Pénurie de médicaments : « Nous avons besoin de davantage de contrôles » sur les obligations de stock, reconnaît François Braun

Auditionné au Sénat, le ministre de la Santé a ouvert la porte à des augmentations de prix pour les génériques, à condition que les laboratoires attestent des prix de production trop bas. Le ministre est également en discussion avec les industriels pour gérer la pénurie hivernale.
Guillaume Jacquot

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Le calendrier de travail fait parfois bien les choses. Deux jours après l’offensive médiatique du président de la République et de son ministre de la Santé sur la pénurie de médicaments, la commission d’enquête sénatoriale consacrée au même sujet, a pu entendre François Braun.

L’ex-urgentiste a notamment détaillé les tenants et les aboutissants de la liste de 450 médicaments dits « essentiels », qui guideront les réponses de l’État en la matière. Cette liste, qui sera actualisée une fois par an, a été élaborée au niveau de chaque spécialité médicale et soumise à un groupe d’expert, qui a évalué le degré critique du risque de pénurie. Pour être précis, le relevé comprend 400 médicaments et 50 traitements clés pour la santé publique, tels que « des vaccins » ou encore la « pilule abortive », a détaillé le ministre.

Ce travail permettra de « mieux les identifier, les surveiller, les contrôler » et de « réaliser une cartographie des risques, depuis la production du principe actif jusqu’à la distribution des boîtes en pharmacie », a-t-il développé. En cas de choc sur l’approvisionnement ou de fragilité dans la production nationale, François Braun a évoqué plusieurs actions possibles : fractionnement de boîtes dans les pharmacies pour fournir la quantité nécessaire, fabrication dans certaines officines, prescription de médicaments équivalents ou encore campagnes de communication à destination des professionnels et de la population.

Conditions des aides à la relocalisation et contrôles des obligations de stocks préventifs

« La constitution de stocks fait partie d’une des réponses qui pourra être apportée à l’issue de l’analyse de cette cartographie des risques », a notamment ajouté le ministre. Le 13 juin, dans les colonnes du Parisien, François Braun a précisé que les industriels devraient prévoir quatre mois de stocks pour les médicaments présents dans la liste des 450 jugés essentiels. Ajoutant : « Peut-être même plus pour certains, s’ils ne sont fabriqués que dans une ou deux usines. » Actuellement, les laboratoires sont tenus à deux mois de stocks pour les médicaments à intérêt thérapeutique majeur (on en compte 6 000). Depuis 2021, l’obligation est portée à quatre mois, si les médicaments en question ont fait l’objet de ruptures ou de risques de ruptures de stock réguliers dans les deux dernières années. L’Agence nationale de sécurité du médicament en a listé 422.

La présidente de la commission d’enquête, Sonia de La Provôté (Union centriste), s’est alors demandé qui contrôlerait le respect de cette obligation. « On a bien vu que les labos ont été mis régulièrement en défaut sur ce sujet […] Qu’on passe deux à quatre mois, c’est une grosse avancée, mais si les stocks ne sont pas vérifiés, on n’avancera pas beaucoup plus. »

François Braun s’est montré confiant sur le fait que les déclarations soient conformes à l’avenir avec les exigences réglementaires. « Nous avons besoin de davantage de contrôles. Non seulement des industriels, mais aussi des grossistes répartiteurs. C’est tout l’enjeu du système d’information qui est en train de se déployer. »

S’agissant des projets de relocalisation de productions de médicaments essentiels et principes actifs annoncés par le président de la République, François Braun a été invité à détailler les conditions qui entoureront les aides publiques versées aux laboratoires qui s’implanteront ou qui augmenteront leurs capacités de productions. Près de 160 millions d’euros de concours de l’État sont déjà sur la table. « Oui, il y a un conditionnement qui est fait pour chacun de ces contrats », a affirmé le ministre. Sans trop aller dans les détails, car les discussions sont toujours en cours. François Braun a notamment précisé que les laboratoires devraient s’engager à mettre à disposition du marché français certains volumes « à l’horizon 2026 ».

