule dimanche, et celle lundi d’un agent de la direction interdépartementale des routes Atlantiques, fauchés en Charente-Maritime. « Un des drames les plus intenses qui puissent toucher notre nation », a commenté sur France Inter Olivier Véran, porte-parole du gouvernement et ancien ministre de la Santé. Tandis que François Braun, son successeur avenue de Ségur, a fait part de son « immense tristesse » sur Twitter.
L’agresseur de cette infirmière de 37 ans, qui a également blessé une secrétaire médicale, « semble souffrir de troubles sévères et fait l’objet depuis plusieurs années d’une mesure de curatelle renforcée », a indiqué le procureur de la République de Reims, Matthieu Bourrette, à l’Agence France-Presse. Cet homme de 59 ans se trouvait au CHU de Reims sans raison particulière. Il avait déjà été mis en examen pour des faits de violence aggravée, mais avait bénéficié d’un non-lieu en juin 2022 pour « irresponsabilité pénale ». Cette situation a poussé différents responsables associatifs et politiques à alerter ce mardi sur l’état de la psychiatrie en France.
« Le monde de la psychiatrie manque de moyens cruellement », a commenté Arnaud Chiche du collectif Santé en danger auprès de franceinfo. Invitée de la matinale de Public Sénat, la députée Laure Lavalette, porte-parole du groupe RN à l’Assemblée nationale, a estimé que la discipline était « le parent pauvre de nos politiques publiques en matière de médecine ». « L’infirmière de Reims n’est pas seulement morte sous les coups de son agresseur. Elle est morte aussi sous les décombres de la psychiatrie française qui laisse des fous dangereux en liberté » a tweeté Bruno Retailleau, le chef de file des sénateurs LR. Sur BFMTV, Éric Ciotti, le patron du parti de la rue de Vaugirard, a même appelé à « un grand plan psychiatrie », pointant notamment du doigt le manque de prise en charge des prisonniers, un sujet, « qui joue un rôle important dans la montée de l’insécurité », selon le député des Alpes-Maritimes.
Un enjeu de santé publique mis en lumière pendant la crise du covid-19
Les états des lieux ne manquent pas. Un rapport sénatorial de 2017, consacré à la psychiatrie des mineurs, évoque une douzaine de rapports publics sur la prise en charge des troubles psychiques en France produits depuis le début des années 1980. Cette question de santé publique est d’autant plus prégnante qu’une personne sur quatre sera touchée par des troubles psychiques au cours de sa vie, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Avec un coût qui n’a rien de négligeable pour la dépense publique. Selon les chiffres du ministère de la Santé, les troubles psychiques sont le premier poste de dépenses en matière de santé : 14,5% de la facture annuelle, soit 23,4 milliards d’euros pour l’Assurance maladie, auxquels s’ajoutent 30 milliards d’euros d’aides indirectes, telles que les indemnités journalières versées pendant un arrêt de travail.
En 2022, on recensait plus de 15 500 psychiatres en France, un chiffre largement au-dessus de la moyenne des pays occidentaux (22,8 psychiatres pour 100 000 habitants, contre une moyenne de 15,6 au sein de l’OCDE), mais derrière lequel se cache de profondes disparités territoriales, et surtout une situation hospitalière particulièrement inquiétante. En 2018, l’hôpital public comptait un peu moins de 32 000 lits d’hospitalisation à temps plein en psychiatrie, un chiffre qui a chuté de 60% depuis le milieu des années 1970, note l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) qui pointe également le rôle joué par le développement de thérapies favorisant la réinsertion des malades. Par ailleurs, 30% des postes en psychiatrie ne seraient pas pourvus dans les hôpitaux publics, selon les données de la Fédération française de psychiatrie.
Pour autant, le « plan psychiatrie » appelé de ses vœux par Éric Ciotti existe déjà, sous la forme d’un programme pluriannuel « santé mentale et psychiatrie », piloté par la Haute Autorité de Santé (HAS) depuis 2013. Tous les cinq ans, une nouvelle feuille de route est présentée. L’édition 2018-2013 décline trois axes d’action : promouvoir le bien être mental et réparer plus facilement les situations de souffrance psychique, garantir une offre de soins accessible et diversifiée en psychiatrie ; améliorer l’insertion des personnes en situation de handicap mental. En cours de route, la crise sanitaire déclenchée par le covid-19 et les mesures de restriction n’ont pas été sans conséquences sur la santé mentale des Français. En février 2021, 34% des personnes interrogées par l’enquête CoviPrev, mise en place pour suivre l’évolution des comportements pendant la pandémie, présentaient un état anxieux ou dépressif.
