La crise de l’hôpital n’est pas née durant la pandémie. Le malaise du personnel et les tensions ont éclaté au grand jour en 2019, à la veille d’un tsunami sanitaire majeur. Ces deux années de covid-19 ont mis un peu plus en lumière les difficultés du système de santé, elles ont aussi accentué l’épuisement de ses acteurs. À l’automne 2021, les remontées sur la baisse du nombre de lits pour cause de manque de personnel ont fait l’effet d’une bombe, quelques mois après les investissements du Ségur de la Santé. Face à cette « situation critique », le groupe LR du Sénat a demandé la création d’une commission d’enquête. Après quatre mois de travaux, les sénateurs ont remis leur rapport, qui accorde une large part aux solutions.
Au total, près d’une centaine de personnalités ont été entendues par la commission, emmenée par deux médecins de profession. Bernard Jomier (apparenté PS) pour la présidence des travaux, et Catherine Deroche (LR) au poste de rapporteure. Les auditions de soignants ont été particulièrement marquantes, pour saisir la profondeur du mal-être et de la fatigue accumulée. Le constat était déjà apparu durant les auditions, le Sénat tire également cette conclusion : le Ségur et ses rattrapages de salaire « sans précédent » n’ont été qu’une réponse partielle face à la détresse des équipes soignantes. Le rapport souligne que les revalorisations ont été, d’une part, « trop tardives », et d’autre part, génératrices d’ « amertumes ». Le champ des bénéficiaires a en effet évolué au fil de l’eau, au fur et à mesure où les insatisfactions des « oubliés du Ségur » se sont exprimées.
« Désaffection préoccupante à l’égard de l’hôpital »
Catherine Deroche écrit que le fonctionnement « repose encore trop souvent sur la bonne volonté des personnels et sur une morale du dévouement ». Des engagements qui pèsent sur la vie familiale de ces professionnels. Le rapport appelle ainsi à revaloriser la permanence des soins hospitaliers, et surtout l’indemnisation du travail de nuit et les week-ends. Pour le travail de nuit, « l’indemnité compensatrice de 1,07 euro de l’heure n’a pas évolué depuis 2001 », et ce, alors que l’inflation a progressé en moyenne de 1,3 % par an depuis, souligne le rapport sénatorial.
Mais plus que la question salariale, c’est surtout sur la dégradation des conditions de travail que le Sénat met l’accent. Il redoute que la « désaffection préoccupante à l’égard de l’hôpital » ne l’entraîne dans une « spirale négative ». « Face au sentiment de perte de sens, largement exprimé par les personnels, il est nécessaire de remettre le soin au cœur des métiers hospitaliers », souligne le rapport. Que ce soit par des outils informatiques « plus performants » ou le recrutement de secrétaires médicales, le rapport demande à libérer de tâches chronophages et des charges administratives. Les sénateurs encouragent aussi à prendre « dans l’immédiat » des mesures pour prendre en compte les « contraintes de logement et de garde d’enfants » des personnels.
Contre les charges de travail excessives, mais aussi les risques qui pèsent in fine sur les patients, la commission d’enquête formule une proposition forte : un renforcement significatif des effectifs d’infirmiers et aides-soignants. Et notamment un « mécanisme d’alerte » lorsque le ratio de patients par soignants dépasse un seuil critique. La demande d’un ratio minimal fait partie des propositions portées par le Collectif Inter-Hôpitaux.
Une meilleure place de la communauté médicale dans les organes de décision
Une meilleure attractivité des métiers passera également par des perspectives de carrière. Pour les sénateurs, il faut favoriser les accès à la formation continue et « développer des passerelles entre les professions ». Le rapport demande en parallèle qu’une évaluation soit « rapidement menée » sur la formation initiale des infirmiers. Les sénateurs se sont inquiétés dans les auditions des nombreux abandons en cours des études. « La sélection par Parcoursup est inadaptée », alerte le rapport.
Autre demande des représentants des soignants reprise dans le rapport : une meilleure place de la communauté médicale dans les organes de décision. « Médicaliser la gouvernance et réconcilier les acteurs hospitaliers est une priorité pour donner un cap et des projets viables à l’hôpital », insiste le rapport. Dans la gestion au quotidien, une plus grande souplesse est demandée, cette même méthode qui avait été saluée durant le covid-19. Les sénateurs espèrent que les services dans les hôpitaux seront « réhabilités », avec un « pouvoir renforcé des équipes de soins sur les choix qui les concernent ».
Mieux répartir les soins non programmés entre médecins généralistes et hôpital
L’une des autres difficultés principales de l’hôpital est sa place centrale dans le système de soins : il absorbe de plus en plus de soins non programmés. Les besoins en santé de la population ont augmenté, dans un contexte de difficultés de la médecine de ville. « De 2015 à 2018, la part de la population vivant dans des zones sous-dotées en médecins généralistes est passée de 3,8 à 5,7 % », met en avant le rapport sénatorial. Autre donnée inquiétante : « Le nombre de passages aux urgences est passé de 10,1 millions en 1992 à 21,2 millions en 2019 ». La commission d’enquête veut « rééquilibrer » le système de santé.
La baisse du nombre de médecins généralistes est encore loin d’être enrayée. Les effets de fin du numerus clausus dans les études de médecine « ne se front sentir au mieux qu’à partir du début de la décennie 2030 », alertent les sénateurs. La projection est documentée par plusieurs études de l’administration. Bref, la pression sur l’hôpital et les services d’urgence va rester forte pour plusieurs années encore. D’où la nécessité de s’y préparer. Le rapport de la commission d’enquête préconise de rééquilibrer la prise en charge entre les cabinets et l’hôpital. Les médecins devront être appuyés par le développement des infirmiers de pratique avancé et le recrutement d’assistants médicaux. Les sénateurs appellent également à mieux coordonner les différents professionnels entre eux, pour la permanence des soins. À ce sujet, ils jugent « prioritaire » de « revaloriser les tarifs de la permanence des soins ambulatoires de manière ciblée, ainsi que les tarifs de la visite à domicile ».
Un mode de financement qui « n’est plus adapté à la situation »
Au chapitre du budget de l’hôpital, les sénateurs tirent le constat d’un mode de financement qui « n’est plus adapté à la situation ». « Les tarifs n’ont pas suivi l’évolution réelle des coûts », épinglent-ils. Si la commission d’enquête appelle à tourner « rapidement » la page du « tout T2A » (tarification à l’acte), elle estime néanmoins nécessaire de maintenir un lien entre le financement et l’activité réelle d’un établissement.
Mais le financement doit prendre en compte d’autres critères, insuffisamment mis en avant actuellement, selon eux : une dotation liée au besoin du territoire et une dotation liée à la qualité des soins. De façon plus globale, l’architecture des lois de financement de la Sécurité sociale doit reposer, selon eux, sur la base « des soins de santé régulièrement documentés ». Le rapport de la commission déplore au passage le financement par « à-coups » et la succession de plans pour l’Hôpital. « Il n’est pas viable d’attendre un plan spécifique par décennie pour impulser les investissements lourds comme un rattrapage toujours tardif. »