Rapporteure de la commission d’enquête, Laurence Cohen (communiste) s’est dite « un peu dubitative » par le « côté un peu vague » des réponses du ministre, qualifiant les conditions de « timides ».

Le ministre, prêt à bouger sur les prix d’achat

Deux jours après que le président de la République a évoqué la notion de « juste prix », François Braun a ouvert la porte à des hausses de prix de médicaments génériques, réclamées par les industriels, qui estiment que les tarifs pris en charge par l’assurance maladie sont inférieurs à certains coûts de production. Le lien entre leur prix d’achat les pénuries fait toutefois débat. François Braun s’est dit « prêt à envisager » des hausses si ces dernières étaient justifiées. « Amenez-nous des éléments de transparence pour voir quel est le prix de production réel », a-t-il demandé à l’adresse des laboratoires. En février, un moratoire sur les baisses a été décrété.

Depuis plusieurs mois, un groupe de travail sur la « régulation » et le « financement des produits de santé » mène des réflexions sur la politique d’attribution de prix. Celle-ci devra notamment se pencher sur la « clause de sauvegarde », très critiquée par les laboratoires. Ces derniers doivent s’acquitter d’une contribution à l’Assurance maladie lorsque leur chiffre d’affaires, au titre des spécialités remboursables, a progressé plus vite que le taux inscrit dans les lois de financement de la Sécurité sociale. Son montant ne peut facilement être anticipé. Quelles que soient les conclusions qui suivront en juillet, François Braun a rappelé qu’il devait y avoir un « équilibre » entre la mise à disposition de la population des médicaments et d’autre part le prix que le France est prête à payer, dans le cadre de l’objectif national des dépenses de santé, voté chaque année.

Après un hiver très tendu sur le front de l’approvisionnement en médicaments pédiatriques, comme l’amoxicilline, François Braun a été invité à s’exprimer sur la préparation de la prochaine saison froide, par la sénatrice Patricia Schillinger (Renaissance). L’ancien chef du pôle urgences à l’hôpital de Metz a précisé qu’une « cartographie des risques » cible pour les « médicaments les plus essentiels ». « Nous sommes en cours de discussion avec les laboratoires les plus concernés pour voir s’ils nous garantissent des augmentations des capacités de production ou si on envisage de faire des stocks pour l’hiver ».

Un point d’alerte sur la pharmacie des hôpitaux de Paris

La rapporteure Laurence Cohen a d’ailleurs alerté le ministre sur la situation de l’Agence générale des équipements et produits de santé (AGEPS), un service général de l’AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Paris) spécialisée dans le service pharmaceutique et les équipements de santé. Connue au siècle dernier sous le nom de « Pharmacie centrale des hôpitaux », cette agence assure entre autres la mission de fabriquer les médicaments orphelins, des traitements qui répondent à des besoins de santé publique et à la prise en charge de maladie rares, mais considérés comme non rentables par l’industrie pharmaceutique. L’AGEPS s’était illustrée pendant la crise du covid-19 en produisant des anesthésiques et médicaments de réanimation, en pleine explosion de la demande mondiale.

« On pourrait s’appuyer sur l’AGEPS, qui a un vrai savoir-faire, mais qui est aujourd’hui dans l’incapacité de fabriquer, car on lui retire les moyens », a averti la sénatrice, plaidant pour une intervention du ministre. Le directeur de l’AGEPS Renaud Cateland avait indiqué aux parlementaires le 4 avril que l’AP-HP avait pour projet d’externaliser la « moitié restante » de sa capacité de production. Sur 80 équivalents temps pleins, seulement 40 à 50 seraient conservés.

François Braun a semblé apprendre la nouvelle. « Nous allons regarder ça de très près, voir exactement ce qu’il en est, d’où viennent ces annonces, si elles sont fondées. » La réaction a surpris la présidente de la commission, Sonia de La Provôté. « Comme quoi, toutes nos auditions ne sont pas scrutées avec la même attention, parce que c’est quand même un témoignage de l’AGEPS lors d’une des auditions. »

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