Faciliter l’accès aux soins psychologiques
Ainsi, les 37 mesures initialement portées par la feuille quinquennale « santé mentale et psychiatrie » ont été remises à jour en 2021, dans la foulée du Ségur de la Santé, puis des Assises de la Santé mentale et de la psychiatrie voulues par Emmanuel Macron. Aux 1,4 milliard d’euros déjà mobilisés sur la période 2018-2021, sont venus s’ajouter 1,9 milliard engagé jusqu’en 2026. Parmi les principales mesures déployées depuis cinq ans, citons la création en juillet 2018 d’un observatoire de la qualité de vie au travail, avec un focus particulier sur la situation des personnels de santé, particulièrement exposés aux risques psycho-sociaux, puis l’institution en 2019, auprès du ministre de la Santé, d’un délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie. La formation initiale des futurs psychiatres et pédopsychiatres a été portée à cinq ans pour mieux couvrir les différentes spécificités de la discipline. Surtout, un numéro national gratuit de prévention du suicide, le 3114, a été mis en service en octobre 2021. Accessible 24H/24 et sept jours sur sept sur l’ensemble du territoire, il avait reçu fin décembre quelque 200 000 appels.
Principale dispositif issu des assises de la psychiatrie : la création du dispositif MonParcoursPsy. Depuis avril 2022, il permet aux personnes souffrant de troubles psychologiques légers ou modérées de bénéficier de huit séances remboursées chez un psychologue conventionné avec l’Assurance maladie. Fin janvier, 90 642 patients y avaient eu recours, dont 71% de femmes et 10% de publics précaires, avec une moyenne de 4 séances par patient, mais seulement 2 200 psychologues se sont portés volontaires pour intégrer ce dispositif.
Par ailleurs, plus de 20 millions d’euros ont été investis sur la période 2019-2021 dans les centres médico-psychologiques. En 2021, Emmanuel Macron annonçait l’ouverture de 800 postes supplémentaires dans ces établissements. Notons également le lancement d’une expérimentation dans plusieurs régions autour des « Maisons de l’enfant et de la famille » (MEF) sur la période 2023-2025, des structures destinées à accompagner les familles face aux troubles psychiques chez les enfants et les adolescents. « La prise en charge des mineurs répond d’abord à un enjeu de prévention. Selon l’OMS, plus de 50 % des pathologies psychiatriques de l’adulte apparaissent avant seize ans », relevait le Sénat dans son rapport de 2017.
« Ce n’est pas en claquant des doigts que nous aurons des médecins demain »
Malgré les efforts déployés, le secteur peine à sortir la tête de l’eau. En novembre dernier la sénatrice socialiste Annie Le Houérou alertait le ministre François Braun lors d’une séance de questions au gouvernement sur les difficultés de recrutement. « De façon structurelle, la psychiatrie subit les mêmes problèmes d’attractivité et de perte de sens que l’hôpital », a-t-il reconnu. Ce mardi 23 mai, François Braun a de nouveau été interpellé sur ce sujet, cette fois à l’Assemblée nationale. « Notre psychiatrie, comme les urgences, comme les maternités, comme notre système de santé, cela fait des années qu’elle est en difficulté, et nous le savons », a répété cet ancien médecin urgentiste. « Nous aurons à poursuivre ce plan pour la psychiatrie en recrutant des professionnels mais aussi en travaillant sur le partage des compétences car, je le redis, ce n’est pas en claquant des doigts que nous aurons des médecins demain. » Reste à savoir combien de temps encore les soignants tiendront : ce mardi matin, ils étaient quelque 200 professionnels du secteur de la santé mentale rassemblés à Nantes, devant l’Agence régionale de Santé des Pays de la Loire rapporte France 3, pour dénoncer leurs conditions de travail.