C’est un exemple des « dépenses secondaires » sur lesquelles le ministre de l’Économie et des Finances souhaite réduire la voilure, afin de financer les « dépenses prioritaires », incluant « l’hôpital, l’école » ainsi que les missions régaliennes (sécurité, justice, défense). Dans un entretien publié dans Le Monde le 6 mars, Bruno Le Maire a affirmé croire à un « État fort, mais pas à un Etat qui se disperse, qui finance tout et devient une pompe à fric ». Et d’illustrer son propos : « Est-il possible de continuer à dépenser 5,7 milliards d’euros par an pour le transport médical des patients ? »
« C’est en étant plus exigeant sur chacune des dépenses que vous parviendrez à l’équilibre des comptes publics »
Cette sortie lui a valu un débat assez tendu avec le sénateur communiste Pascal Savoldelli lors d’une audition devant la commission des finances, le même jour. Dénonçant une « provocation » d’un ministre « libéral et autoritaire », le parlementaire du Val-de-Marne l’a accusé de « diviser » la population avec une mesure qui ne résoudra pas, selon lui, les difficultés budgétaires du pays. « Vous ne ferez jamais cinq milliards d’euros d’économies brutalement d’un jour sur l’autre. Les petits ruisseaux font les grandes rivières. C’est en étant plus exigeant sur chacune des dépenses – y compris les transports médicaux – que vous parviendrez à l’équilibre des comptes publics », a motivé le ministre. À la recherche de nouvelles économies pour respecter sa trajectoire de redressement des finances publiques, le gouvernement demande d’agir aussi bien à l’État qu’à la Sécurité sociale.
De quoi s’agit-il exactement ? Sous certaines conditions, l’Assurance maladie peut prendre en charge tout ou partie des frais de transport pour se rendre à un examen ou rentrer à son domicile après une hospitalisation, si l’état de santé le justifie. Les transports d’urgence du Samu ne sont évidemment pas concernés dans ce débat. La prise en charge se fait sur prescription médicale, et peut se faire en lien avec une affection de longue de durée spécifique (dispositif qui fait lui aussi l’objet d’une revue de dépenses), un état médical qui le requiert, ou encore certaines incapacités reconnues par un référentiel.
Dans un certain nombre de cas précis, l’Assurance maladie peut rembourser à 100 %. Différents moyens de transports sont pris en charge : ambulances (pour les patients qui doivent rester allongés), véhicules sanitaires légers ou taxis conventionnés pour les personnes qui ont besoin d’une aide pour se déplacer, ou encore une prise en charge des frais du véhicule personnel ou de transports en commun.
Un coût qui est passé de 4 à 6 milliards d’euros en l’espace de 10 ans
Au cours des dernières années, les dépenses consacrées au transport sanitaire ont connu une progression continue. Selon un rapport publié l’an dernier par la direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES) celles-ci ont augmenté de 4 % en moyenne par an de 2012 à 2022, soit un rythme supérieur à la tendance des dépenses de soins et de biens médicaux sur la même période (2,6 % par an). La progression en volume pourrait même se poursuivre, puisque les entreprises du secteur anticipent une hausse du nombre de patients à transporter d’ici 2030, dans un contexte de vieillissement de la population. C’était aussi le constat d’une mission d’information conduite par un député LREM et une députée LR en 2022 : les deux parlementaires avaient qualifié les transports sanitaires de « droit central » pour les patients, tout en soulignant que « l’élargissement » de ces derniers conduisait à « une charge budgétaire de plus en plus lourde pour l’Assurance maladie ».
Les transports sanitaires ont coûté 6 milliards d’euros en 2022, reposant sur une large partie sur l’Assurance maladie (93,3 %), une part bien supérieure à la prise en charge des médicaments ou des soins dans leur ensemble, par exemple. Les mutuelles et complémentaires financent les transports sanitaires à hauteur de 3,1 % et les ménages à 3,3 % (200 millions d’euros). La part payée par les ménages a d’ailleurs augmenté, puisqu’elle se situait à hauteur de 1,9 % du total en 2012.
La DREES, dans son étude annuelle, note enfin que ce sont les patients en affection longue durée qui « contribuent à plus de 80 % de la dépense de transports sanitaires ».
Régulièrement dans ses rapports sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale, la Cour des comptes épingle un système dont la régulation est « largement défaillante ». « De nouveaux leviers de régulation sont nécessaires afin de responsabiliser plus fortement les prescripteurs, les patients et les transporteurs ».
De récentes réformes, législatives et réglementaires, pour réguler les dépenses
Des décisions ont été prises ces derniers mois pour limiter cette dépense de l’Assurance maladie. Dernier exemple en date : le ministère de la Santé a publié un décret le 16 février relevant les franchises médicales. La franchise pour l’utilisation d’un transport sanitaire sera doublée au 31 mars, passant de 2 à 4 euros, avec une limite à 4 euros par jour. Le total des franchises reste plafonné à 50 euros par an et par personne.
Autre mesure récente : l’article 30 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024, votée début décembre 2023. La disposition réduit la prise en charge des frais de transport et exclut du tiers payant les patients sans contre-indication médicale qui refuseraient un transport sanitaire partagé. Selon l’étude d’impact, la mesure serait susceptible de dégager 50 millions euros d’économies en 2024, et 100 au cours de chaque année suivante.
Auparavant, un avenant à la convention nationale des transporteurs sanitaires privés, fin 2020, avait déjà contribué à faire progresser la part de transport partagé, à travers un système de bonus-malus financier.
Le développement des transports partagés, « priorité opérationnelle » de l’Assurance maladie
L’axe de la promotion des transports en commun fait d’ailleurs partie des propositions de l’Assurance maladie pour maîtriser les dépenses. « Comme annoncé en 2022, si la promotion du transport partagé a été mise en suspens durant la crise Covid pour des raisons sanitaires évidentes, il s’agit, à compter de 2024, pour l’Assurance maladie et les représentants de la profession d’en faire une réelle priorité opérationnelle », souligne son rapport. Un gain « de 15 à 35 % » est espéré par trajet en termes de dépenses.
Lors des débats en commission des affaires sociales, la majorité sénatoriale a elle aussi approuvé le développement du transport sanitaire partagé. Dans son rapport, Elisabeth Doineau (Union centriste) disait souscrire « à l’analyse selon laquelle le transport partagé est une source utile de modération des dépenses d’assurance maladie, qui, du reste, présente une incidence environnementale vertueuse ». La gauche s’y était opposé, Émilienne Poumirol (PS) avait dénoncé des « économies de bout de chandelle », quand l’écologiste Anne Souyris pointait l’allongement du temps d’attente en raison du regroupement de patients.
Les enjeux sont aussi sociaux puisqu’on compte 5000 entreprises impliquées dans les transports sanitaires, certaines ayant pour partie une activité taxi. Ce lundi 4, un mouvement d’action des chauffeurs de taxis a eu lieu dans plusieurs grandes villes. L’intersyndicale réclame une renégociation de la convention les liant à la caisse primaire d’Assurance maladie, sur leurs conditions de leur rémunération.