« Dès qu’on cherche des endroits où le plastique est présent, on trouve ». Et il est particulièrement présent dans le corps humain, ce qui inquiète les scientifiques. Ce sujet a fait l’objet d’une audition publique au Sénat ce jeudi 17 octobre, organisée par l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (une délégation commune entre députés et sénateurs). Plusieurs chercheurs ont été invités pour présenter leurs travaux sur les effets du plastique et des substances chimiques sur la santé humaine.
L’objectif de cette audition est aussi de contribuer au débat avant le dernier cycle des négociations sur le futur traité international visant à supprimer la pollution plastique. Une rencontre qui se tiendra en Corée du Sud du 25 novembre au 2 décembre. L’office parlementaire s’est d’ailleurs permis quelques recommandations avant la signature de cet accord. Les élus demandent « un traité ambitieux et juridiquement fort », « l’élimination des plastiques non essentiels » ou encore « la régulation des substances chimiques des plastiques ».
La production de plastique a plus que doublé depuis 20 ans
Fabienne Lagarde, enseignante-chercheuse à l’université du Mans, rappelle que le plastique est partout depuis sa mise sur le marché dans les années 1950. « Sa production ne fait qu’augmenter. Elle a plus que doublé en 20 ans », souligne-t-elle. Chaque année, plus de 500 millions de tonnes de plastique sont consommées. On devrait arriver à 1 milliard d’ici 2050. Et les déchets plastiques sont problématiques car « moins de 10 % sont recyclés ». En 2018, la France a en généré 3,6 millions de tonnes et seulement 0,6 millions ont été recyclés. « L’immense majorité de ces déchets sont stockés en décharge ou rentre directement dans les environnements terrestres et aquatiques », explique Fabienne Lagarde. Ce qui n’est pas sans conséquences sur la santé des hommes et des femmes.
Nous sommes soumis à la pollution plastique par trois types d’exposition : l’alimentation, la respiration et le contact avec la peau. Beaucoup d’aliments ont déjà été étudiés, comme le sel, la bière, les fruits et légumes, le thé ou encore la viande. « A chaque fois, on trouve du plastique », souffle Guillaume Duflos, directeur de recherche à l’Anses (agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). Le premier aliment qui a été étudié est le plus essentiel : l’eau en bouteille. « On y a retrouvé des particules de microplastique et nanoplastique », souligne le scientifique. Ces éléments sont le résultat de la fragmentation de plus gros déchets plastiques dans l’environnement.
« Le plastique agit comme un cheval de Troie dans l’appareil respiratoire »
Ces microplastiques et nanoplastiques ingérés par l’alimentation se retrouvent ensuite dans le foie, le placenta, le sang ou le système urinaire. « Un peu partout dans le corps humain », résume Guillaume Duflos. « Et ce sera encore pire pour les enfants qui naîtront après nous », peste une autre scientifique. Quelles conséquences sur la santé ? « Malheureusement, c’est trop tôt pour le dire. On est en train de développer des méthodes pour connaitre les dangers », explique le chercheur. « Il y a encore des inconnues sur l’exposition humaine », poursuit Muriel Mercier-Bonin, directrice de recherche à l’Inrae (institut national de la recherche agronomique). « On sait déjà qu’il y a des effets sur la santé digestive. Par exemple, on constate la diminution du butyrate (assure la cohésion des jonctions entre les cellules de l’intestin) chez l’enfant », indique-t-elle.
La respiration est une autre exposition à la pollution plastique. L’air que nous inhalons contient des nanoplastiques. Une étude montre que l’air retient 10 000 tonnes de fibres plastiques à Paris. « Tous, on en respire près de 30 millions par an », complète Sonja Boland, ingénieure de recherche à l’Université Paris Cité. « Les nanoparticules peuvent rentrer dans la circulation sanguine, remonter dans les nerfs et atteindre le cerveau. Ça peut aussi atteindre les poumons », explique la scientifique. Le lien avec des maladies est ici avéré. « Certaines personnes développent une altération de la fonction pulmonaire, une induction des effets respiratoires ou un cancer du poumon. Le plastique agit comme un cheval de Troie dans l’appareil respiratoire », poursuit Sonja Boland. Les travailleurs de l’industrie du textile en sont particulièrement exposés.
Puberté prématurée, endométriose, perturbateurs endocriniens…
Des substances chimiques associées aux plastiques, notamment pour sa fabrication, ont aussi des effets sur la santé des personnes. « Il y en a qui s’accumulent dans le corps humain et d’autres qui se rependent dans l’environnement », indique Martin Wagner, chercheur à l’université norvégienne de sciences et de technologie. « On entre en contact avec tous les jours, c’est inévitable », reprend Megan Deeney, chercheuse à London School of Hygiene and Tropical Medicine. Elle souligne que les produits chimiques sont « responsables de 4 fois plus de gaz à effet de serre que l’aviation ».
Christos Symeonides, directeur de clinique et de recherche, a lui travaillé sur une étude avec plus de 1 000 personnes. « On est exposés aux produits chimiques et aux plastiques avant même notre naissance, pendant notre naissance et à l’âge adulte », en conclut-il. Son travail indique une corrélation entre le Polybromodiphényléther (PBDE) – présent dans le textile ou le plastique – et un poids plus léger de l’enfant à la naissance, un mauvais développement des plus jeunes et la présence de perturbateurs endocriniens. Le Phtalate de bis (DEHP), un composé chimique qui rend le plastique plus flexible, est « particulièrement alarmant », ajoute Christos Symeonides. « Il a des conséquences sur les jeunes filles avec une puberté qui commence plut tôt et de l’endométriose. Ce produit augmente aussi la pression artérielle », explique-t-il.
Les scientifiques s’inquiètent de la classification des produits chimiques. « Plus de 4 000 sont classés comme représentant des dangers. Le problème, c’est qu’il y a peu de preuves sur tous les autres qui ne sont pas dit dangereux », indique Martin Wagner, chercheur à l’université norvégienne de sciences et de technologie. « 305 000 substances chimiques sont enregistrées en France. La plupart ne sont pas testées », souligne Megan Deeney, chercheuse à Londres, qui s’inquiète « du doublement de l’industrie chimique mondiale d’ici 2030 ». Et de conclure : « Ce qu’il faut, c’est moins de plastique, des plastiques plus simples, moins de produits chimiques et des produits chimiques plus surs ».