Securite Sociale

Organismes de santé : l’appel du Sénat pour sortir du « financement à l’aveugle »

Les sénateurs ont rendu un rapport alarmant sur le mode de financement de quinze organismes et fonds autonomes de santé. Ces derniers bénéficient de subventions de la sécurité sociale, qui devraient donc être soumises au Parlement. Mais une procédure budgétaire dérogatoire permet à l’exécutif de modifier le montant, sans en référer aux parlementaires.
François-Xavier Roux

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Les Offrob désignent les organismes et fonds financés par les régimes obligatoires de base. Au nombre de quinze, ils contribuent aux missions de santé publique, et reçoivent la majorité de leur financement de la part de la sécurité sociale. Parmi les Offrob figurent notamment Santé publique France, la Haute Autorité de Santé (HAS) ou l’Etablissement français du sang (EFS). Pour l’année 2022, la sécurité sociale a financé ces organismes à hauteur de 6,7 milliards d’euros. Sans contester la pertinence de ces financements, les sénateurs déplorent le manque de clarté sur leur attribution. Elisabeth Doineau (UC), la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, souligne le fait qu’ils ne fassent pas l’objet d’un débat au cours des discussions sur les projets de lois de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Alors que des sommes importantes sont investies, les parlementaires ne peuvent donner leur avis sur la répartition des montants. Le PLFSS 2024 arrivera devant les parlementaires cet automne, la commission des affaires sociales du Sénat demande, à cette occasion, des discussions sur le financement des Offrob. Par manque de contrôles et d’échanges sur les financements, certains organismes ont des subventions sous-évaluées, pour des missions qui sont plus larges. Elisabeth Doineau parle d’une « urgence à très court terme » pour plusieurs organismes, comme l’Etablissement français du sang. Elle juge le dialogue indispensable et pressant, pour établir des financements adaptés aux besoins des Offrob.

Un financement opaque des Offrob

En 2019, la sécurité sociale a consacré un budget de 2 milliards d’euros aux Offrob. Avec le Covid, ce chiffre est monté à 6,8 milliards d’euros. Cette année, il est retombé à 3,2 milliards. Pour Elisabeth Doineau, la crise sanitaire a joué un rôle de révélateur sur l’impasse dans lequel vont les financements des Offrob. Des sommes conséquentes ont été attribuées, mais sans dialogue entre l’exécutif et le Parlement. Le financement exceptionnel, reconduit sur deux ans, s’est élevé à 4,1 milliards d’euros. La sénatrice centriste reconnaît une explosion des besoins financiers des Offrob, en raison d’une multiplication des missions. Par exemple, Santé publique France a dû recréer un stock de masques, ou ouvrir des centres de vaccinations. Mais tout cela sans concertation avec les parlementaires.

Les sénateurs pointent le fait que « par simple arrêté ministériel », le montant de dotation de la sécurité sociale peut être modifié. Ils regrettent la « place amoindrie pour le Parlement » sur ces dossiers. Pour le financement exceptionnel en 2020, Elisabeth Doineau rappelle qu’il n’a pas fait l’objet d’un projet de loi rectificatif de la sécurité sociale, ou même simplement d’un débat. « On a l’impression qu’ils [les membres du gouvernement] s’exonèrent du débat parlementaire », regrette-t-elle. Mais cette dynamique est plus ancienne. Depuis 2015, l’Etat a transféré sept parts de financements d’organismes de l’Offrob, à la sécurité sociale. Officiellement, c’est pour éviter les « cofinancements ». La rapporteure générale reconnaît la pertinence de cette raison. Certains organismes lui ont expliqué qu’il est « plus simple d’avoir à faire à un seul financeur ». Mais la sénatrice poursuit en développant que « la simplicité, c’est aussi de ne pas débattre avec les parlementaires ». En abandonnant ses parts de financements, l’exécutif a introduit une « absence de la confrontation ».

Un appel au débat pour corriger la situation

Ce que demandent les sénateurs est d’appliquer « pleinement le principe d’autorisation parlementaire sur la dépense publique ». Ils souhaitent que les parlementaires soient de nouveau associés aux discussions de financements des Offrob, afin de « défendre les moyens accordés » aux agences. Jusqu’alors, la dotation de la sécurité sociale aux Offrob ne « figure pas explicitement dans la loi ». Un vote « implicite » fixe le montant d’un sous-objectif, intitulé « Autres prises en charge », de l’objectif national d’assurance maladie (Ondam). Ce sous-objectif est « hétérogène » et ne permet pas de connaître l’effort financier en faveur des Offrob. Et quand Elisabeth Doineau demande plus d’informations, on lui répond que « les documents ne sont pas disponibles ». Il est donc impossible pour un parlementaire de discuter du montant des financements.

Ce que déplorent aussi les sénateurs est l’absence de représentation de la sécurité sociale dans les instances de gouvernance des Offrob. Elle verse des financements sans réel suivi. C’est un financement plus débattu et plus efficace que souhaitent donc les sénateurs. Actuellement, les moyens d’un débat pertinent ne sont pas réunis. Les versements de la sécurité sociale ne sont pas à la hauteur des besoins. Les attributions de missions nouvelles se multiplient, mais le volet financier ne suit pas. Par exemple, la Haute Autorité de Santé (HAS) doit, depuis l’année dernière, contrôler les agences hébergeant des personnes âgées. Mais sans le budget suffisant, il est compliqué de mener la mission à bien, explique Elisabeth Doineau. De fait, « ils sont en difficultés, ils sont inquiets », rapporte la sénatrice. Et la HAS n’est pas la seule à être en difficulté. C’est aussi le cas pour l’Etablissement français du sang.

Pour Elisabeth Doineau, cette urgence atteindra un niveau critique dès l’an prochain. C’est ce qui a motivé ce rapport d’information, qui a pour mission « d’éveiller la conscience des ministres ». Pour la sénatrice, il s’inscrit comme « un point de départ, et on verra pour la suite ». Présenté en commission le 12 juillet, il a déjà permis de sensibiliser les sénateurs sur la situation, qui possèdent désormais « un regard sur le fonctionnement » des financements des Offrob, nous explique la rapporteure générale. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2024, qui sera débattu au Sénat cet automne, est donc attendu de pied ferme.

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