Les prix du tabac ont connu une nouvelle augmentation au 1er janvier, jusqu’à un euro pour vingt cigarettes, faisant ainsi passer le prix du paquet au-dessus du seuil symbolique des 12 euros. Il devrait à nouveau augmenter en mars. Ces hausses régulières sont prévues par le programme national de lutte contre le tabac (PNLT) 2023-2027, et visent à « relever le défi d’une génération débarrassée du tabac dès 2032 », selon la formule utilisée par l’ex-ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, fin novembre.
Mais les industriels contestent fermement l’efficacité de ces mesures. À leurs yeux, cette « fiscalité comportementale » ne pousse pas le fumeur à réduire sa consommation, mais à s’approvisionner en dehors du réseau des buralistes, sur le marché noir ou à l’étranger. « Une cigarette sur trois » fumées en France résulte d’achats illégaux, selon les professionnels du secteur. Un double échec donc, pour les caisses de l’Etat et les politiques de prévention. C’est du moins le message qu’ont voulu faire passer les représentants des principaux industriels du tabac en France, auditionnés le 27 février par la Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale du Sénat (MECSS). Des échanges qui se sont notamment attardés sur la nocivité des principaux dérivés de la cigarette, dont le secteur souhaite renforcer la promotion comme alternative au tabagisme.
« On a des ventes qui chutent et une prévalence tabagique qui est toujours la même »
« Sur les vingt dernières années, la prévalence tabagique n’a baissé que de 5,5 points en passant de 30 % à 24 % de la population en 2022, tandis que les prix, sous l’effet des taxes, ont été multipliés par plus de trois sur la même période », a expliqué Stéphanie Martel, directrice des affaires externes et gouvernementales chez Philip Morris France. « Avec 12 millions de fumeurs quotidiens, la France est le pays d’Europe de l’Ouest qui a la prévalence tabagique la plus haute, malgré un niveau de fiscalité parmi les plus élevés. » Cyril Lalo, directeur des relations extérieures pour Imperial Tobacco Seita, résume : « Dit autrement, dans une population générale qui augmente un peu, on a des ventes légales qui chutent et une prévalence tabagique qui, semble-t-il, est toujours la même. Donc l’équation ne fonctionne pas tant qu’on ne prend pas en considération le marché parallèle qui explose et de façon terrifiante. »
« Certaines études sur la hausse des prix ont montré que la consommation a été moindre, notamment chez les nouvelles générations », a tenu à nuancer la rapporteur Elisabeth Doisneau (Union centriste).
« Les produits moins nocifs devraient être moins taxés »
Il n’empêche, les cigarettiers appellent à une remise à plat de la fiscalité du tabac, et réclament notamment une taxation plus douce pour certains dérivés, comme la cigarette électronique et le tabac chauffé, qui constituent, selon eux, une voie vers l’arrêt du tabagisme. « Les produits les plus nocifs devraient être plus taxés, les produits moins nocifs moins taxés. Or aujourd’hui, en France, la fiscalité de ces alternatives est incohérente. Le tabac à chauffer, par exemple, est quatre fois plus taxé que la moyenne européenne, tandis que la cigarette électronique n’est pas soumise à droits d’assises alors qu’elle l’est dans 19 États européens », relève Stéphanie Martèle.
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« Pourquoi cette politique de prix ne fonctionne pas ? Tout simplement parce que le rituel du fumeur est plus fort que ça. Le matin, le fumeur, lorsqu’il quitte son domicile, avant d’aller au travail, après avoir amené ses enfants à l’école, il se rend soit chez son buraliste, soit chez son vendeur à la sauvette. Ce rituel-là est ancré chez lui », assure Vincent Zappia, responsable des affaires publiques pour British American Tobacco France. « On a l’opportunité de les accompagner dans ce rituel en proposant des produits à faibles risques. Parce que, je le répète, la nicotine n’est pas cancérigène. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’Institut national du cancer français et c’est l’OMS », martèle-t-il.
« La nicotine entraîne des problèmes cardiaques et tensionnels importants »
Un argumentaire qui repose essentiellement sur le fait que la combustion du tabac est émettrice de nombreuses substances toxiques. Ce faisant, les alternatives sans combustion présenteraient une toxicité moindre. Mais ce postulat est loin de faire l’unanimité : « Je n’approuve pas, à titre personnel, le discours qui consiste à dire que la nicotine n’est pas cancérigène, sans le compléter en disant que la nicotine est un produit addictif, et que si elle n’entraîne pas de cancer à usage modéré, elle entraîne tout de même des problèmes cardiaques et des problèmes tensionnels importants », a tenu à recadrer le sénateur LR Alain Milon, président de la MECSS, et médecin de profession.
Réplique de Vincent Zappia : « Pourquoi n’interdisez-vous pas les patches en pharmacie ? C’est la même qualité de nicotine, les mêmes arômes et les mêmes procédés ? » Il développe : « J’ai été fumeur moi-même, il est très compliqué de se sortir du tabac. C’est une addiction, nous ne sommes pas là pour le nier. Il faut pouvoir proposer au fumeur une alternative dans son terrain de jeu. […] Il faut pouvoir trouver chez son buraliste des alternatives à risque réduit. »
« Nous sommes en 2024, si en 1924 il y avait eu des questions sur les dangers du tabac, on nous aurait dit que ça n’était pas dangereux. Les premiers signes médicaux de dangerosité du tabac arrivent vers 1947 », a encore expliqué Alain Milon. « Il faut être modéré sur l’usage que l’on peut faire du vapotage. […] Il y a des substances chimiques dans le vapotage dont on ne connaît pas les dangers sur la santé. Il faudra probablement un usage long comme pour la cigarette, avant qu’on ne les trouve. »