Pendant leur audition, Thierry Hoffmann, directeur général du laboratoire Delbert, et Marc Childs, président-directeur général du même laboratoire, ont détaillé le modèle économique de leur laboratoire, fondé en 2014. « On a voulu que le laboratoire Delbert soit différent des autres, notre approche se concentre sur l’utilité et cible les médocs qui disparaissent du marché. Notre mission c’était de trouver des produits en déshérence pour lesquels big pharma ne voulait pas continuer la production », explique Marc Childs.
L’initiative a naturellement suscité l’attention des sénateurs, d’autant plus que les produits repris par le laboratoire Delbert sont des produits dont la rentabilité n’était pas en cause. Naturellement, l’idée de redévelopper des médicaments que l’industrie pharmaceutique ne commercialise plus apparaît comme une possibilité de réponse aux pénuries de médicaments. Par ailleurs, en évitant que certains produits ne soient plus commercialisés uniquement parce qu’il existe une nouvelle alternative, souvent plus coûteuse ; les fondateurs du laboratoire Delbert se conçoivent comme des « sauveteurs, dans le sens où on essaye de ressusciter, mais on préfère réanimer. Le plus important pour nous c’est l’anticipation. Aujourd’hui on couvre 15 produits, près de la moitié en infectiologie car ils ont été totalement délaissés ».
Les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur
Une des raisons principales de ce phénomène de rupture de certains médicaments, alors même qu’ils sont encore rentables et utiles, proviendrait de la classification de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Cet organisme public doit dresser une liste de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) qui permet d’identifier des médicaments indispensables et dont l’interruption de traitement pourrait entraîner le pronostic vital du patient. Un stock de sécurité d’au moins deux mois doit être établi pour les médicaments inscrits sur la liste.
Une classification nécessaire mais insuffisamment détaillée. « Beaucoup pensaient que c’était l’ANSM qui fixait la liste des médicaments d’intérêts thérapeutiques majeurs, mais en fait c’est plutôt l’industrie pharmaceutique. Il y a, à peu près 7 000 médicaments définis par les laboratoires eux-mêmes comme d’intérêt thérapeutique majeur, mais il faut distinguer ceux qui sont importants et les médicaments critiques », explique Thierry Hoffmann.
« L’administration n’arrive pas à comprendre » la différence entre important et critique
La classification, trop globale, ne permettrait pas de faire la distinction entre « ceux qui sont importants pour les généralistes et les spécialistes et ceux qui sont absolument irremplaçables, c’est ça que l’administration n’arrive pas à comprendre », détaille Thierry Hoffmann. Les dirigeants du laboratoire Delbert plaident pour le développement d’une catégorie de médicaments dits « critiques » afin, d’une part, de mieux identifier les produits à stocker et, d’autre part, d’intégrer la dimension « critique » dans la fixation du prix par le Comité économique des produits de santé (CEPS). Thierry Hoffmann regrette qu’on « arrive à une certaine absurdité où le CEPS ne voit pas le coût total représenté par l’absence d’un médicament ».
« Nous sommes excessivement dépendants de la Chine et de l’Inde pour les produits volumétriques »
Une des principales réponses aux pénuries de médicaments, largement évoquée depuis le début de la commission d’enquête, concerne la souveraineté en termes de médicaments. Marc Childs rappelle d’ailleurs que « nous sommes excessivement dépendants de la Chine et de l’Inde pour les produits volumétriques », mais considère que la souveraineté se développe sur le temps long. « Oui la souveraineté, plutôt européenne, a été notre objectif. 90 % de nos matières premières sont sourcées en Europe, et 100 % produits fabriqués en Europe. Nos produits sont commercialisés en France et 65 % du chiffre d’affaires y est réalisé », affirme Marc Childs.
Encore faut-il créer les conditions de la souveraineté selon Thierry Hoffmann qui considère que « le crédit impôt recherche a été crucial pour le développement du laboratoire Delbert. Par exemple, nous avons relancé la pénicilline g mais il fallait trouver un site de fermentation en Europe ce qui était délicat, le crédit impôt recherche nous aide ». Ce dernier pointe aussi un prix qui ne cesse d’augmenter pour les produits à redévelopper comme le fait le laboratoire Delbert.