L’histoire se répète. Comme l’an dernier, la commission des affaires sociales du Sénat manifeste une grande inquiétude au sujet du nouveau projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2024), tout juste revenu de l’Assemblée nationale après une adoption par le biais du 49.3. Certes, les comptes de la Sécurité sociale sont beaucoup moins déséquilibrés qu’à l’époque de la crise sanitaire (2020-2022) mais la tendance de fond pour les années à venir n’a rien de rassurant aux yeux des sénateurs. Estimé à 8,8 milliards d’euros, le déficit de l’année 2023 est supérieur aux prévisions d’il y a un an. Il devrait continuer à se détériorer tout au long du quinquennat, selon les prévisions gouvernementales. De 11,2 milliards d’euros en 2024, il pourrait atteindre plus de 17 milliards d’euros en 2026 et 2027.
Pour ne rien arranger, les prévisions de recettes seraient surestimées, d’après l’analyse du Haut Conseil des finances publiques, ce qui laisse supposer que les écarts pourraient être encore plus larges. « On s’installe délibérément sur une situation qui se dégrade, et qui est assumée quelque part par le gouvernement. Cela nous pose une difficulté sur la façon dont on pilote les comptes sociaux », dénonce le président de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller (LR).
Rejet du niveau des dépenses de santé, jugé « insincère »
« Le gouvernement présente une trajectoire qui est un aveu d’impuissance. Il est évident qu’on se projette en laissant la dette sociale aux générations futures. Je ne comprends pas que le gouvernement ne soit pas plus clair là-dessus. On met en danger notre système social », s’alarme la rapporteure générale Elisabeth Doineau (Union centriste). Comme en novembre 2023, elle proposera en séance le rejet de cette trajectoire.
La dégradation des comptes est en partie la conséquence de la hausse des dépenses de santé. L’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) proposé pour 2024 se chiffre à 254,9 milliards d’euros, un montant en progression de 3,2 % par rapport à celui de l’année en cours. Comme en 2022, la commission des affaires sociales estime que le montant est « insincère » et proposera son rejet en séance. Ceci constituera un « message politique » du Sénat à l’exécutif, selon Philippe Mouiller. Dans ce type loi de finances, la marge de manœuvre du législateur est très contrainte. Les sénateurs soulignent que l’objectif de dépenses est construit sur le chiffre de 2022, déjà lui-même « discutable », et qu’il ne couvrira qu’en partie les besoins induits par l’inflation. De façon globale, ils regrettent que le gouvernement peine à justifier sur les montants inscrits.
La commission des affaires sociales veut être consultée en cas de hausse de la franchise médicale
L’un des manques d’information criants du projet de loi concerne, selon eux, l’évolution du reste à charge pour les Français. Le gouvernement entretient le flou sur son projet de doubler la franchise médicale, à l’étude depuis l’été, et rien n’est vraiment explicité dans le projet de loi. Applicable sur chaque boîte de médicament remboursée et les consultations de santé, celle-ci pourrait passer de 50 centimes à 1 euro. La mesure serait susceptible de générer 800 millions d’euros d’économies.
Or, c’est précisément un montant équivalent qui demeure inexpliqué, dans l’une des annexes du projet de loi, selon la rapporteure de la branche maladie, Corinne Imbert (LR). Une telle modification de la franchise médicale, si elle se confirmait, interviendrait par voie réglementaire. Compte tenu de la somme en jeu et des conséquences sur les patients, les sénateurs exigeront à travers un amendement que le gouvernement consulte les commissions des affaires sociales des deux assemblées, avant de prendre un texte réglementaire qui modifie le montant de la franchise. « Il doit assumer son intention et permettre la tenue d’un débat démocratique et institutionnalisé sur le sujet », demande Corinne Imbert, dans l’exposé des motifs de l’amendement.
Réforme du financement des hôpitaux : les sénateurs plaident pour une expérimentation dans l’immédiat
Autre sujet de discorde entre la commission des affaires sociales et le gouvernement dans ce projet de loi : la réforme du financement des hôpitaux. Le ministre de la Santé veut mettre fin au « caractère central de la tarification à l’activité », la fameuse T2A créée en 2008, qui constitue les deux tiers des revenus des établissements de santé et qui alimente une « course à la rentabilité ». C’est la mise en œuvre d’une promesse faite par Emmanuel Macron au début de l’année. Le projet de loi vise les activités de médecine, de chirurgie, et obstétrique, le cœur du réacteur hospitalier.
Pour la commission des affaires sociales, les dispositions inscrites dans le texte manquent à la fois d’ambition et de préparation. Les rapporteurs y voient en effet une réforme « précipitée et impréparée » et rappellent que les hôpitaux doivent pouvoir s’engager « sereinement » vers ce rééquilibrage des modes de financement. À cette fin, la commission proposera de reporter l’entrée en vigueur de la réforme à 2028, échéance qui sera précédée d’une expérimentation. Corinne Imbert souligne que les incidences financières ne sont pas connues et qu’à enveloppe constante, la réforme fera « des gagnants et des perdants ».
Cannabis thérapeutique : les sénateurs veulent un avis de la Haute autorité de santé
Les sénateurs ont aussi mal accueilli la proposition du gouvernement d’obliger les pharmacies à dispenser à l’unité des médicaments en rupture, la commission appellera à supprimer cet article. « Cette mesure apparaît, en effet, inefficace dans la plupart des situations de tension d’approvisionnement », motive Corinne Imbert. La sénatrice de Charente-Maritime rappelle qu’une telle mesure sera sans effet sur les traitement chroniques, qui nécessitent par définition une utilisation récurrente, ou encore sur les traitements sous forme injectable.
Au rang des irritants figure aussi le statut d’autorisation provisoire que le gouvernement veut introduire pour les médicaments à base de cannabis, prenant de cours l’expérimentation qui doit prendre fin le 26 mars 2024. La commission des affaires sociales veut réintroduire l’obligation pour l’exécutif de mener une évaluation sur l’expérimentation menée et d’en informer le Parlement, elle sollicite par ailleurs la Haute autorité de santé.
Retour de la « taxe lapins »
En matière d’économies, la commission des affaires sociales est bien décidée à revenir à la charge vis-à-vis des patients qui ne se présentent pas aux rendez-vous médicaux. Un phénomène qui concernerait 6 à 10 % des assurés selon l’Ordre des médecins. En séance, la majorité sénatoriale défendra l’idée d’une somme forfaitaire dont devront s’acquitter les Français qui posent des lapins, dans un contexte de pénurie des médecins. Le montant serait renvoyé aux négociations entre l’Assurance maladie et les professionnels de santé.
Sanctuarisation de l’Agirc-Arrco
La main du Sénat ne devrait pas seulement retoucher les mesures relatives à la branche santé, mais aussi, comme chaque année, le reste de la sphère sociale. Bien décidée à « garantir la liberté de gestion des partenaires sociaux », la commission des affaires sociales veut supprimer les dispositions permettant une ponction de l’Agirc-Arrco (la caisse de retraites complémentaires des salariés du secteur privé) au titre de la solidarité financière du système de retraite, après la réforme du printemps. Le gouvernement affirme avoir renoncé à ce projet, s’en remettant à la négociation entre les partenaires sociaux. Les sénateurs préfèrent s’en assurer à travers la rédaction du projet de loi. « C’est aux partenaires sociaux de décider s’ils souhaitent contribuer ou pas », insiste la rapporteure Pascale Gruny.
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 va être débattu en séance du 13 au 17 novembre.